Voir ou revoir Elephant Man, une exigence morale


Je serais bien incapable de donner la définition d’un grand film mais intuitivement je sais que Elephant Man en est un : il possède cette vertu de traverser les époques sans se trouver abîmé par le passage du temps, il parvient à chaque fois à vous emmener dans les profondeurs d’un voyage crépusculaire d’où il est impossible de revenir indemne.

Je l’ai revu hier soir dans un cinéma de quartier, et à nouveau, j’ai éprouvé ce même sentiment d’étrangeté, cette identique impression d’être confronté à un long métrage absolument parfait où tout semble être à sa place, histoire, acteurs, lumière, musique, atmosphère, décor, tissant la toile d’une œuvre intemporelle qui continue trente-six ans après sa sortie en salle à sonder le cœur des hommes, à le sommer de s’interroger sur sa capacité à fraterniser avec son prochain, à lui demander s’il se comporte avec la même égale humanité quand il s’agit de s’intéresser au sort de personnes si différentes de lui.

david-lynch-elephant-man-8

Car c’est de cela qu’il s’agit dans Elephant Man, de cela et de rien d’autre.

Du regard porté sur des gens qui, par leur condition sociale, leur apparence physique, leur orientation sexuelle, leurs croyances, nous apparaissent parfois comme des monstres dont la seule vue nous révulse, nous effraie, nous heurte d’une manière si radicale qu’elle nous amène à les chasser loin, très loin, le plus loin possible, à la périphérie de nos vies quotidiennes.

Le monstre, c’est l’autre, notre voisin, l’immigré, le réfugié, le clandestin, celui dont la présence nous met mal à l’aise et nous oblige à repenser notre rapport à l’étranger dans une confrontation si brutale que la plupart du temps nous tâchons de l’esquiver afin de continuer à vivre dans le confort douillet de notre existence routinière où, croyons-nous, rien de grave ne peut nous arriver.

Quand vers la fin du film, tout le parterre de la meilleure société londonienne venue assister à un ballet se lève pour saluer la présence parmi eux de John Merrick, l’homme éléphant, nous ne savons pas vraiment qui ou quoi ils applaudissent de la sorte.

1415123069969.cached

Est-ce la résilience et le courage de cet homme qui parvient à surmonter son handicap de naissance et ose se confronter au regard des autres, malgré sa laideur, sa difformité, sa monstruosité ? Est-ce leur façon de l’accepter et de le saluer comme l’un des leurs, un homme parmi d’autres hommes, ou plutôt n’est-ce pas eux-mêmes que ces braves gens applaudissent, heureux de se découvrir moins laids qu’ils ne le sont, reconnaissants à l’homme éléphant de leur tendre un miroir où ils peuvent pour une fois se regarder sans avoir honte d’eux-mêmes ?

Dans Elephant Man, le monstre ce n’est évidemment pas John Merrick, cet homme dont la mère a été piétinée par un troupeau d’éléphants lorsqu’elle le portait dans son ventre.

Non les vrais monstres, ce sont les autres, le petit peuple de Londres qui vient s’encanailler en lui rendant visite, le gardien qui s’affranchit de toute morale et tente de monnayer sa proximité avec lui, le propriétaire, alcoolique au dernier degré, fou de douleur de se voir privé de sa raison de vivre en la personne de John Merrick, toute cette vaste humanité qui se livre à ses plus bas instincts et, se déshonorant, déshonore par là-même le genre humain.

Voir ou revoir Elephant Man est une leçon de vie.

671086-john-hurt-dans-elephant-man

Sur nous-mêmes, sur les autres, sur notre capacité à sublimer nos différences pour accepter une bonne fois pour toutes que les hommes, tous les hommes, naissent égaux et libres, qu’ils sont tous nos frères d’armes et que d’en laisser un, un seul sur le bord de la route, c’est déjà renoncer à vivre debout, c’est accepter l’inacceptable, c’est admettre la parfaite médiocrité d’une existence où notre égoïsme finira par nous étrangler.

Elephant Man est tout simplement un grand film parce que, sans artifice, avec une sobriété rare, dans un noir et blanc qui semble épouser le gris du ciel, il essaye de nous rendre meilleur, plus humain, plus sensible au sort des ”mal nés.”

En ces temps où le monde semble vaciller et menace à tout instant de rompre, où repli identitaire et fantasme d’une société épurée de ses vilains petits canards s’invitent dans nos consciences, visionner Elephant Man est une exigence.


Et une urgence.

                                                                                                                                                                                                              Pour suivre  l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

5 commentaires pour “Voir ou revoir Elephant Man, une exigence morale”

  1. Merci beaucoup,J’avais vu ce film à sa sortie,votre chronique et analyse me donne envie de le revoir.

  2. Sa mère n’a jamais été “piétinée par un troupeau d’éléphants lorsqu’elle le portait dans son ventre”. De plus c’est lui même qui monnayait ses propres “spectacles” après effectivement avoir été exploité par un “montreur de phénomènes”. Humaniste d’accord, mais pas naif. Tirer un pamphlet (assez pathos) sur base du ressenti d’un film, me parais un peu léger. Tout au plus pour faire pleurer dans les chaumière.

  3. Vous prenez des cours du soir pour ” écrire ” de telles âneries ?

  4. Et si on foutait la paix à la société tout simplement (en d’autres termes fermez votre g…, et laissez nous aimer/détester qui on veut).

  5. Vous savez que la lecture de journaux ou autres blogs est facultative ?

Laissez un commentaire

« »