Eloge de la sieste


J’avoue.

Oui j’avoue, tous les jours à l’heure où les honnêtes travailleurs réintègrent leur bureau, moi, le roi des branleurs, je m’affale sur mon canapé, je me calfeutre au fond de mon lit, je colonise mon fauteuil, je ferme les rideaux, je tire les volets et je m’offre une sieste ô combien imméritée.

Pendant une demie-heure, j’oublie la rumeur du monde, je me laisse bercer par de douces rêveries, je fais le point sur ma matinée qui la plupart du temps a consisté à me rendre au supermarché afin de pourvoir au repas du soir, je me projette dans l’après-midi où je tâcherai de pondre un paragraphe ou deux voire même un billet de ce blog à la con, je récupère, je voyage, je somnole, je ne dors pas vraiment, je suis juste ailleurs.

Je me réveille à regrets.

C’est une nouvelle journée qui recommence.

Je reste quelques secondes ahuri, je me demande ce que je fous sur ce canapé à cligner des yeux comme une chouette prise dans le reflet de phares, je grogne, je m’agite, je me secoue, je m’en vais pisser, j’ai les joues toutes rouges, les yeux gonflés, la bouche fripée : je suis irrésistible.

Passées ces dix minutes où je barbote dans un océan de confusion, j’éclabousse de santé ; bien vite je remonte sur mon destrier, je galope, je repars à l’assaut du temps, j’ai engrangé suffisamment de forces pour relever tous les défis, rien ne peut m’arrêter, je vais, je fonce, j’abats toutes sortes d’obstacles, je suis ici et là en même temps, je me démultiplie, je ne connais plus de limites : me voilà redevenu le plus vigoureux des hommes.

Je ne manque jamais une sieste.

Si par malheur je dois m’en passer – on m’aura convoqué à l’autre bout de la ville pour un quelconque rendez-vous, le plombier se sera présenté avec trois heures de retard, mon chat se sera coincé la patte dans le tambour de la machine à laver, ce qui exigera des soins immédiats – mon après-midi sera fichue, je ne rattraperai jamais la sieste perdue.

Je me traînerai d’heure en heure, je ne serai bon à rien, mon cerveau ressemblera à un hospice peuplé de vieillards atones, mon corps accusera le coup, je resterai lascif et oisif comme un dromadaire alangui sur une dune au beau milieu du désert, je deviendrai irritable, je rouspéterai contre la voisine coupable de tailler ses rosiers à coups de cisailles bien trop sonores pour mes nerfs débiles.

La sieste est une parenthèse enchantée, un pont dressé entre le matin et l’après-midi, un interlude où le temps de quelques minutes on s’abrite du monde et de son implacable mastication, on s’oublie, on prend congé, on s’évapore.

Oui c’est exactement cela, on s’évapore.

On ne rêve pas vraiment, on reste à mi-chemin entre la réalité et son univers intérieur, on s’abandonne mais sans jamais sombrer dans les eaux profondes et lourdes du sommeil, on se contente de glisser dessus, c’est léger et doux comme une brise d’été, enivrant comme une absence buissonnière, reposant comme un sentier ombragé menant à un lac oublié.

Si seulement le monde entier pouvait arrêter sa ronde folle le temps d’une sieste, il s’en porterait bien mieux.

Une nouvelle étude scientifique a encore démontré ses innombrables bienfaits.

J’en appelle donc aux pouvoirs publics : que la sieste devienne obligatoire.

Les citoyens vous le rendront au centuple : ils seront plus performants, ils décupleront d’efforts, ils permettront à la France de retrouver son lustre d’antan, la croissance s’envolera, le chômage disparaîtra, la xénophobie reculera, mon banquier sourira, ma concierge me saluera, le chauffeur de taxi m’accueillera les bras ouverts.

Ce sera gagnant-gagnant.


Et moi je pourrai enfin m’adonner à ma passion favorite sans culpabiliser de trop.

Rien de pire qu’une sieste gâchée.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                               Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

3 commentaires pour “Eloge de la sieste”

  1. Et pourtant ici en Gréce tout le monde fait la sieste !

  2. Certains climats, dès l’Antiquité, portèrent les humains à la sieste (« sexta hora », sixième heure, la plus chaude au soleil). L’espagnol adopta le terme et rares sont aujourd’hui encore nos voisins d’outre-Pyrénées qui, aussi « honnêtes travailleurs » soient-ils, « réintègrent leur bureau » dans la pleine chaleur post-méridienne. Même avec la climatisation, comment n’y rechigneraient-ils pas ? De même en va-t-il en Afrique du Nord, et ailleurs

    Votre passion de la sieste éclate. Rêvassez donc, « à mi-chemin entre la réalité et [votre] univers intérieur », que les dieux vous gardent durant cette demi-heure de laisser-aller, dont vous sortez ragaillardi – tout neuf même, à vous lire. L’on se risquerait presque à vous soupçonner de quitter alors les couches rustiques et grasses, voire grossières ou franchement scatologiques, du lexique pour céder aux vocables enchanteurs, sinon éthérés, dont votre blog atteste moins la fréquentation habituelle. Ainsi, votre rêvassant, votre amène « J’avoue » (confession presque furtive vous distinguant d’un saint Augustin qui, lui, consacra cinq cents pages à ses aveux) rassure.

    À cachottier qui se livre, la gratitude est due.

    L’effet apaisant de la sieste est néanmoins aussi avéré que discuté. Vu l’état actuel de la France, l’on doute que la sieste suffise à rasséréner les citoyens. Des comas artificiels intermittents, peut-être ; ou plus sûrement, quelque deux ou quatre cures de sommeil. Trimestrielles, de préférence. Optons plutôt pour la matinale et rageuse salve de cris que le Nippon adresse, chaque matin de jour ouvré, au portait du chef (d’entreprise) abhorré. Nul doute que tout Français qui se respecte trouvera, au moins, une personne publique à qui hurler sa détestation. L’apaisement succédera aux hurlements, vingt-quatre heures durant. Alors, les oto-rhino-laryngologistes comme les fabricants de prothèses auditives feront fortune. Et tant pis pour le trou de la Sécu !

  3. Mouais mouais mouais, ainsi vous dormez comme ça n’importe où, même pas un petit rituel ou une couverture fetiche? Mon chat se blotti dans le creux de mes jambes et ronronne abandemant, quand il a fini c’est l’heure de se réveiller. Je vous laisse.

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