Nous étions nés bien après la seconde guerre mondiale.
Dans le confort d’une société occidentale assez sûre de ses valeurs pour permettre à ses enfants de mener une existence vouée à la satisfaction de ses seuls désirs, une existence pacifique où le tragique n’avait pas sa place hormis l’irruption d’une maladie nommée Sida qui devait endeuiller une partie de sa jeunesse et lui enlever une partie, une partie seulement, de son insouciance.
Nulle guerre à l’horizon.
Depuis bien longtemps, les fusils avaient été rangés au grenier des souvenirs et plus personne ne se souvenait du temps où mourir au champ d’honneur était une façon comme une autre de dire ses adieux à ce monde.
Nul deuil dans les familles qui serait la conséquence d’un de ces enfants mort pour la patrie reconnaissante.
Nul appel à la mobilisation pour aller protéger nos frontières, conquérir des territoires lointains, envahir des pays voisins, résister à l’envahisseur ou se battre au nom de la liberté en danger.
Le grand calme.
A l’intérieur comme à l’extérieur.
Quelques poussées de fièvre parfois, des manifestations, des revendications, des mécontentements, des bavures ici et là, des vitrines brisées, des pavés lancés, des gouvernements obtus, une jeunesse obstinée : le train-train d’une démocratie jouant à se faire peur le temps de quelques jours.
Certes du chômage, de la misère sociale, de la précarité, des existences parfois difficiles, des emplois sans grand intérêt, de l’ennui, de la morosité, du désenchantement un peu partout mais rien qui vienne bouleverser en profondeur nos grands équilibres : la vie suivait son cours, les cours de la bourse continuaient de grimper, la consommation allait bon train, les commandes affluaient, refluaient, affluaient de nouveau, on était libres, on voyageait, on étudiait, on finissait par trouver un boulot, on se mariait ou pas, on contractait un emprunt, on parvenait à acheter un appartement certes plus petit que ceux de nos parents mais tout de même c’était mieux que rien, sinon on se contentait de louer, on jouissait en silence, on maugréait pour le principe, on allait au cinéma, au stade, au concert : on engraissait.
De temps à autre, on regardait le monde alentour, ce n’était pas beau à voir mais que pouvait-on y faire, on avait nous aussi nos soucis qui valaient bien ceux des indigènes vivant dans des parties du globe entrevues le temps d’un reportage sur nos téléviseurs dernier cri : la pollution, les embouteillages, les impôts, le manque de place dans les crèches, le manque de place dans les transports publics, le manque de place pour garer sa voiture, les plans galère pour dénicher un logement décent, notre livret A qui perdait de la valeur, nos économies qui rétrécissaient, le prix de la baguette qui flambait… monde de merde.
Et puis.
Et puis, comme dans un mauvais rêve, tout cela a volé en éclats : des fous de Dieu sont rentrés dans Paris et ont canardé tout ce qui bougeait, on s’est découvert vulnérables, on a commencé à avoir peur, peur de tout, peur des autres, peur de soi, des régions entières ont basculé à l’extrême-droite, des populations paniquées se sont levées pour se faire justice, des incendies ont éclaté, se sont propagés, ont gagné le cœur des villes, une jeunesse s’est battue contre une autre jeunesse, le sang a coulé, beaucoup de sang, tout est parti à vau-l’eau, la liberté, l’égalité, la fraternité : la paix et l’esprit de concorde avaient vécu.
Oui, par bien des aspects, en ces jours troubles où nous errons hagards et somnambules dans nos existences meurtries par les attentats de l’autre soir, nous pressentons en espérant nous tromper que la grande roue de l’histoire, après des décennies de douce torpeur, s’est remise en branle et qu’elle s’apprête à nouveau à nous broyer et à nous sommer de choisir notre camp.
Et en regardant en arrière, sur ces vies qui hier encore n’en finissaient pas de nous irriter tant elles peinaient à répondre à nos fébriles attentes, on découvre stupéfaits et un brin honteux que, sans même le savoir, nous vivions là une sorte d’âge d’or où, préservés des vicissitudes de l’Histoire, nous allions sur le chemin de vies qui ne pouvaient être que promesse de lumière et de légèreté.
De lumière et de lègereté.
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Un de vos très bons éditos. Merci !
Deux questionq. Est-ce volontaire d’avoir choisi cette photo avec un gars qui prie (ou pas) avec un keffieh palestinien autour du cou ?Depuis quand le terrorisme palestinien serait-il plus acceptable que celui de “l’Etat” islamique ?
et les attentats de 1995? (p.ex)
Que tu es juif et tu détestes des allemands je le comprends, par contre quel est ton probleme avec des Polonais ?
C’est bô, et ça me fait bien rigoler, on verra la suite, il peut s’en passer des choses en trois mois ….
Dans les pays occidentaux, depuis la nuit des temps,
Jamais les individus n’ont vécu aussi vieux et dans une aussi bonne forme
Jamais ils n’ont été aussi bien logés, nourris et soignés
Jamais les plus pauvres d’entre eux n’ont été autant soutenus par des subsides publics
Jamais ils n’ont été aussi bien éduqués et n’ont eu un accès aussi facile et aussi libre à la culture
Jamais ils n’ont joui d’autant de libertés dans l’expression de leurs opinions (même les plus imbéciles) et dans leurs moeurs
Jamais les minorités religieuses, ethniques, sexuelles, etc, n’ont été autant respectées et défendues
Jamais l’égalité des sexes et celle des cultures n’ont été autant promues
etc.
