C’est un processus sans fin.
Un va-et-vient perpétuel entre l’auteur et son éditeur qui peut durer des semaines et des semaines où le manuscrit va subir tant de modifications, de retouches, de corrections, de mises au point, d’éclaircissements et de ravalements que du texte original, il demeure seulement le squelette, le tronc, le mât autour duquel s’articule le récit.
C’est épuisant, éreintant, déprimant au possible.
La recherche d’une perfection qui ne peut exister mais vers laquelle il faut tout de même tendre pour ne rien regretter, pour assouvir son désir d’excellence, pour ne pas se décevoir.
Remettre tout à plat, traquer la moindre des imperfections, effacer les répétitions, les lourdeurs, les erreurs, les approximations, les mille et une anicroches qui encombrent le roman et l’empêchent de prendre son envol.
Repeindre la salle de bains, lustrer les marches de l’escalier, poncer les parquets, plâtrer les murs, colmater les fuites, verrouiller les fenêtres, ripoliner les plafonds, explorer chaque pièce afin de s’assurer de leur parfait ordonnancement, tester les fondations, effacer les traces d’humidité, parcourir la maison de la cave au grenier pour que rien ne vienne perturber la visite.
Et recommencer ces travaux ménagers le nombre de fois nécessaire sans s’économiser, sans relâcher ses efforts, sans défaillir, obsédé de donner à l’ensemble la forme la plus parfaite, la plus harmonieuse et la plus aboutie afin de contenter l’acquéreur que sera le futur et toujours hypothétique lecteur.
Lire, se relire au point de devenir fou, de voir danser devant soi les mots qui soudain prennent des airs menaçants, vous toisent, vous narguent, vous admonestent, apparaissent comme autant de passagers clandestins dont vous ne vous expliquez pas la présence en ce chapitre, en ce paragraphe, en cette phrase.
La tentation de tout réécrire, le dégoût d’avoir pu produire un texte aussi insignifiant, aussi vain, aussi raté, l’envie de tout balancer par la fenêtre, de cesser de se prétendre écrivain, de commencer à chercher un vrai travail au lieu de courir après des chimères, de cesser cette comédie de la création pour laquelle vous n’avez aucun don, aucune disposition.
Faussaire. Imposteur. Affabulateur.
Le lendemain, repartir à l’assaut, s’abrutir dans sa lecture, relire les instructions de l’éditeur qui, sadique jusqu’au bout, ne vous épargne pas, vous balance au visage des pages truffées de remarques, de points d’exclamations, de hiéroglyphes multicolores, de passages surlignés, soulignés, barrés, rayés, effacés, mutilés, broyés, écrabouillés, amputés, qui sonnent comme les cymbales cinglantes de votre impuissance créatrice.
Se jurer que c’est la dernière fois, que la littérature supportera fort bien votre mise à la retraite, que de toutes les façons, on publie assez de livres comme cela, nul besoin de ramener sa fraise, autant écrire pour soi et continuer à s’inventer des destinées fabuleuses.
Rêver de devenir postier ou magasinier, d’essayer le saut en élastique sans élastique, de s’engager dans le GIGN, de descendre un baril de bourbon, de tenter sa chance à Canal +, de servir de majordome à Alain Juppé, de fricoter avec Liliane Bettencourt, de violer le premier curé croisé et de finir ses jours dans un Kibboutz.
Sombrer cette fois dans une vraie folie, vérifier dans le dictionnaire que votre s’écrit bien v-o-t-r-e et non pas v-e-a-u-t-r-e, interroger le moindre adjectif, vérifier son identité, son pedigree, congédier les participes présents, assassiner les adverbes, pointer le positionnement d’une virgule, le tout dans une farandole de questionnements partagés avec l’éditeur qui bientôt ne peut plus vous voir en peinture, joue aux fléchettes avec votre portrait, maudit le jour où il a signé votre contrat.
Arriver au bout du voyage.
Halluciné de fatigue, effaré de désespoir, le cerveau émietté, les yeux exorbités, les derniers cheveux enterrés.
Les dents cariées d’avoir bu trop de sodas, les ongles anorexiques, les oreilles fripées et l’esprit aussi vide que celui d’un joueur de foot quand on lui demande s’il partage l’idéal faustien qui veut que ” celui qui s’efforce de se surpasser, celui-là nous pouvons le sauver. ”
Et alors se représenter la somme des efforts consentis et visualiser le moment précis où, dans une quelconque décharge d’une quelconque zone industrielle d’une quelconque ville de province, une pelleteuse s’emparera guillerette du tas de vos livres invendus pour l’amener au pilon…
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Je compatis sans ironie
il faudrait expliquer à beaucoup de vos commentateurs ce qu ‘est
un livre.
Finalement pourquoi votre livre a t il été retenu par l’éditeur ?