A l’heure où j’écris ces lignes, on ne connaît toujours pas l’identité du petit salopard qui s’en est allé cafter aux personnes concernées les sommes dépensées par la Présidente de l’Ina relatives à son usage quelque peu exagéré de taxis sommés de la transporter de réunions en réceptions, de pince-fesses en cocktails divers et variés, de soirées privées en sauteries dominicales.
Son chauffeur particulier, jaloux de voir ses prérogatives lui échapper au profit de conducteurs de taxis roulant comme des eunuques ?
Son illustre prédécesseur, le désormais célèbre Mathieu Gallet, représentant en meuble à Radio-France, toujours pas remis d’avoir quitté l’Ina sans avoir emmené avec lui la moquette de son ancien bureau ? Ou bien le propre fils de l’incriminée, vexé de s’être vu refuser le recours à un taxi pour emmener son hamster se dérouiller le museau en forêt de Fontainebleau ?
Ou encore un simple quidam comme moi, toujours aussi furibard de constater que pour accéder à une retransmission d’Apostrophes ou de Radioscopie, il lui faut verser chaque fois à l’Ina quelques quatre euros de bon aloi afin de visionner des émissions qui, faut-il encore le rappeler, furent déjà financées en leurs temps par l’argent public ?
Nul ne le sait.
Cependant, ne comptez pas sur moi pour accabler cette pauvre Agnès Saal.
C’est que, tout comme elle, je souffre du même mal des transports et tout particulièrement du métro.
Que voulez-vous, c’est là l’apanage des gens sensibles.
Cette promiscuité forcée, ces odeurs nauséabondes, ce contact insupportable avec toute la misère humaine, ces vagabonds chanteurs criards de variétés, ces clochards moldaves magiciens de l’éphémère, ces jeunes de banlieue à la langue bien pendue, ces travailleurs solitaires perdus dans la lecture de leurs journaux gratuits, voilà de quoi rebuter des âmes supérieures comme les nôtres, à Agnès et moi.
Vous n’imaginez tout de même pas la directrice de l’Ina, la directrice de l’Ina hein, pas la thénardière du bar-tabac de l’avenue Jean Jaurès, présenter son passe navigo quatre zones au poinçonneur des Lilas, crapahuter dans les crasseux couloirs du métro, cavaler de stations en stations, s’engouffrer dans des wagons bondés, subir les quolibets de la populace, changer à Châtelet-Les-Halles pour espérer choper le RER A qui, en dix-huit minutes pétantes, la déposera dans la gare désolée de Bry sur Marne où il lui faudra encore cheminer dans les mornes rues de la cité endormie avant d’espérer rejoindre le siège de son auguste entreprise ?
Est-ce que vous vous rendez seulement compte de l’importance vitale que représente l’Institut des Archives Nationales pour le pays ?
Un métro qui s’accorde une pause pipi entre Raspail et Vavin, occasionnant un retard de Madame la Présidente, et voilà l’équilibre du monde entier qui vacille sur son socle.
Une grève soudaine décrétée par des machinistes en colère après l’agression d’un des leurs, et c’est la France qui ne répond plus de rien, c’est notre sécurité intérieure qui part à vau-l’eau, c’est notre arsenal nucléaire qui passe à l’ennemi, c’est la fin des haricots, c’est le début de la fin, c’est le commencement de la bérézina, c’est tout bonnement le retour des taxis de la Marne, et les fantômes de Verdun qui ressuscitent.
Ni plus ni moins.
Et ne croyez pas un seul instant que c’est de gaieté de cœur que tous les matins Madame Agnès Saal s’engouffre dans sa berline direction Bry sur Marne et ses mornes plaines.
Il n’existe pas de pire souffrance que de se coltiner jour après jour la présence d’un chauffeur amorphe, accroché à son volant comme une moule bretonne à son rocher finistérien, de se farcir semaine après semaine son regard torve, proche de celui d’un saumon congelé, qui vous dévisage sans scrupules dans son rétroviseur, d’écouter tout au long de l’année ses mêmes blagues douteuses ou ses sempiternelles remarques sur le connard de devant qui n’avance pas, de subir ses coups de volant brusques, de sentir son after shave atroce de puanteur, de supporter ses humeurs changeantes selon que les branquignols du PSG aient gagné ou perdu, de le voir se plonger dans la lecture de l’Equipe en attendant votre retour.
Horrible sort que celui d’un haut fonctionnaire !
Misérable existence vouée à servir l’Etat de droit dans toutes ses missions régaliennes.
Vie de labeurs, de sacrifices et d’endurance qui ne peut souffrir d’aucune compromission.
Et qui vous oblige, en cas de nécessité absolue, à siffler un taxi pour aller à la cueillette aux champignons.
En forêt de Bry sur Marne.
Avec Agnès et même pas à bicyclette.
Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )
A lire aussi : https://blog.slate.fr/sagalovitsch/2013/11/15/pour-revoir-apostrophes-cest-3-euros-99/
Une véritable descente sur terre, magnifique !
Comme souvent, vous prenez dans ce blog la défense des serviteurs de l’État. Les Français décrient tant les bas et hauts fonctionnaires de la République, telle l’énarque Agnès Saal, que votre plaidoyer mérite un coup de chapeau. Vous ne tarissez pas d’arguments, tous aussi pertinents les uns que les autres, démontrant combien la fonction de présidente de l’Institut national de l’audiovisuel requiert compétences et ardeur à la tâche, ne fût-ce qu’ en raison d’inévitables migrations pendulaires en Île-de-France même, augmentées d’une kyrielle d’autres déplacements tous azimuts. Kilométriquement lourds pour qui possède pas une automobile personnelle, ils sont éprouvants pour une personne qui, n’en disposant pas, se voit imposer, avec le véhicule de fonction à elle attribué, un chauffeur (au lieu d’une conductrice) avec qui, semble-t-il, elle ne partage qu’assez peu d’atomes crochus.
Malgré quelques réserves qui ne sont d’ailleurs pas imputables, en l’occurrence, à madame la Présidente – l’on y reviendra infra –, vous soulignez à juste titre, avec une très profonde empathie, son « horrible sort » de haut fonctionnaire, sa « misérable existence vouée à servir l’État de droit dans toutes ses missions ». Acceptez donc la réitération des félicitations que l’on vous adressait ci-dessus.
L’on regrettera néanmoins qu’emporté par l’élan chaleureux de votre plaidoirie en défense d’Agnès Saal, actuelle présidente de l’INA, vous n’alliez pas jusqu’à préciser qu’en aucune façon, elle ne peut être tenue pour responsable du double débours (non seulement fiscal mais aussi commercial) imposé au citoyen contribuable qui utilise telle ou telle des archives conservées par l’Institut. Vous conviendrez, l’on n’en doute pas, que cela devait être dit.
Il me semblait qu’au XXIème siècle il existait des moyens audiovisuels modernes pour faire des réunions à distance, ce qui évitait de perdre du temps et de l’argent en déplacements et locations de salles inutiles? j’ai dû rêver….
Skype et autres ne remplaceront jamais une vraie réunion, Anny-Claude. On voit bien que vous êtes en décalage par rapport au monde du travail.
4 € pour une vieillerie ringarde — par définition — au temps de l’instantané, du selfie autosatisfait et du plaisir immédiat et sans limite ?
Fossile, va.