La sauvegarde des librairies, le dernier combat à mener

                                                                                                                                                                                                                                                            Selon une récente étude, en l’espace de quatre ans, 83 librairies parisiennes auraient mis la clé sous la porte, soit près de de 10 % de l’ensemble des espaces dédiés au domaine du livre.

C’est beaucoup, beaucoup trop, même si comparé à d’autres villes de la même envergure, Paris s’en sort plutôt bien.

Je n’ai vraiment pas un goût immodéré pour la capitale de la Gaule, vieille dame fatiguée atteinte d’une vilaine et incurable attaque de goutte, mais s’il y a bien une chose que l’exilé en sa lointaine retraite regrette, c’est cette floraison de librairies en tous genres égayant les rues et les avenues de l’antique cité.

Tant il est vrai que tous les amazones du monde, aussi avenantes soient-elles avec leurs jambes parfaitement musclées et leurs torses puissants, ne remplaceront jamais les charmes si particuliers d’une librairie de quartier.

Je ne connais encore personne qui, fréquentant des sites de commerce en ligne, ont pu succomber à cette sorte d’exquise ivresse quand, entrant dans ces boutiques discrètes où sommeillent des milliers de livres, vous succombez au doux vertige d’être entouré d’une myriade d’ouvrages qui ont tous des histoires à vous conter, des secrets à vous révéler, des aventures à vous dévoiler.

Quand soudain votre cœur palpite un peu plus fort en tombant par hasard sur un livre qui pour une raison inconnue – son titre, sa couverture, son format –  vous interpelle, vous trouble, vous émeut au plus profond de vous : le moment où vous vous saisissez de lui, où vous le respirez, où vous tournez ses pages, lisez sa quatrième de couverture, déflorez ses replis intimes, cette conversation interdite qui s’instaure alors entre lui et vous, ces regards de connivence que vous échangez sans mots dire, cet instant de grâce où vous vous laissez séduire et décidez sur un coup de tête de l’adopter.

Ces minutes ou ces heures passées à flâner dans les allées d’une librairie, cette succession d’attouchements discrets, de clins d’œil complices, de flirts équivoques.

Cette rencontre inopinée avec un livre avec qui vous avez vécu, voilà des années maintenant, une histoire d’amour brûlante avant de le délaisser pour goûter à d’autres plaisirs tout aussi charnels.

Ces retrouvailles avec un auteur dont vous étiez sans nouvelles depuis trop longtemps et qui soudain, sorti des limbes, se rappelle à votre bon souvenir sous la forme d’un livre que vous vous empressez d’acheter afin de poursuivre la conversation entamée des années auparavant.

Autant d’attendrissements du cœur et de l’âme qu’Amazon et consorts n’autoriseront jamais.

La plupart du temps, vous débarquez en ces lieux inhospitaliers avec déjà en tête ce que vous voulez très précisément, vous n’avez pas de temps à perdre ; en trois clics l’affaire est pliée, l’échange conclu, les fiançailles consommées et ne reste plus qu’à attendre le prochain passage du facteur.

C’est froid, clinique, déshumanisé à souhait.

Efficace, pratique et parfois même moins coûteux.

Une simple transaction entre deux partenaires soucieux de rentabiliser au maximum l’emploi du temps de leur journée.

Comme un cinq à sept expédié dans une chambre aseptisée d’un hôtel sans charme.

Une ville qui se dépouille de ses lieux culturels, laisse ses librairies, ses disquaires, ses cinémas devenir des magasins de chaussures ou de vêtements, abandonne ses bouquinistes au profit de marchands de glaces ou de crêpes, n’est plus vraiment une ville.

C’est une simple vitrine.

Un tiroir caisse géant.

Une femme vulgaire, sans mystère, sans charme et sans trouble qui se laisse dénuder et tripoter par des grosses mains suintantes de billets de banque froissés en gloussant des rires hystériques.

Une librairie, c’est une jeune fille timide qui joue de son ombrelle et attend, languide et rêveuse, que vous fassiez le premier pas.

Sans elles, sans leur présence discrète mais rassurante, les villes du monde entier finissent toutes par se ressembler : partout les mêmes boutiques, les mêmes enseignes, les mêmes marques et au final les mêmes consommateurs prêts à dépenser les mêmes fortunes pour acquérir les mêmes biens dont ils n’ont nul besoin.

Il faut préserver les libraires. Coûte que coûte. Rentables ou pas.

                                                                                                                                                                                                                                                 C’est un enjeu de civilisation.