Et pourtant jamais l’idée de progrès n’a autant été contestée…
Sans doute
. parce qu’aucune époque n’a jamais été aussi conne que la nôtre qui met sur un piédestal des couturiers, des montreuses de vêtements et de rouge à lèvres, des footballeurs, des présentateurs de télévision, des acteurs sans charisme, des chanteurs de chansons, toute une population de petits pitres médiatiques ;
. parce que les idéologies, depuis des décennies, ont rendu nos intellectuels patentés aveugles et stupides jusqu’au ridicule, comme l’ont démontré notamment Sokal et Bricmont, il y a déjà quelques années.
(nota : je trouve très pertinente la question d’Alain Granville)
Oui. Et en égoïste cette génération de la post-guerre a tout dilapidé sans rien laisser à ces petits enfants qu’un monde de chômage et de conflits (les pires sont encore à venir), exploitant la nature. Optant systématiquement pour le fric, le capitalisme, la spoliation de l’avenir. C’est fous de dieu ont propséré sur les décombres d’une génération qui ne veut pas lâcher la rampe, qui monopolisent les meilleurs postes, les richesses, qui à 60, 70 ans exercent encore comme experts, consultants, vivant dans un petit cercle de connivence, de reproduction des élites. Une sorte d’aristocratie moderne, aveugle, et donneuse de leçons.
Je ne les regretterai pas.
Pierre Viansson-Ponté, journaliste au « quotidien du soir » et « de référence », intitula un article devenu célèbre « La France s’ennuie » [« Le Monde », 15 mars 1968]. C’est dire si, même avant Mai-68 la France vivait « une sorte d’âge d’or » : la fin des mal nommés « événements d’Algérie » commençait à dater. En 1965, Georges Perec obtenait le prix Renaudot pour « Les Choses. Une histoire des années soixante », un roman dont fut soulignée la teneur sociologique : il y parlait beaucoup aux consommateurs de leur société de consommation. Quoique dans ladite société l’on ne déplorât pas encore les travers déjà mis au jour du nouvel appétit d’acquisition compulsive.
Votre génération s’y mit. Ce qui ne l’empêcha pas de fréquenter les… « grandes surfaces », tout en désignant à la vindicte publique le « consumérisme », ou addiction à l’achat, – terme dont le sens historique (regrettablement occulté aujourd’hui !) signifiait l’action de consommateurs visant à défendre leurs intérêts bafoués par les entreprises. Mais sans aucun doute vous et ceux composant les cohortes juste antérieure et postérieure à la vôtre, vécûtes « là une sorte d’âge d’or ». L’Histoire pourrait être vue comme une succession d’âges d’or – pour les mûrs et les vieux…
Frappante est ainsi la récurrence (génération après génération) de l’expression « âge d’or » qui qualifie jusqu’à des époques ou périodes jugées par les historiens rudes, voire cruelles. C’est que la sélection des meilleurs souvenirs (même… imaginés) opérée par la mémoire, désigne en réalité, sous ces flamboyants vocables, la jeunesse en allée des générations tournant au blet – ou, à plus forte raison, sénescentes ou vieillardes. Quitte d’ailleurs (humaine, trop humaine contradiction) à ce que ces mêmes générations ferment, simultanément et gentiment, le clapet des jeunes qui se répandraient en jérémiades sur leur sort, en évoquant leur propre jeunesse grignotée par un quasi-paupérisme… Faut-il voir là mauvaise foi, symptôme de gâtisme, ou – ce serait plus encourageant – stimulation par les ancêtres de leur descendance : « On y est malgré tout arrivés, pourquoi pas vous ?! »
Qu’on choisisse l’explication qui plaira, qu’on les rejette toutes, qu’importe ? Essentielle reste, moins « la promesse de lumière et de légèreté », que la lutte pour leur sauvegarde.
Alain GRANVILLE Ça aurait pu être n’importe qui. Vous considérez qu’un Palestinien est forcément un terroriste. Je ne vois pas où l’article considère un terrorisme plus acceptable qu’un autre.
J’ai lu cette interview que je trouve salutaire si ça vous intéresse, elle évite l’écueil du sophisme …. http://www.liberation.fr/debats/2015/11/18/david-grossman-une-volonte-hermetique-de-repandre-la-terreur_1414482
@ Alain GRANVILLE, le ‘terrorisme’ Palestinien est plus acceptable que celui de l’E.I., depuis que celui-ci est résistance. Depuis toujours. Aussi comment pouvez-vous juger qu’une personne est un militant pro-palestinien a cause de son port du Keffieh?
Les événement du 13 novembre sont odieux par leur résonance historique .Moi je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut les relativiser à l’aune d’autres supposés bien pires. Si nous ne réagissons pas fermement et sans délais , ce sera d’autres Auchwitz, srebrenica, Rwanda , camp S21…La haine fait partie de notre univers , elle peut se déverser partout , il faut juste une bonne canicule et un bon briquet .
ah ! mais ou est la météorite qui mettra fin à cette triste comedie :
Nous le savions, on appelle ça les trente glorieuses en histoire. Tout se paie