La souffrance du chat à l’heure du détartrage


Lors de la dernière visite chez le vétérinaire, ce dernier, un grand chauve au regard d’acier, m’avait averti : votre chat pue de la gueule, ses dents sont lépreuses, ses gencives croulent sous les dettes, va falloir procéder à un détartrage, votre  pauvre bête doit souffrir le martyr.

Je m’étais montré fort surpris.

Je n’avais rien remarqué, je trouvais même que malgré son grand âge mon chat et particulièrement ses dents éclaboussaient de santé ; d’ailleurs c’était bien simple, il souriait tout le temps ; s’il souffrait, je l’aurais vu : lui et moi ne nous cachions rien.

Vous n’y êtes pas m’avait dit le véto, les chats, malgré leur domesticité apparente, ont conservé au plus profond d’eux-mêmes des réflexes archaïques : ils n’affichent jamais leur vulnérabilité de peur d’attirer l’attention de prédateurs sanguinaires. Ils inté-rio-ri-sent leurs douleurs avait-il rajouté en décortiquant les syllables comme s’il découpait le gâteau d’anniversaire de sa belle-mère. Même si votre chat souffrait le martyr, il n’en laisserait rien paraître.

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Je restais songeur.

C’était quoi cette histoire à dormir debout de souffrance intériorisée ? Ça puait l’arnaque à pleines dents sa théorie à la Darwin d’opérette. Est-ce qu’avec ma  tête de Juif errant à moitié chauve, j’avais l’allure d’un guépard prêt à bondir sur mon chat sitôt que je décèlerais chez lui le moindre signe d’affaiblissement ? Ou l’apparence d’une hyène planquée derrière un buisson, prompte à passer à l’attaque à la première occasion ?

Je vivais à ses côtés depuis une quinzaine d’années, et jamais, jamais je ne m’en étais pris à son intégrité physique. Pas même le jour où il avait griffé ma Pléiade de Rimbaud.

Sitôt rentré chez moi, je l’ai convoqué dans mon bureau.

Tu souffres ?

Il n’a pas moufté.

Tu sais que tu peux tout me dire. Je pense qu’après toutes ces années de vie commune, tu peux raisonnablement avoir confiance en moi. Je te promets que je ne profiterai en rien de ta faiblesse passagère, tu as ma parole. Alors tu souffres ou pas ?

Il est resté de marbre.

Imperturbable, il a continué à me fixer de son regard habituel, ses prunelles couleur de miel pleines d’un flegme mystérieux et placide.

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J’ai eu l’impression que se tenait devant moi le fantôme de Jean Moulin, obtus dans sa volonté de ne rien céder à ses bourreaux.

J’étais bien embêté.

Le devis présenté par cet escroc de vétérinaire atteignait une véritable petite fortune ; quand il me l’avait présenté, j’avais cru qu’il avait confondu la dentition de mon chat avec celle d’un crocodile, ce n’était vraiment pas le moment de se lancer dans des dépenses inutiles, de plus il aurait à subir une anesthésie générale ; à son grand âge, c’était tout de même risqué.

En même temps, s’il souffrait…

Le mois suivant, je l’ai suivi à la trace.

Je le réveillais au beau milieu de la nuit, je braquais sur lui ma lampe de poche et à brûle-pourpoint, je le sommais de me dire s’il avait mal.

J’interrompais ses siestes, je lui envoyais des sms inquiets, je l’interpellais au sortir de sa litière, je le privais de croquettes, je me déguisais en prêtre pour l’amener à se confesser, je le surprenais en pleine toilette, j’essayais l’hypnose, l’acupuncture, la méditation transcendantale  : en vain.

Il ne laissa rien paraître.

Je n’en dormais plus.

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Je me voyais comme un Klaus Barbie vouant son existence à torturer un chat sans défense, à le laisser en toute conscience agoniser, à feindre une criminelle indifférence alors qu’il se mourrait sous mes yeux.

Je me souvenais de la scène de Marathon Man quand Lawrence Olivier se met à jouer à la roulette avec les dents de Dustin Hoffmann.

Je voyais danser devant moi le souvenir de Mengele collectionnant les bridges en or de ses cobayes.


Hier matin, à bout, j’ai fini par l’amener chez le vétérinaire.


Depuis ce sont mes finances qui souffrent.

Prudent, j’ai décidé de n’en rien dire à mon chat.


Des fois qu’il lui prendrait l’envie d’en profiter pour me soutirer mes derniers centimes…

                                                                                                                                                                                      Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

2 commentaires pour “La souffrance du chat à l’heure du détartrage”

  1. Le martyre du chat, maintenant ! Avec sa denture de félin très mûr ! L’indélicat vétérinaire (entre nous soit dit, ce praticien n’interroge pas un chat qui parle ; un drôle de type, non ? Où le forma-t-on, et qui ?) établirait des devis stratosphériques (à en croire M. Sagalovitsch), quoique l’auteur se garde bien de nous donner un ordre une idée du montant dudit devis. Peut-être veut-il nous apitoyer ; c’est pourtant curieux venant d’un homme à l’accoutumée si prolixe et si franc. En tout cas, persistant dans la piste féconde – non, il ne va pas jusqu’à nous communiquer un Relevé d’identité bancaire. On a quand même sa dignité –, il nous informe, via une belle métonymie, que « [ses] finances souffrent ». Apitoyons-nous de conserve, mes sœurs et mes frères !

    Et puis voilà que, persistant de plus belle, le maître du chat souffrant et à la gueule malodorante subodore, chez le docteur des animaux, une rouerie à vous ébranler les quenottes. Pis, il caricature le vétérinaire à l’odorat sensible en « Darwin d’opérette », – ignorant sans doute si le génial naturaliste anglais eut beaucoup de temps à consacrer aux spectacles musicaux. C’est douteux, étant donné le travail que ledit évolutionniste abattit. L’on espère, quelles que soient la nature profonde et la formation reçue par le vétérinaire canadien, que pareille comparaison (qui n’est pas raison ! En l’espèce, cela est certain) ne se promènera pas sous les yeux du docteur des bêtes.

    Enfin, puisqu’on ne doit tenir la jambe des lecteurs trop longtemps, concluons. Au mépris de toute réserve, l’auteur – maître du chat comme de son sujet du jour – trouve le moyen d’évoquer Dustin Hoffmann grimaçant de trouille et de douleurs sous la roulette de Laurence Olivier ; tout glorieux que celui-ci fut et que celui-là reste, ils ne font rien autre, vu leur métier, que jouer au méchant docteur et au patient martyrisé. En revanche, cela devient plus sérieux (plus excessif aussi) lorsque est évoqué l’ignoble Dr Mengele. Et que dire de l’auteur dévalorisant un Klaus Barbie transformé en tortionnaire de félins… ? Le fait de s’identifier à lui n’excuse pas l’insulte !

    N’eût-il pas été plus simple de changer de vétérinaire ? Il doit bien exister dans la ville où vit M. Sagalovitsch des vétérinaires soucieux d’éviter aux maîtres chagrins et aux chats choyés les souffrances (pécuniaires et physiques) qui, à force d’atermoiement et certainement de procrastination, ont atteint le chat aux dents élimées, déchaussées, et le maître à la bourse aplatie, ne croyez-vous pas ?

  2. le Puycass…………

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