Bureau de l’Elysée, avec calculatrice.
Après-midi.
François, assis sur une chaise, s’essaie à des prévisions. Il s’y acharne des deux mains, en ahanant. Il s’arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même résultat.
Entre Manuel.
François
Rien à faire.
Manuel
Je commence à le croire. J’ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Manuel, sois raisonnable, tu n’as pas encore tout essayé. Et je reprenais le combat.
Francois
Et si on se repentait ?
Manuel
De quoi ?
François
Eh bien… On n’aurait pas besoin d’entrer dans les détails.
Manuel
D’avoir échoué ?
François
Les électeurs sont des cons. Représentons-nous.
Manuel
On ne peut pas.
François
Pourquoi ?
Manuel
On attend… la baisse du chômage
François
Tu es sûr ?
Manuel
Quoi ?
François
Qu’il faut attendre ?
Manuel
On s’est trompé dans les prévisions.
François
Elle aurait dû déjà baisser.
Manuel
On n’a pas dit ferme qu’elle baisserait.
François
Et si elle ne baisse pas ?
Manuel
Nous attendrons le mois prochain.
François
Et puis le mois suivant.
Manuel
Peut-être.
François
Et ainsi de suite.
Manuel
C’est à dire…
François
Jusqu’à ce qu’elle baisse ?
Manuel
Tu es impitoyable.
François
Nous l’avions déjà prévue pour l’année dernière
Manuel
Ah non là tu te goures
François
Qu’est ce que nous avons fait l’année dernière pour qu’elle baisse ?
Manuel
Ce que nous avons fait l’année dernière pour qu’elle baisse ?
François
Oui
Manuel
Ma foi… Pour jeter le doute, à toi le pompon.
François
Pour moi, nous avons fait l’essentiel.
Manuel
Tu es sûr de tes prévisions ?
François
Je ne dis pas ça.
Manuel
Alors ?
François
Ça n’empêche pas. Tu es sûr que c’était pour cette année ?
Manuel
Quoi ?
François
Qu’elle allait baisser ?
Manuel
On a dit 2016. Il me semble.
François
Après le Bataclan.
Manuel
J’ai dû le noter.
François
Mais quel mois en 2016 ? Et sommes-nous en 2016 ? Ne serait-on pas en 2017 ? En 2018 ? En 2021 ?
Manuel
Ce n’est pas possible.
François
Ou en 2014.
Manuel
Comment faire ?
François
Si elle n’a pas baissé en 2015, tu penses bien qu’elle ne baissera pas en 2016.
Manuel
Mais tu dis qu’elle aurait dû baisser en 2015 ?
François
Je peux me tromper. Taisons-nous un peu.
(Extrait tiré et à peine modifié de En attendant Godot de Samuel Beckett)
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c’ est tout à fait ça , le dialogue en moins .
C’est vraiment magnifique et fort à propos..et c’est moins abstrait que l’oeuvre originale.. tout le monde s’y trouve. Hollande et Manuel anti-heros tragicomiques qu’ils sont, encore que Hollande est perçu ici comme motivé par une bonne volonté mais ne savant pas quel dieur louer alors qu’il est en quelque sorte un froid calculateur et un grand cynique.. hate d’y retrouver le petit Macron par la suite.
Les bouffons (mais qui donc est le roi ?) s’embrouillent : est-ce « la baisse du chômage » qui doit baisser, ou bien le chômage lui-même ? Car si c’est vraiment la baisse, vos deux bouffons attendraient que le chômage augmente. Ils ne seraient pas hilarants, sauf pour les chômeurs heureux de n’avoir pas d’emploi, car vos bouffons seraient en train d’attendre (mollement) le contraire de ce qu’ils disent désirer. En revanche, si c’est « l’inversion de la courbe du chômage » dont ils guettent la venue, alors ils se résumeraient à une caricature du couple exécutif, puisque ladite courbe est en hausse.
Chacun se divertit et cherche à amuser, selon son goût.
Était-il pourtant nécessaire de convoquer ici Samuel Beckett ? Ne seriez-vous pas arrivé à vos fins sans lui ?