Avec la mort soudaine de Bowie, cette histoire de kippa qui m’a mis les papillotes à l’envers, j’en suis venu à oublier la principale information de la semaine dernière, j’entends la prochaine mise à l’écart de 30 millions d’amis.
Dire que cette nouvelle m’a bouleversé ne parviendrait pas à rendre l’effroi qui m’a saisi quand j’ai appris la scélérate et honteuse et infâme décision prise par France Télévisions d’écarter cette émission de sa grille des programmes.
Depuis je pleure et traîne une épouvantable gueule de bois, je n’ai plus goût à rien, je passe des heures à regarder mon chat sans trouver le courage nécessaire pour lui annoncer la terrible nouvelle, connaissant trop ses tendances suicidaires : sensible comme il l’est, je le sais capable d’entamer une grève de croquettes illimitée pouvant mettre en péril sa déjà fragile santé.
Ou alors s’enfermer à triple tour dans le tambour de la machine à laver pour en ressortir en lambeaux. Se pendre au lustre du salon en s’étranglant avec sa propre queue. S’ouvrir les moustaches. Fouiller dans ma boite à pharmacie et s’offrir une overdose de valium. Me prendre en otage et me séquestrer aussi longtemps que France Télévision ne change sa décision.
C’est que dès le début de notre rencontre, bien avant même nos fiançailles officielles célébrées par le grand rabbin de France, je lui ai fait miroiter qu’un jour nous passerions tous les deux à 30 millions d’amis, c’était un pacte secret entre lui et moi : il acceptait de vivre la difficile existence d’un chat d’écrivain à la seule condition de se retrouver un jour sous les feux des projecteurs.
Il se voyait déjà lové sur mes genoux, coiffé et peigné comme jamais, regardant de son air mystérieux l’œil de la caméra, tachant de s’attirer ses faveurs pendant que je confierais à la France entière, les yeux dans les yeux, l’importance de mon chat dans mon labeur d’écrivain sans qui (la présence duquel) jamais je n’aurais été capable de remporter trois prix Goncourt d’affilée, deux prix Nobel consécutifs et une flopée de récompenses littéraires aussi longue que sa queue.
Nous poserions devant un feu de cheminée, lui dans son panier, moi dans mon fauteuil, une pile de livres éparpillés sur la table basse, des cadavres de souris égarés sur le tapis : d’une voix languide et tremblante d’émotion, je le présenterais à la caméra voici Sa Majesté Winston (le prénom a été changé conformément à la volonté de mon quadrupède), on zoomerait sur sa petite bobine, il feindrait de dormir.
Je dirais l’histoire de sa vie, sa naissance au Canada, ses années d’exil en France, son retour dans sa terre natale, son judaïsme chancelant, sa perpétuelle quête identitaire, son aversion innée pour les bergers allemands et leurs propriétaires, son idéal progressiste, son désir de venir en aide à tous les châtrés de la terre, son indicible paresse, ses problèmes d’insomnie, son angoisse existentielle d’être un chat errant sans terre ni racine, son fol espoir qu’il survive à ma disparition programmée.
C’eût été son quart d’heure de gloire à lui, son entrée dans le royaume des chats qui comptent, la consécration de toute une vie, l’apothéose d’une existence vouée à supporter les sautes d’humeur de l’écrivain le moins doué de sa génération.
Quel mouche a donc piqué ces zèbres de France Télévision pour mettre au rebut une émission aussi indispensable au bien-être de millions de Français à qui il ne reste plus que leurs animaux domestiques pour attendrir leur douleur de vivre dans un pays sur le point de basculer dans la guerre civile ?
Pourquoi tant de cruauté gratuite ?
N’ont-ils donc pas compris ces messieurs dames de l’audiovisuel que nos chats et nos chiens, nos lapins et nos oiseaux, nos hamsters et nos furets, demeuraient le seul point d’ancrage dans des vies qui se délitent de toutes parts, que jamais ils ne nous ont été si nécessaires, si précieux, si prompts à nous consoler, que sans eux nous aurions déjà basculé dans le désespoir et la détestation de soi la plus radicale ?
Et que la vision de les voir défiler sur nos petits écrans rehaussait encore un peu plus l’attachement que nous leur portions ?
Une pétition circule pour l’abandon de cette décision inique.
Signez là.
Au nom de tous les chats et chiens français, binationaux ou de souche.
Et en pensant au mien qui à cette minute précise pointe sur ma tempe sa patte gauche en menaçant de me rendre borgne comme Œdipe.
Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true
Pétition déjà signée ! Énorme colère matinale contre ces rustres de France Télévisions : les animaux n’auraient-ils pas selon eux une sensibilité parfois bien supérieure à celle des humains ? Témoin cette inclination au suicide de Winston et la palette des moyens par lui imaginée. Il faut absolument arrêter d’arrêter « 30 millions d’amis ».
D’autant plus d’ailleurs que si Winston – France 3 ne cédant pas à l’injonction des innombrables pétitionnaires – en venait effectivement à s’occire, vous son maître risqueriez d’être l’objet d’une pétition (que vous n’auriez pas volée) des mêmes humanistes que ci-dessus pour apologie des suicides animaux et inventaire de quelques moyens de s’y livrer. L’on vous rafraîchit la mémoire : grève de la faim jusqu’au décès ; destruction corporelle du minet enfermé dans le tambour du lave-linge (et la boule de poils ? Heureusement que Calgon existe !) ; pendaison à un lustre du maître avec strangulation par queue féline ; overdose de tranquillisant… Et vous voudriez (imaginant que Winston vous puisse prendre en otage) que les pétitionnaires humanistes (et animaliers) se soucient du sort d’un apologiste de votre acabit ?
Autant ne pas vous dissimuler, Monsieur, que votre beau fantasme : « Moi et Winston » sur le plateau de « 30 millions d’amis » n’aurait jamais pu advenir. Le Comité de sélection de l’émission, après avoir pris connaissance de l’apologie des suicides animaux, eût fait catégoriquement barrage à votre candidature.
Par compensation, Winston eût reçu dudit comité (pas encore disloqué) un kilo (dédicacé) de croquettes « spécial chat errant ». Ce n’eût que justice : à maître failli, chat gâté.
A la place arrêtons ” plus belle la vie ”
ps : ne pas oublier l ‘accent aigu sur chat gaté .;
Merci pour celui ci aussi