Nul aux échecs et pas fier de l’être


J’étais programmé pour être un génie des échecs.

Le digne successeur de Bobby Fischer ou de Gary Kasparov.

J’avais tout pour moi : un patronyme sentant bon les effluves de la Neva, le caractère introverti propre aux grands maîtres de la discipline, une imagination débordante prête à commander au destin de cavaliers capricieux, de tours ténébreuses, de dames hautaines, de fous solitaires, de rois frileux.

Un père plus prompt à disséquer à l’infini des parties d’échecs qu’à se passionner pour ses affaires et excellant bien plus dans le maniement de la diagonale du fou que dans la recherche de nouveaux clients.

Et désireux de voir son fils marcher dans ses pas au point de le bercer en lui contant les différences entre la défense Alekhine et la défense sicilienne.

De lui fourrer entre les mains, avant même qu’il ne sache lire, le bréviaire des échecs de Tartakover en le conjurant de l’apprendre par cœur et de l’adopter comme son livre de chevet.

Un père qui dut hélas déchanter en s’apercevant bien vite que son crétin de fils était plus doué pour tirer des coups-francs directs dans la lucarne que pour donner le tournis à ses pions ou à ses fous, condamnés dès lors à errer comme des âmes en peine sur un échiquier bien trop vaste pour eux.

C’est que j’ai toujours été irrémédiablement nul aux échecs.

Absolument nul.

De la race de ces joueurs atrocement médiocres qui, s’ils maîtrisent le mouvement des pièces et comprennent la finalité du jeu, s’avèrent en tout point incapables d’établir une stratégie élaborée, d’anticiper les coups de l’adversaire, de se projeter deux coups en avant, de tisser patiemment sa toile afin de provoquer la fatale erreur d’un cavalier trop orgueilleux pris en tenaille entre deux fous pernicieux.

Non, j’ai l’imagination d’un poussin, je me contente de bouger mes pièces sans réaliser que je les précipite vers un funeste destin, j’ai beau me concentrer, je n’arrive à rien, je ne vois rien, je n’anticipe rien, je découvre les coups tordus de mon adversaire au moment même où il les éxécute, je sacrifie une tour sans jamais toucher le dividende de cette offrande : je suis nul.

Et d’être aussi nul me rend fou de rage.

Je ne comprends pas.

Je ne suis tout de même pas le dernier des idiots.

J’ai lu La Défense Loujine de Nabokov, Le Joueur d’échecs de Zweig, j’ai vu Les Joueurs d’Echec de Satyajit Ray, disséqué le Septième Sceau de Bergman ; avec mon père, j’ai été à bonne école, je suis plutôt vif, j’ai du répondant, je suis capable d’écrire mentalement un roman par jour,  et pourtant quand vient l’heure de disputer une partie, je ressemble à un joueur de foot qui tomberait par hasard sur un monologue shakespearien, j’ai le regard hagard de l’empaffé de service qui continue à confondre Primo Levi avec Marc Levy.

Quand je joue contre l’ordinateur, je suis obligé de régler la mire pas plus haut que le niveau 2, celui où la machine évolue comme si elle venait d’avaler un litre de mescal, procède à un holocauste de ses pièces, se suicide au bout de cinq coups en envoyant sa Dame se balader derrière les lignes ennemies, laisse son roi se promener en string, abandonne ses tours sur l’aire de repos.

C’est que les échecs, tout comme le scrabble d’ailleurs, peuvent apparaître comme des  disciplines plus ou moins littéraires où pourtant seuls les esprits versés dans les mathématiques et la froide logique triomphent.

Il n’y a pas de place pour les sentiments aux échecs.

Il faut posséder un esprit parfaitement ordonné, à même de raisonner, d’anticiper, de prévoir, sans se laisser perturber par des affects ou des accès de sensiblerie.

Il faut être philosophe, calculateur, posséder cette intelligence abstraite, conceptuelle, analytique, capable d’établir des stratégies retorses en ne laissant rien au hasard, taire le romantisme qui menacerait de vous amener dans le fossé de vos illusions perdues.

Je ne possède aucune de ces qualités.

Je sais marier des mots entre eux ; je suis incapable de coordonner le mouvement d’un cavalier et d’un fou, de commander à une armée de pions de se positionner de telle manière qu’ils laissent la route libre à une Dame, exécutrice de mes sombres desseins, de fomenter des coups d’état sur un Roi bien à l’abri dans l’antichambre de son château.

C’est un handicap lourd à porter.


A cause des échecs, ma vie est un échec.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

10 commentaires pour “Nul aux échecs et pas fier de l’être”

  1. Jouer aux echecs, c’est comme avoir une tronçonneuse de 15 kg dans chaque main et d’essayer de tuer quelqu’un qui a aussi une tronçonneuse de 15 kg dans chaque main .