                                                                                                                                                                                                                                                Le dernier combat à mener avant d’être dévoré par une société de consommation implacable dans son désir à jamais rassasié de nous dominer pour toujours mieux nous asservir et nous avilir.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est  par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

19 commentaires pour “La sauvegarde des librairies, le dernier combat à mener”

  1. Les librairies sont déjà préservées, à grand frais : le prix unique du livre qui est destiné à les soutenir fait que la France est l’un des pays où les livres sont les plus chers.

    Le problème est que les lecteurs, de surcroît sensibles à l’odeur des librairies, disparaissent. Ce que vous demandez donc est de soutenir encore plus des lieux qui n’ont plus de clients. C’est idiot, c’est affectif. Ce n’est pas de la culture, c’est du conservatisme.

    Ce qui compte, c’est que des auteurs puissent écrire et que des lecteurs puissent les lire. Et pour cela, des outils d’édition en ligne (numérique ou papier) sont disponibles. Ils permettent à l’auteur de mieux gagner sa vie et au lecteur de payer son livre moins cher.

    On ne peut empêcher les agonisants de mourir.

    Il restera toujours quelques librairies pour les nostalgiques comme vous. Mais n’imposez pas votre nostalgie et surtout ne demandez pas aux autres de la financer.

  2. J’espère que vous êtes plus calé en médecine qu’en affaires culturelles parce que là franchement c’est un festival de sornettes !

  3. Cher Dominique,

    Oui mais si les librairies meurent, qui fera découvrir aux lecteurs les auteurs inconnus ? Les petits éditeurs ? Amazon et consorts ne mettront en avant que les livres qui leur rapporteront le plus d’argent, ceux sur lesquels ils auront le plus de marge. Si les librairies meurent, la diversité d’ouvrages aussi. Les librairies sont des lieux d’échanges, dans lesquels les clients viennent souvent avec une idée précise en tête mais se laissent parfois tenter par le conseil du ou de la libraire qui saura lui faire découvrir une petite pépite qu’il n’aurait jamais connue autrement… Ou même sans le libraire, le hasard de rencontrer un livre inconnu est beaucoup plus important que sur Internet par exemple…

    (Je suis apprentie libraire, j’espère être libraire longtemps parce que c’est la première fois que je me sens à ma place dans un métier, au milieu des livres et à partager un peu de mes goûts avec les flâneurs et les pressés. Il n’y a pas que les lecteurs et les auteurs dans la chaîne du livre, elle fait vivre beaucoup de gens…)

    Bien à vous.

    Et merci pour cet article, monsieur Sagalovitsch.

  4. Ben ???!!! Vous vous foutez de nous ou quoi ?
    Si tous les gens qui pensent s’en vont au Kanada, il ne reste que les décérébrés ici, ceux qui ne savent même pas lire un dessin !!!!
    C’est quand même fort de café de quitter le navire et de déplorer qu’il n’y ait plus de matelots pour le faire avancer !!!!!!!!!!!!!!!!!!

    Non mais !

  5. Cest un combat perdu d’avance. Le même que celui des amoureux du microsillon qui prenaient leur pied et le prennent toujours devant une pochette de vinylle sentant bon la poussière. Ou de celui des amoureux des pellicules Ilford pour prendre des photos au grain inégalable.

    La vérité est que vous avez votre age et comme beaucoup incapable de remettre en cause l’existant. Tel un moine faisant des enluminures médièvales, vous refusez l’imprimerie de Gutemberg car elle va détruire l’âme même de la littérature.

    Alors que vous et moi ne pouvons ignorer que c’est justement la modernité de Gutemberg et de l’imprimerie qui a permis à la culture littéraire de s’épanouir et de toucher le plus grand nombre. Au nom de que
    Ayatollah culturel, cette modernité et le progrès devrait s’arrêter. Où est il écrit que le future de la littérature est incompatible avec le genre électronique.

    Ou est il écrit que le genre littéraire est figé dans le vélin et qu’hors le papier il n’y a point de salut. Faites confiance à l’homme que vous êtes. Depuis que nous sommes sortis de nos cavernes le progrès a plutôt était dans le bon sens. Pourquoi cela s’arrêterait il brutalement à nos générations ?

