On doit appeler cela un cas d’école.
Un président d’une grande institution de la République qui, à peine nommé, débarque dans son nouveau bureau et manque de s’évanouir en découvrant les goûts de chiottes de son prédécesseur.
La moquette hideuse, le bureau repoussant de laideur, le fauteuil en berne, les chaises mal foutues, les peintures à dégueuler, la boiserie qui part en couille, la corbeille déglinguée, le porte-document fatigué, le repose-téléphone tout pourri, les trombones à vomir, les stylos rapiécés, le bloc-notes immonde.
“Pas possible de bosser dans un environnement pareil, ce n’est pas un bureau, c’est une cahute d’Emmaüs votre truc, changez-moi tout ça bordel, on se croirait dans une succursale du Crédit Agricole de Mourmelon, j’ai été nommé Président de Radio France, pas directeur du Lycée Pierre Perret à Trifouillis-les-Oies.”
Bien Monsieur le Président.
Le président en question se nomme Mathieu Gallet et il est en charge de Radio France depuis mai 2014.
Pour cent mille euros, il s’est offert un bureau tout neuf.
Il faut dire que celui laissé par son prédécesseur était bougrement ancien : il datait tout de même de 2013 et on n’imagine pas à quelle vitesse le bureau d’un haut commis de l’État se détériore, victime de mauvais traitements infligés par le maître de céans affairé du matin au soir à taper du poing dessus pour se plaindre du manque de moyens mis à sa disposition pour mener à bien son importantissime mission.
Pour sa défense Monsieur Gallet a avancé que le seul coût de la réparation des boiseries, un trésor national paraît-il d’une valeur inestimable et apparemment en grand danger, s’élèverait à 70 000 euros.
Admettons, admettons.
Reste 30 000 euros.
Et là je m’interroge.
Il se trouve que l’année dernière moi aussi, suite à ma nomination en tant que nouveau locataire de ma nouvelle adresse, j’ai dû remplacer en intégralité mon bureau, l’ancien dépositaire des lieux ayant eu l’incroyable indélicatesse d’emporter le sien avec lui.
Si bien que par un beau matin d’octobre, j’ai dû me résoudre à me rendre dans un grand hangar suédois, situé en périphérie de la ville, d’où j’en suis reparti avec une magnifique planche en bois recouverte d’un vernis noir du plus bel effet, de deux tréteaux rouges et d’une chaise ergonomique à roulettes capable de parcourir la distance bureau/cuisine en moins de trois secondes.
J’en ai été quitte pour débourser la royale et astronomique somme de 200 euros, à laquelle j’ai dû rajouter une dizaine d’euros consacrés à l’achat de harengs marinés et de saumon fumé, éléments de la première importance sans lesquels mon bureau aurait manqué singulièrement de cachet.
J’avoue, concernant le hareng, j’ai toujours eu des goûts de luxe.
Bref, j’ai beau chercher, je me demande comment diable le Mathieu s’est débrouillé pour dénicher un bureau et quelques chaises capables de coûter 30 000 euros.
Il s’est fourni au Ikea du Château de Versailles ou quoi ? Il carbure au caviar de harengs ?
C’est que je viens de regarder sur le site du géant suédois, le prix maximum proposé est de 799 euros, somme pour laquelle vous avez droit à un bureau Bekant en plaqué bouleau de couleur blanche ou grise de 160cm sur 110cm, garantie dix ans, proposant un plateau de forme ergonomique qui “soulage la tension dans les avant-bras et les poignets quand vous écrivez tandis que le passe-câbles sous le plateau de table vous aide à garder votre bureau net et ordonné et offrant la possibilité de travailler en station assise ou debout ”.
C’est pas beau ça, Mathieu ?
Pile-poil ce que tu cherchais, non ?
Certes, je te l’accorde, et c’est là toute l’astuce et l’explication d’un coût si modeste, il faut le monter soi-même.
Mais bon, ne me dis pas que parmi les 4000 troufions qui travaillent pour toi, tu ne vas pas en trouver un capable de te filer un coup de main ?
Ils sont en grève tu dis ?
Parce que tu veux instaurer un plan drastique d’économies qu’ils refusent obstinément ?!!!
Ah les rats.
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Bah, ce n’est pas grave : ce brillant jeune homme finira chroniqueur pour Slate.fr ! ^^
Effectivement, si ce n’était pas dramatiquement scandaleux dans le contexte actuel de Radio France comme dans le cadre plus large des restrictions budgétaires, ce serait à se rouler par terre de rire. Comme on dit par chez nous (vers le Sud) : “il y en a qui n’ont vraiment pas de figure !”
Êtes-vous sûr, Monsieur, que l’exagération inhérente à l’humour soit perçue par tout le monde ? À quatre reprises, oui, je dis bien : quatre (sans doute étais-je très fatigué), j’ai dû lire ce post pour m’aviser que vous n’appeliez pas les lecteurs à la compassion : un si jeune président de Radio France, 38 ans, et déjà fort atteint par une phobie obsessionnelle aussi avancée ! Pour les siens et ses proches, quelles souffrances ! Imaginons-le en mission, découvrant la suite du palace où il dormira durant un séjour d’une huitaine : refaite de fond en comble depuis déjà six mois ! D’où requête quasi comminatoire du Président de Radio France à l’adresse du Directeur du palace (mal) choisi par le staff – oui, le président dispose d’un staff d’une dizaine de personnes – : « Monsieur, vous me faites refaire l’ensemble de la suite comme suit [indications précises, matériaux, couleurs, etc.] et dans les deux jours ! Pendant lesquels, évidemment, je logerai, aux frais de votre hostellerie, dans le palace, plus étoilé, de l’avenue voisine ! » Et, sans toucher la robinetterie, de se laver compulsivement les mains avec des eaux minérales : plate, puis gazeuse, commandées au service d’étage, dont un des membres asperge les douillettes mains du président à la cadence par le même hurlée, avant de lui tendre un manuterge immaculé.
Las, le table raseur Mathieu Gallet appartiendrait plutôt – ce n’est pas loin d’être une pathologie, tout en restant le « cas d’école » évoqué – à la catégorie des parvenus, dont le nombre (et les dépenses) vont augmentant, à tous niveaux, dans la Cinquième République. À telle enseigne que l’on se demande si, avec l’âge, elle n’aurait pas pour ambition de dépasser en somptuosités le décadent Empire romain.
Quelques-uns de nos ancêtres se signalèrent par de mémorables propos. Mirabeau, député du Tiers État, au marquis de Dreux-Brézé : « […] je vous déclare que si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici [l’Assemblée], vous devez demander des ordres pour employer la force ; car nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes ». Au siècle suivant, lors du siège de Sébastopol, à l’officier anglais venu lui dire que la redoute de Malakoff – fraîchement prise – est minée, le général Mac Mahon aurait répondu : un « J’y suis, j’y reste », échappé à un crétin et/ou à un suicidaire. Le jeune président de Radio France, lui, honnissant le mauvais goût – goût dont cependant il est bienvenu de disputer – de son/ses prédécesseurs, extorque cent cinq mille euros au contribuable. La rumeur se répand qu’il aurait appuyé sa commande du propos martial suivant : « La place gagnée, devrais-je cracher sur ses avantages ? » L’on subodore néanmoins que quelques médisants ont fait courir la formule, selon la stratégie qui, de très longue date, meut tous les calomniateurs : « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ».
Il reste bien une facture. Pourquoi donc ne pas la prélever sur le traitement du jeune président, par mensualités dûment convenues, jusqu’à ce que cette dépense somptuaire soit remboursée intégralement au contribuable ?