Si d’aventure, la prochaine fois que vous empruntez le Thalys, vous apercevez un petit escogriffe, à moitié chauve, le nez proéminent, l’air mauvais, ressemblant trait pour trait à mon frère jumeau, en train de se diriger vers les toilettes en trimballant un sac de golf, c’est que votre dernière heure aura sonné.
Parce qu’avec moi et ma maîtrise des armes à feu, militaires américains ou pas, Jean-Hugues Anglade ou Béatrice Dalle dans le wagon, en caleçon ou en tee-shirt, ce sera le carnage assuré.
Rien à voir avec ce jean-foutre d’Ayoub El Khazzani pas foutu de recharger sa kalachnikov sans se prendre les pieds dans sa carabine.
Avec moi, ce sera propre, carré, méthodique, soigné.
Dans la pure lignée de l’excellence française telle qu’on me l’a enseignée lors de mon service militaire.
Tu armes, tu vises, tu tires.
C’était durant l’hiver 1991.
Au sein d’un bataillon de chasseurs alpins.
La crème de la crème.
Suite à une erreur informatique, par un concours de circonstances resté inexpliqué à ce jour, alors que comme tous les pistonnés de la terre, j’aurais dû accomplir mes classes en forêt de Fontainebleau à ramasser des champignons, je me suis retrouvé au beau milieu d’une bande de fous furieux bien décidés à transformer cette limace de Stabilovitsch en un tireur d’élite de tout premier plan.
Un jour de décembre, après cinq tours de caserne passés à hululer des chants d’amour et de paix, le sergent nous a dit ”aujourd’hui vous allez devenir des hommes, des vrais. Direction le stand de tir, on va apprendre à dégommer des Rouges ” (Le mur de Berlin venait de tomber, il n’avait pas eu le temps de mettre son logiciel à jour, le militaire n’étant pas forcément réputé pour sa dilligence intellectuelle )
On m’a tendu un FAMAS, le fusil de référence des forces françaises libres.
Chargé.
Avec des vraies balles. Des balles faites pour tuer. Des balles de mort.
J’ai pris le fusil ou plutôt c’est le fusil qui m’a pris.
Dire que je n’en menais pas large serait en dessous de la vérité.
Disons juste que j’avais les dents qui claquaient, le cœur qui battait à tout rompre, les jambes qui ne me portaient plus, les mains qui tremblaient, la bouche sèche, le souffle coupé, les yeux écarquillés.
J’avais entre les mains une arme capable de tuer.
De tuer vraiment.
Le sergent nous a expliqué le pourquoi du comment, les règles de sécurité élémentaires, la technique et la tactique, comment respirer, comment viser, comment recharger, la vitesse de la balle, la façon dont elle pénétrerait dans le cœur du Bolchevique de service, les dégâts qu’elle causerait, le trou béant qu’elle occasionnerait au niveau de sa poitrine.
C’était poétique à souhait.
On aurait dit Malraux pleurant du Rimbaud.
On s’est allongé, la cible était à deux cent mètres, le sergent a dit ”dégommez moi ces putains de Soviets, je veux voir le sang couler”, j’ai fermé les yeux, j’ai appuyé à trois reprises sur la gâchette, battant sans le savoir le record mondial de tir au FAMAS le plus rapide jamais enregistré depuis les guerres puniques ; je me suis relevé en beuglant ”deuxième classe Sagalovitsch, tir terminé sergent.”
Le sergent m’a regardé comme si j’étais Lénine en personne et quand il a lu mon nom sur ma veste de treillis, il n’a plus eu de doute. Sa compagnie abritait un putain de Bolchevique qui était en train de saboter les forces de l’Alliance.
Il faut dire que mes balles, au lieu de s’encastrer droit devant dans ma cible, avaient cru bon à mi-chemin de leur parcours de changer de direction et avaient préféré, non pas venir taquiner la cible de mon voisin de tir, ni même celle du voisin de mon voisin, mais celle se situant à l’extrémité gauche du stand de tir, défiant de la sorte toutes les lois de la balistique.
Un tueur était né.
Clint Eastwood avait trouvé à qui parler.
Le monde pouvait trembler, Billy the Kid avait enfin son digne successeur.
Les tentatives suivantes se soldèrent par le même résultat : avec une régularité exemplaire, je cartonnais toujours la cible la plus éloignée de mon objectif initial, mon seul souci étant de me débarrasser au plus vite de la cohabitation forcée avec cette arme dont je ne voulais rien savoir.
J’étais le tireur le plus inepte de ma génération et par ma maladresse assumée, je frôlais le génie.
C’est tout juste si je ne recevais pas la Croix de guerre pour mes prouesses répétées.
On venait de loin pour assister à mes démonstrations.
Jusqu’au jour où j’en ai eu assez.
Je me suis révolté contre ma propre incurie.
J’aurais eu l’air malin si demain les Allemands rouvraient leurs camps de vacances.
Je me devais de me prouver que moi aussi, comme tous mes camarades de classe, j’étais né pour tuer.
Alors j’ai pris mon FAMAS, je lui ai dit maintenant fini de jouer, je suis plus fort que toi, tu ne m’impressionnes pas, je vais te montrer de quel bois je me chauffe : je me suis allongé, j’ai bien retenu ma respiration, je me suis concentré, j’ai fait feu.
Ce jour-là, je suis devenu un homme.
Un vrai.
En une séance, j’avais abattu un régiment entier de Rouges, j’avais triomphé de ma peur, j’avais pris le pas sur mes hésitations.
Le sergent m’est tombé dans les bras.
Je le savais Stravinsky, putain je le savais depuis le début que t’étais un tout bon toi.
J’attends maintenant le coup de fil de Daesh.
La prochaine tournée c’est pour moi.
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Voilà! Merde. Celui-là, m’a encore fait rire. J’ai perdu ma mauvaise humeur. J’enrage!
Les cerveaux ne sont donc pas seuls à déserter le pays qui s’est saigné aux quatre veines pour les former. Ainsi, vous êtes prêt à aller dans la fournaise moyen-orientale faire montre des capacités qu’un sergent sachant chasser les chauds potentiels guerriers a débusquées et peaufinées chez vous ?! Quelle faute de goût ! Canadien, que vous ayez brigué une selle dans la Police montée, quoi d’étonnant ? Mais un roi de la culasse et du viseur formé dans les alpages de France, aller s’échauffer la crosse on ne sait où, au service de fanatiques assassins, que le Ciel, tout vide qu’il est, préserve néanmoins vos lectrices et lecteurs de constater un (sombre) jour que vous troquez pour de vrai le jet d’encre pour celui des pruneaux qui tuent.
– Garçon, inutile de remplir mon verre : je boirai seul.
– Mais vous ne voyez pas que M. Sagalovitsch plaisante ?!
– Ah, vous croyez ?