Arrive dans la vie d’un homme ce moment honni où il lui faut, plus par nécessité que par envie, déambuler dans les magasins de sa ville afin de renouveler cet outil indispensable à la bonne marche du monde, cette chose qui n’a d’autre intérêt à proposer à son utilisateur que de rendre plus aisé son déplacement journalier de son immeuble vétuste à son supermarché favori, j’ai nommé la paire de chaussures.
Il est à noter que la plupart du temps, l’homme ne se rend pas compte que sa seule paire de pompes, achetée il y a une bonne décennie, a dépassé depuis des lustres sa date de péremption : c’est seulement les remarques répétées de son entourage, les regards dégoûtés des autres passants, les remontrances incessantes de sa compagne qui finissent par le convaincre de l’absolu besoin de divorcer de ses loqueteux souliers au profit d’une paire plus présentable.
Ne les trouvant point en vente libre à sa supérette de quartier où, entre un pack de lait, une boite de sauce tomates et un paquet de chips, il en aurait volontiers fait l’acquisition, le voilà forcé et contraint de se rendre en un endroit des plus saugrenus, hantés par des vendeurs n’ayant toujours pas compris la raison de leur présence en ces lieux hostiles, où se trouvent être jetés comme des réfugiés climatiques sur des étagères penchées, des myriades de paires de brodequins attendant tous d’être adoptés par des pieds charitables.
Le problème étant que rien ne ressemble autant à une paire de chaussures qu’une paire de chaussures, hormis quelques superficiels détails comme la taille, le poids et la forme des pompons rivés à la languette.
La même gueule patibulaire, la même terminaison en ovale plus ou moins pointu, la même hideuse configuration alliant une semelle lisse à une forme vaguement allongée, griffée ici et là de quelques motifs représentant des arabesques d’une indigence rare, où viennent mourir des lacets épuisés d’avoir croisé le fer avec des ouvertures chichiteuses entre lesquelles ils ont eu toutes les peines du monde à se frayer un chemin.
Une paire de chaussures est par essence d’une laideur incomparable.
Si vous vous surprenez à fixer sur elle un regard long de quelques secondes vous finirez par vous apercevoir qu’elle ressemble en tout point à un poisson avarié venant de succomber à un infarctus des plus soudains, intervenu au moment de reprendre son souffle, lui donnant l’apparence d’un hublot donnant à voir une mer d’immondices.
Et le prix ne change rien à l’affaire.
La personne qui ose dépenser plus d’une trentaine d’euros pour acquérir une chiure pareille souffre à coup sûr d’une dégénérescence mentale aggravée, d’un tel divorce avec le monde alentour, d’une distorsion avec le réel si profonde que seule une trépanation réussie parviendra à lui rendre toute sa raison.
Je puis comprendre à l’extrême rigueur qu’on puisse s’enthousiasmer pour un blouson, un chapeau, une chemise, un gilet, un veston, autant d’apparats visibles susceptibles de donner à celui qui les arbore une certaine élégance, un vague sentiment de porter beau, une manière de redonner à son corps un lustre depuis longtemps disparu, mais qu’attendre au juste d’une paire de babouches bien souvent cachées derrière un ourlet l’encerclant de toutes parts ?
C’est à peine si on les remarque car il faut être tout de même sacrément tordu pour s’intéresser de près à ce qui sert avant tout à masquer une paire de pieds sentant bon la sueur et la transpiration et permettre à sa voûte plantaire de fouler le bitume sans s’écorcher la peau, tout en la préservant du contact de déjections canines peu ragoûtantes.
Une chaussure sert à marcher, point barre.
Point à plastronner ou à fanfaronner ou à se la jouer comme Smalto.
Après avoir erré dans un magasin à la recherche d’une perle rare qui métaphysiquement ne pouvait exister, supporté une ambiance musicale ressemblant à une démo de New Order sous chimiothérapie, couru un marathon afin de me mirer dans le seul miroir situé au sous-sol du magasin, j’ai fini par dégoter une paire aussi inintéressante que possible : marron mais point trop, semelle juste assez blanche pour déceler toute apparition d’un début de fatigue existentielle et lacets tout aussi blancs en accordéon.
Et surtout enrobés dans un carton d’une magnificence telle que mon chat est venu baiser de ses moustaches reconnaissantes le cuir sentant neuf, avant de se contorsionner dedans avec la grâce d’une ballerine enfilant sa paire de pointes avant de se livrer à des entrechats virevoltants.
Maigre récompense.
Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )
On aimerait voir une photo de la paire.
Vous avez eu l’intelligence de ne pas y aller au moment des soldes. Il aurait sinon fallu ajouter à votre supplice des pastilles colorées dont l’hermétique signification a perdu plus d’un mâle accompagnant sa compagne.
“maigre récompense” pour le chat se servant de cette boîte ? Fi, si je puis me permettre : http://www.quandletigrelit.fr/le-chat-et-sa-boite/
Vous êtes fatigué ??
Panne d’inspiration ?
Si l’entourage, les passants dégoûtés, une compagne en proie à la honte s’émeuvent ou s’ulcèrent de vos souliers délabrés, pourquoi noter plus bas que, les pompes, « c’est à peine si on les remarque » ? Néanmoins, la grolle intéresse, et pas seulement le député caresseur de pieds féminins ! (Par parenthèse, les godasses de ces dames devaient être si avachies que les leur ôter fut pour lui la seule façon de ne pas violenter l’esthétique. Cela lui valut, hélas, une addiction coupable. Le tribunal eût pu lui accorder les circonstances atténuantes. La Justice, là, défaillit.)
Le fétichisme du peton, en tous cas, vous a épargné. Excellente chose.
Des goûts et des couleurs, nous ne disputerons pas ; on n’en rappellera pas moins que le sabot du Père Noël est un réceptacle qui enchanta des millions et des millions d’enfants. Mais l’agilité d’esprit – que l’on va proclamant – de nos jeunes descendants rend la socque, la galoche et jusqu’au sabot scandinave, obsolètes : les gosses raflent les cadeaux presque avant qu’ils ne soient déposés au pied du sapin !
Toujours est-il que votre billet du 19 mai 2015 mérite un archivage avec étoile(s) : l’ichtyologue, savant à l’affût de nouveautés pouvant accroître son savoir poissonneux, ne manquera pas de retenir que des chaussures, pompes, godasses, mules, babouches, etc. peuvent ressembler à un « poisson avarié venant de succomber à un infarctus ».
Un programme propre à relancer une carrière de chercheur !
… à moins de 100 euros en général c’est du skaï qui pue et qui fait mal au pieds, non merci.
L’achat de chaussure est pour moi aussi une telle corvée, que j’en achète toujours 5 ou 6 paires en même temps, histoire d’être tranquille pendant un moment. L’autre avantage d’en acheter plusieurs paires, c’est qu’on peut en changer chaque jours. Cela permet de les user moins vite et donc faire durer d’avantage l’intervalle de temps qui nous séparera de la prochaine visite chez le marchand de chaussure.