Ce devait être mardi, la veille de mon retour au Canada, j’ai décidé de rendre visite à ma mère.
Elle est enterrée au cimetière du Montparnasse.
Chaque fois que je reviens en France, je vais la voir.
Et évidemment à chaque fois j”oublie l’emplacement exact de sa tombe.
Je n’ai pas la mémoire des chiffres.
J’ai appelé mon père -Maman, elle est où déjà ? – Où veux-tu qu’elle soit, au Crazy Horse ? – Je me souviens plus de l’endroit où elle est enterrée, le numéro de l’allée, tu sais. – Moi non plus, je ne travaille pas au cadastre. Demande au gardien. C’est dans le carré juif. Au fond. Sur ta droite.
J’y suis allé à l’instinct, c’était le plus simple.
Il existe des gens, paraît-il, qui aiment à traîner dans les cimetières.
Moi pas.
Je les évite autant que possible.
Étant donné qu’un jour ou l’autre, j’y serai logé pour l’éternité, je ne vois pas bien l’intérêt de m’attarder dans ces allées où tôt ou tard je prendrai pension complète, j’aurai bien alors assez de temps pour l’arpenter de long en large ; si cela se trouve je n’aurai pas d’autre occupation.
Évidemment ce jour-là, il pleuvait.
Une pluie froide, grise, intemporelle, qui dégringolait d’un ciel parisien impavide comme une porte de prison et rebondissait sur les pavés du cimetière.
J’ai songé à rebrousser chemin mais je n’ai pas osé, j’avais peur que ma mère ne le prenne mal : ” C’est comme cela que tu me traites mon fils ? Non seulement tu habites à l’autre bout du monde mais en plus quand tu daignes traverser l’Atlantique tu ne viens même pas voir ta pauvre mère qui continue à se faire un sang d’encre pour toi. Tu veux que je meure une deuxième fois, c’est ça ? ”
J’ai tracé ma route.
Comme je n’avais vraiment aucune idée d’où se trouvait sa stèle, je me suis tapé une par une les allées du carré juif.
Arlette Moatti 1915-2003, Yvette Boutboul 1934-2014, Simone Samama 1914-1985, Jacqueline Taïeb 1947-2002, Andrée Fitoussi 1944-2009, Jacqueline Bessis 1922-1998, Mauricette Allia 1927-2001…
A force de lire tous ces noms qui sentaient bon la Tunisie natale de ma mère, j’ai eu comme une furieuse envie de couscous boulettes.
Des tombes, je sentais l’enivrante odeur du bouillon remonter jusqu’à mes narines, je reniflais, échappées des plaques de marbre noir ou gris, les essences caractéristiques de ce plat unique qui avait bercé ma jeunesse : tout juste si à la place des pierres disposées sur les monuments funéraires, je ne voyais pas des boulettes aux pommes de terre danser de joie sous la pluie toujours aussi battante.
Si bien que lorsque j’ai fini par retrouver la tombe de ma mère, juste à côté de celle de Juliette Borgel et de son mari Gaston, je crevais littéralement de faim.
Pendant quelques minutes, je suis resté comme un empoté devant le fantôme ma mère et j’ai encore maudit l’Éternel de nous priver du droit de déposer des fleurs sur les tombes.
Au moins, les Goys, ça les occupe.
Le temps que tu dises, t’as vu maman, je t’ai ramené des tulipes, toi qui les aimais tant, elles viennent de Hollande, je les ai eues à moitié prix, tu veux que je les dépose ici ou plutôt là, là ça va, juste au milieu, à côté des géraniums, d’ailleurs à qui appartiennent ces géraniums, à ton amant ou quoi ?… Et il est déjà temps de rentrer.
Tandis que là le Juif de service, à part ramasser comme un mendiant une poignée de caillasse et la déposer sur la tombe, il est bon pour une séance de questions/réponses avec sa mère défunte.
Comment tu vas ? Tu as maigri, tu manges bien au moins ? Pourquoi tu viens me voir, il est arrivé un malheur ? Tu as enfin un travail ? Et ton prochain livre il sort quand ? Tu continues à prendre des médicaments ? Tu n’as pas recommencé à boire ? Quand est-ce que tu vas me donner des petits-enfants ? Tu as été voir ton père au moins ? Tu n’as pas de parapluie, tu vas attraper la crève comme ça. Tu repars quand ? Comment tu vas à Roissy ? Ne prends pas le R.E.R, c’est trop dangereux, prends un taxi je t’en prie, demande à ton frère de t’avancer l’argent…
J’ai fini par la laisser.
J’étais détrempé.
Sur le chemin du retour, je me suis acheté un sandwich tunisien, un vrai avec du thon qui barbotait dans de l’huile d’olive, des olives, et un fleuve d’harissa.
A ce moment, il a arrêté de pleuvoir et alors j’ai su que ma mère était fière de moi.
Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true
Très beau texte.
Une pensée smithienne , pour vous et votre mère quand je passerai par Montparnasse désormais.
“my life is a succession of people saying goodbye”
https://www.youtube.com/watch?v=4wD4BxMHarg
https://pierrevandeljoubert.wordpress.com/
@ Vandel : I know it’s over !
Mon fils le journaliste a failli se noyer .
Très joli, Laurent…
Tres touchant et tendre Laurent. Merci! Franchement cette histoire repond a mes besoins emotionnel pour la journee. En effet Je Vais regarder Le Classico au Manchester (Broadway) et point de vue emotions et tendresse Le foot n est pas Une bonne source!
Merci Laurent. Si tu es dans les parages Tu es Le bienvenu (11.30).
C’est la première fois que je tombe sur vous et vous m’avez mis de bonne humeur !