Brel, Bowie, quand on n’a plus que la mort

                                                                                                                                                                                                                                                  Ce n’est pas pour faire mon provocateur de salon mais je n’ai jamais vraiment aimé Bowie.

Enfin disons que je ne l’ai jamais compris.

Je suis passé à côté.

Je ne suis jamais parvenu à pénétrer sa musique et pourtant dieu sait que j’ai essayé.

Il n’existe rien de plus rageant et de plus triste que de rester à l’extérieur de l’univers d’un artiste majeur, c’est comme de se retrouver à la porte d’un immeuble dont on devine qu’il abrite des appartements féeriques mais qui pourtant refuse obstinément de vous laisser entrer et vous enjoint de déguerpir.

On se sent si bête, on s’en veut, on voudrait tant se laisser charmer, mais rien n’y fait : pour des raisons inexplicables, on n’accroche pas, on échoue à tisser des affinités électives avec le compositeur, on se force cependant, on s’oblige à l’écouter, on espère à chaque fois que le déclic se produira, on est tellement de bonne volonté, on supplie nos sens de se montrer plus dociles ; en vain : à chaque fois on doit s’avouer vaincu et maudire notre infirmité.

Pourtant Bowie, j’aurais dû l’adorer.

Ne serait-ce que pour Brel.

Je crois en fait que j’étais fier que Bowie reprenne Brel par le biais de Scott Walker.(Ce sera la même chose avec Morrissey)

Fier pour Brel.

Quand Bowie reprend Amsterdam, guitare sèche et dépouillée, voix abrasive, phrasé dépouillé, il n’interprète pas la chanson, il la fait sienne, il triture son chant, il contorsionne les paroles, il allonge les mots, il gémit, il raconte, il clame, il proclame, il attendrit, il scande : il se montre de bout en bout d’une authenticité rare et se réapproprie la dramaturgie du morceau.

C’est bien cela qui rassemble Brel et Bowie au-delà des racontars qui peuvent fleurir ici et là : leur parfaite authenticité, leur théâtralité tout sauf artificielle, leur manière d’être tout entier à leur musique, à leur public, à eux-mêmes.

Et puis leur gentillesse aussi qui est juste un autre mot pour dire leur humanité.

Je ne sais pas mais en y repensant je crois que j’ai toujours été ému par la gentillesse de Bowie – je ne trouve pas d’autre mot – de cette gentillesse de petit garçon plein de malice qui semble vous dire, malgré ses maquillages, ses travestissements, ses personnages imaginaires, je ne suis pas si différent de vous, je suis comme vous, je vous ressemble comme vous me ressemblez.

Une absence totale de calcul, de tricherie, d’afféterie qui peut aller, qui doit aller jusqu’à une certaine forme d’obscénité.

Une honnêteté poussée jusqu’à l’extrême, un dépouillement tellement entier qu’il en devient effrayant, une radicalité si extrême qu’elle vous prend à la gorge et vous malmène, vous ramène à l’essence des choses, à la vie, à l’amour, au sexe, à la mort.

La mise à nu d’un homme qui ne veut rien cacher, qui se montre sans concession, qui s’affiche pour ce qu’il est et non pas pour ce que les autres aimeraient qu’il soit.

Sur scène Brel était Brel comme Bowie était Bowie à travers sa création de Ziggy Stardust.

Dans Ziggy, Bowie reprenait souvent une étrange chanson de Brel, La Mort.

Une chanson du début quand Brel était encore un peu obséquieux, un peu maladroit, un peu boutonneux.

                                                                                                                                                                                                                                                        C’était une boutade lancée à la face de la mort.

                                                                                                                                                                                                                                                       Depuis hier, on sait que ce n’est plus une plaisanterie.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                        Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

2 commentaires pour “Brel, Bowie, quand on n’a plus que la mort”

  1. j’avoue n’avoir jamais vraiment accroché non plus, mais j’ai toujours pensé, comme vous :), que c’était un grand artiste.

  2. pareil, quelques chansons plaisantes, mais assez hermétique au prétendu génie du bonhomme.

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