    Donc, une bonne méthode pour être moins nul à ce jeu, c’est d’attendre que l’adversaire fasse un faux mouvement et se coupe lui même une main, un bras, un torse…..

  2. « Il n’y a pas de place pour les sentiments aux échecs », écrivez-vous. Ne vaudrait-il pas mieux supposer que le jeu d’échecs n’est pas à l’abri du surmoi du jeune joueur ? Un père – hypothèse, dont on ne doute guère que vous l’ayez vous-même formulée un jour – qui préfère les excitants échecs, aux combinatoires à quatre ou cinq coups d’avance, à la plate « recherche de nouveaux clients », est une personnalité intimidante pour son fils.

    Cela précisé, vos arguments sur le fossé existant entre un esprit soumis aux charmes de « la folle du logis », ainsi que Blaise Pascal surnommait l’imagination, et un esprit qui ne « se [laisse pas] perturber par des affects ou des accès de sensiblerie » sont assurément convaincants. Mais enfin, Xavier Tartakover – tout génial joueur d’échecs qu’il fut – était, aux dires de ses contemporains et de ses pairs de jeu (dont certains ne l’étaient pas moins…) fort irascible. À défaut de grand maître d’échiquier, il ne vous eût sans doute pas déplu d’être un irascible vous-même… Mais n’auriez-vous pas, sans le génie des échecs, quelques accès d’irascibilité ?

    C’est dire qu’au fond, pour démarquer un refrain du [bientôt ex-] Johnny national d’une majorité (sondagière) des Français : « Il y a quelque chose en [vous] de Xavier Tartakover ». Le répéter à la ronde (sans exclure la mince) mettrait dans de nombreuses mémoires le nom d’un orphelin qui quitta, à douze ans, sa Russie natale car sa mère et son père y furent assassinés, durant un pogrom, parce que juifs.

    L’avoir fait connaître est loin d’être « un échec » de votre vie.

  3. L’article est fort intéressant mais très éloigné d’une partie d’échecs.
    Si on doit vous expliquer la diférence entre la défense alekhine et la défense sicilienne …Effectivement l’auteur de cet article est vraiment nul.Je pense surtout que les échecs n’intéressent pas l’auteur car une partie d’échecs est un combat dont on doit connaître tous les aspects pour terrasser son adversaire,une partie reste profondement encrée dans la tête d’un joueur d’échecs, on ne joue pas aux échecs pour se donner un air intelligent mais pour détruire la postion adversaire jusqu’à l’abandon de ce dernier.Construire une stratégie, anticiper les coups adverses, réaliser des coups sublimes (sacrifices de pièces,zugzwang,…) et matter voila le but d’une partie ….mettre son adversaire aux supplices mentalement.

  4. L’essentiel, c’est de prendre du plaisir à jouer ( même mal ). Si c’est pour souffrir, pourquoi vouloir jouer aux échecs ? Si on ” ne possède aucune de ces qualités ” nécessaires pour bien jouer et si on en souffre, on peut faire, à la place, plein d’autres choses passionnantes. Comme écrire des bêtises sur le Jeu d’Echecs…. par exemple.

  5. Que savez-vous, et par là-même que savons-nous de la capacité du poussin à imaginer ?
    Merci de votre attention.

  6. Avez-vous déjà joué à des jeux de stratégies, que ce soit de type plateau ou vidéo ? Arrivez-vous à construire une stratégie dans ces cas là ?

  7. finalement ce blog remplace votre analyste et vous coute moins cher!
    Mais tout psy vous dira que sans payer çà ne marche pas!
    Je vous envoie donc la facture! 🙂

  8. nul aux echecs !
    essayez les reussites,

  9. Aux échecs comme partout ailleurs le pragmatisme et le romantisme rivalisent : le romantisme gagne un peu, le pragmatisme gagne beaucoup, le premier cherche la beauté, l’âme et la folie du jeu, le deuxième les trouve parfois au hasard des parties. Bien sûr qu’il y-a de la place pour les sentiments, sans eux le jeu n’en serait pas un, mais ce ne sont pas eux qui materont le roi adverse pour sûr.

  10. je crois que pour gagner aux échecs, il ne faut pas jouer pour gagner des pions, mais pour ne pas en perdre ^^

    Une irascible torture pour les impatients, les fougueux, les prétentieux et les joueurs de casino.

    Mais la qualité fondamentale d’un joueur d’échec à mon sens est avant tout sa mémoire. Il faut savoir mémoriser sur le long terme des stratégies, et sur le court terme les coups anticipés. Compliqué…

    Maintenant je joue beaucoup aux échecs à 4 joueurs sur des plateaux spéciaux. Lot of fun…

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