J’envie, oui, j’envie le calme souverain du philosophe capable d’aborder la question du néant sans se saborder l’esprit.
Je loue la froideur du physicien à même de conceptualiser l’infini sans finir son raisonnement dans les vapeurs de l’alcool.
J’admire la constance du mathématicien détricotant le mécanisme de la physique quantique avant d’enchaîner par une partie de golf.
Moi qui ne suis pas grand-chose, ou alors seulement un vague poète, un trouffion d’écrivain, je ne puis pas : sitôt que je commence à penser ma condition d’être humain égaré dans un univers dont les dimensions ne sont même quantifiables, j’éprouve un tel sentiment d’angoisse que je file tout droit dans ma salle de bains descendre un container entier de Valium.
C’est dire si parfois vivre m’incommode.
Cette question de savoir ce qui motive notre présence sur cette terre, le miracle de la vie humaine, l’infâme mystère de la mort, la possibilité ou non d’une intelligence supérieure, le sens de notre destinée commune, la vie, la vie, la vie, ces interrogations-là me sont aussi communes et naturelles que celles concernant la composition du repas de ce soir, l’intérêt ou non d’acheter une nouvelle paire de chaussettes, le souci de savoir si je devrais renoncer à mon abonnement à Netflix.
C’est dire si je suis tourmenté.
J’aimerais pouvoir penser le monde dans toute son extraordinaire complexité, me frotter à des concepts aussi ardus que la métempsycose, la cosmologie, la relativité, mais je ne peux pas, je risquerais de devenir fou, vraiment fou, fou à en perdre la raison, fou à se crever les yeux, fou à devenir encore plus maboule que je ne le suis déjà, à errer dans les rues en beuglant que je suis le Fils du père de la tante de l’univers.
A la place, je me demande à quel rang Saint-Étienne va finir le championnat, pourquoi je préfère la San Pellegrino au Perrier, où j’ai bien pu ranger mon coupe-ongles, la date de mon prochain rendez-vous chez le dentiste, s’il reste assez de papier toilettes pour finir la semaine, la nécessité ou pas de remplacer de la litière du chat, la finalité de manger un kiwi avant ou après la sieste.
C’est dire combien je suis méprisable.
En fait, je suis con comme un lapin neurasthénique.
J’ai l’intelligence d’une mouette agoraphobe, la profondeur de pensée d’un raton-laveur, l’épaisseur cérébrale du chien de ma voisine qui aboie à chaque fois que je passe du Dylan, je suis un vaurien, un imposteur, un affabulateur, un pétomane, je possède l’envergure philosophique d’un vendeur de machines à laver, la capacité réflexive d’un secrétaire de section encarté aux Républicains, la rigueur intellectuelle d’un animateur de jeux télévisés, je suis tristement mais infiniment inconsistant.
C’est un fait.
Pourtant j’essaye.
Je me dis, bon, “essaye un peu d’établir ton rapport à l’univers, ce que tu représentes au regard de l’infini des mondes parallèles, remonte à l’origine des origines et tente de comprendre si, in fine, l’existence précède l’essence, si l’impossibilité de représenter le néant dans son abstraction ontologique préfigure la nécessaire existence d’un Dieu né des limbes d’une réflexivité objective en totale contradiction avec la théorie d’un monde régi par la seule force de l’atome ? “
Hein ???
De temps à autre, pris d’un vague remords et d’un fol espoir, je me saisis des œuvres complètes d’un philosophe émérite, Luc Ferry ou Hegel, je lis une page, deux pages, je me contemple dans la glace, je dois avoir un peu près le regard d’une chouette bloquée dans un conduit de cheminée par un soir de brouillard, je reprends au début, je relis une page, deux pages, je vérifie sur la couverture que le livre est bien écrit en français, pas en moldave, maintenant, j’ai le regard ahuri de Mireille Mathieu quand elle tombe sur ce blog.
Je pense tout le temps, mon esprit est sans cesse en alerte, je ne connais pas un jour sans que je m’interroge au sujet du pourquoi du comment, sur ma présence sur cette terre, sur le sens de toute vie, mais de ces questions, je n’en fais rien, je me les répète dans le vide abyssal de ma parfaite incongruité intellectuelle, tel un onaniste furieux qui branlerait son manche sans jamais à parvenir à un quelconque résultat autre qu’une foulure au poignet.
Je me dégoûte.
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Et moi je t’aime !!
Sartre ironiquement jouait à être Sartre. J’ai une heureuse tristesse, les gens te disent ai peur de la mort plein d’amis des enfants une cause pleure souri rigole comme ci te couche pas trop tard lit des livres branle toi trois fois par jour croit mange des asticots me parle pas moque toi d’intel soit tolérant déteste comme ça soit pauvre avance recul etc Qu’est ce que voulez que ça me fasse? Autant dire que ça en déconcerte plus d’un. Dans la mesure du possible, je fais ce que je veux.
Et si tout simplement on se disait qu’il y a des questions auxquelles on ne peut pas répondre ? Des questions que la raison ne peut pas appréhender sans vertige ? Des apories de la raison comme disait Kant ? Quand je discute de ça, j’aime bien prendre l’exemple du Big Bang. C’est la théorie la plus en vogue pour expliquer l’existence de la matière et de l’énergie. Mais aucun chercheur ne vous donnera une réponse satisfaisante à la question : “Qu’est-ce qu’il y avait avant le Big Bang”. Faites l’expérience si vous connaissez un physicien. Vous aurez droit à une affirmation du type : “la question ne se pose pas car le temps n’existait pas, donc il n’y avait pas d’avant” et vous retournerez vérifier s’il faut changer la litière de votre chat.Finalement, les scientifiques et les philosophes avancent pas à pas (et souvent avec brio) dans l’univers que nos sens connaissent et tout ce qui n’est pas expérimentable leur est étranger, non par manque d’intelligence ou de moyens, mais d’une manière fondamentale. “Le vent se lève, tâchons de vivre”.