Confession d’un élève qui s’est toujours ennuyé à l’école


Je me suis toujours ennuyé à l’école.

Du matin au soir.

Du lundi au samedi.

De septembre à juin.

Classe après classe.

Je n’ai été ni un élève brillant ni un cancre absolu, juste un écolier, puis un collégien et enfin un lycéen parfaitement anonyme, d’une médiocrité absolue, s’efforçant juste de donner le change afin de contenter tout autant mes parents que mes professeurs.

Réussissant dans cette tâche avec plus ou moins de bonheur.

Sans aucune appétence particulière pour le travail, je traînais mon ennui d’heure en heure, de discipline en discipline, de salles de classes en salles de classes, écoutant d’une oreille distraite les savantes péroraisons de mes maîtres, que je m’efforçais de recopier sur mes cahiers transportés dans mon cartable avec le même enthousiasme qu’un employé des pompes funèbres retournant la terre fraîche pour accueillir un prochain cercueil.

Je n’étais ni heureux, ni malheureux, juste désireux que la journée s’achève enfin pour que je retrouve ma liberté, le décor familier de ma chambre où je pourrais à loisir m’oublier dans la lecture de mes livres préférés, reprendre le cours des parties de foot disputées dans le couloir de notre appartement contre des adversaires imaginaires, renouer avec cette vie secrète dont mes professeurs ne savaient rien.

Je ne chahutais jamais, je n’arrivais jamais en retard, je ne me faisais jamais remarquer, j’essayais d’apparaître le plus invisible possible, je restais impassible sur ma chaise à attendre que les secondes se transforment en minutes, les minutes en heures, les heures en journées, les journées en années, le regard rivé à la fenêtre où je sympathisais avec des oiseaux de passage.

J’étais là tout en n’étant pas là.

J’avais des amis que j’aimais bien, les mêmes camarades que je retrouvais année après année avec le même mélange de joie et de soulagement, ces mêmes figures familières qui permettaient de rendre supportable le carcan de cette existence passée entre les murs d’un lycée parisien aussi grand que laid, aussi fonctionnel que monotone, aussi triste que gris.

Je ne comprenais pas bien l’intérêt d’étudier, d’emmagasiner ces amas de connaissances dont je soupçonnais déjà la parfaite inutilité quand sonnerait l’heure de se lancer dans le grand bain de la vraie vie, ces équations, ces déclinaisons, ces règles qu’il nous fallait apprendre par cœur pour ne point être écarté du vaste troupeau des collégiens qu’on tenait en laisse afin de les mener à l’abattoir nommé baccalauréat.

Ce qui me frappe le plus avec le recul, c’est l’absence de toute joie.

Apprendre devrait être une fête de l’esprit tous les jours recommencée, et pourtant je ne me souviens d’aucun moment où j’ai pu sentir la palpitation de l’intelligence fondre sur mon cœur, où j’ai ressenti ce frisson d’être différent de celui que j’étais une heure avant, cette élévation de l’âme que seule la lecture sauvage de romans lus dans l’anarchie carnassière du vrai dévoreur de livres me permettait d’entrevoir.

Les mathématiques m’ennuyaient, les sciences physiques me désolaient, les sciences naturelles me désespéraient, l’apprentissage de langues étrangères me navrait, l’étude de la grammaire et de l’orthographe m’assommait, la confrontation avec des textes classiques me plongeait dans un désespoir sans fin, le récit des conquêtes napoléoniennes me laissait de marbre.

J’aimais apprendre par moi-même ; je ne voyais pas l’intérêt d’écouter les ratiocinations d’un professeur au sujet de la révolution française dans le décor chagrin d’une salle de classe, alors que j’aurais pu au même moment être allongé dans l’herbe occupé à dévorer les biographies de Marie-Antoinette ou de Fouché par Stefan Zweig.

Je n’ai rien retenu de mes années de lycée.

Elles ont sûrement contribué à façonner l’être que je suis devenu mais seulement parce que je me suis opposé à elles, que je n’ai pas voulu me laisser broyer par elles, que j’ai lutté de toutes mes forces pour ne point être englouti dans le sérieux d’une vie adulte qui m’apparaissait et continue à m’apparaître comme ce long et interminable et désespérant chemin vers la mort.

Au fond, je suis resté un enfant.


C’est ce qui m’aura sauvé.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                              Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

5 commentaires pour “Confession d’un élève qui s’est toujours ennuyé à l’école”

  1. Excellent article !
    Merci Saga d’avoir mis des mots sur mes maux. Je n’aurais pas fait mieux.

  2. Ô moi aussi quel ennui terrible..! Alors j’ai passé ma scolarité à faire l’école buissonnière, en fournissant le strict minimum pour assurer.
    Le dimanche soir était synonyme de déprime intense car le lundi revenait toujours…

  3. Et si l’état de traîne-ennui à l’école était quand même plus honorable que celui de traîne-savates dans la vie ? Ainsi peut-on, malgré une propension… réfrénée au travail scolaire et au renouvellement des souliers usagés, mener une vie finalement honorable. Peut-être en eût-il été autrement si vous aviez connu l’internat, avec trois seules césures l’an : Noël, Pâques et grandes vacances. Encore s’y faisait-on, comme aux douches (à peine) tièdes.

    C’est la transmission des savoirs initiaux qui, sans gratifications des maîtres et/ou des parents, est parfois ressentie comme une corvée dont l’intérêt échappe. Ensuite, tous les professeurs du Secondaire n’abreuvèrent pas les élèves de « ratiocinations ». On en connut d’exaltants (en général, pas exaltés) ! Vous n’eûtes sans doute pas de chance. Mais enfin, comme vous aviez le goût d’ « apprendre par [vous]-même », vous sûtes avec profit compenser votre quasi métaphysique ennui. Au reste, quel élève n’a jamais souhaité, au moins par intermittence, des journées scolaires plus brèves ?

    Quant à l’opposition aux enseignants, au savoir qu’ils nous transmettent, elle survient à des âges divers. La sage rébellion ou, plus simplement, l’esprit critique s’exerce un jour chez le disciple ; les déclics varient ; il est grave qu’il ne s’en produise pas… Souvent, singulièrement aujourd’hui, discernement et sens critique se résument à des positions systématiques de contrepied. Certaines sont si peu étayées d’arguments qu’elles pèchent par défaut de consistance, lassent l’un, ou l’autre, ou les deux débatteurs, à coup sûr les lecteurs, auditeurs et spectateurs. C’est ainsi que les médias informent assez mal, éclairent peu, ennuient considérablement et poussent délicieusement au crime de lèse-journaux, au profit d’essais et de fictions bien plus séduisantes et nourrissantes pour l’esprit.

    Voilà aussi pourquoi l’on vous trouve sévère pour vos maîtres scolaires et (vous seul en jugerez) familiaux.

  4. Eh bien je vous plains sincèrement ! Pour cela et pour tout le reste, car vous devez être très malheureux ! Bonne chance à vous !

  5. Si l’école apprend l’ennui, c’est magnifique. Savoir s’ennuyer, accueillir l’ennui : des compétences trop oubliées de nos jours …

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