  6. Bien la première fois depuis que je vous lis que je ne suis pas d accord avec vous… Qui a fait le plus pour le livre et l acces au livre dans le monde depuis 20 ans? C est un rural qui vous le dit, qui n a jamais eu la moindre librairie digne de ce nom a moins d une heure de route et n en aura jamais?Amazon

  7. Les deux peuvent très bien cohabiter ! Je dis simplement qu’une ville sans librairie ce n’est plus vraiment une ville. C’est tout. Et le livre papier ne disparaîtra pas. Si vous croyez que des écrivains vont s’emmerder à écrire des romans pour qu’ils paraissent uniquement sous une forme électronique, vous vous trompez. En tout cas, ne comptez pas sur moi !

  8. Votre article est intéressant, mais il est fort dommage qu’il soit saupoudré par des clichés terriblement sexistes.
    Il serait bien de cesser de montrer les femmes comme des objets de désirs fragiles et passifs (qui attendent qu’on fasse le premier pas).
    Prenez d’autres exemples svp, les femmes ne sont pas ça et il est politiquement moche de véhiculer ce genre d’idées.

  9. Merci de votre commentaire mais non.

  10. Yannou est toutes les femmes, comme Dalida :
    https://www.youtube.com/watch?v=XcbnmsJ_g48

  11. Bonsoir à tous,
    le livre papier et le ivre numérique peuvent très bien co-exister, et la vente en ligne peut être utile à ceux qui n’ont pas de librairie près de chez eux. Cela dit des librairies proposent de la vente en ligne, et leurs conseils de lecture valent mieux qu’un algorithme déshumanisé! Militons donc pour qu’il y ait plus de librairies, que celles-ci puissent avoir un site de vente par correspondance et une meilleure rentabilité. Car elles permettent lien social, lieu d’échange d’idées, de rencontres entre auteurs et lecteurs. Ce n’est pas de la nostalgie d’un futur monde perdu, c’est la volonté de transmettre aux générations futures un monde riche humainement et culturellement! A bon lecteur, salut de la part d’une petite libraire!

  12. Quelles merveilles que ces librairies dans lesquelles je pénétrais enfant. Quel bonheur absolu que de contempler des piles de livres qui s’étiraient jusqu’au plafond de la boutique. Quel enchantement que de laisser glisser mes doigts sur le papier odorant.
    Euh, pardon… j’ai eu un petit coup de nostalgie je crois.
    Oui, c’était bien mais rien n’est aussi beau que la vie et la vie c’est le changement, le modernisme et la nouveauté.
    Ne pensez-vous pas que découvrir de beaux livres sur la toile a un charme très fort également ? Suivre un auteur et le retrouver dans un nouvel et étourdissant volume, non ? Et obtenir le meilleur prix, sans discussion ? Ne pas passer tête basse devant la vitrine du bouquiniste en sachant qu’on n’a pas assez pour y entrer ?
    Et si la librairie du XXIème siècle était numérique, et si elle était mise entre les mains du plus grand nombre ? Et si, et si c’était ça la littérature moderne ?
    Je gère une bibliothèque communautaire sur la toile qui permet aux auteurs non publiés de se faire lire “gratuitement”. Je sais, comme disait Simone “on ne peut pas toujours se promener au bord de la mer en pensant au prix du poisson” mais tout de même les libraires parisiens n’ont-ils pas exagéré un tantinet, non ?
    Nous nous donnons à lire des auteurs refoulés de l’édition classique et qui n’auraient jamais été lus chez un libraire, alors oui aux libraires pour la nostalgie, oui au numérique pour permettre de développer la littérature et oui à L’Apporte-plume pour aider les jeunes auteurs !!!

  13. Le capitaine d’industrie : « – Monsieur, vous nous la baillez belle. Avec de tels raisonnements, comment pourrais-je installer mes maîtresses ? Le contact charnel des livres… Allons donc ! » Le beauf : « – Non mais, l’intello i’ nous prend pour des truffes ? Les bouquins, on s’en tape. Pas vrai, la bourgeoise ? » Le proxénète : « – I’ peut bien délirer, l’ gratte-papier. Les caves, jamais i’ prendront leur pied comme avec mes gagneuses. I’cherchent pas le charnel dans la littérature, eux. I’ rêve, l’auteur ! » « Le chef de rayon chez Hic et Ah : « – Quand les bobos lisent trop, not’ chiffre d’affaires i’ chute schuss aux abîmes. Le penseur, là, i’ va fiche en l’air le commerce, à faire une pub d’enfer pour les librairies ».

    Et l’on en passe.

    Vous filez joliment la métaphore de la femme, hélas contrariée par l’Amazon, ce gigantesque fleuve et non point la féminine rivière, cet ogre qui engouffre tout, maltraitant jusqu’à son personnel. Vous chantez la chair du livre comme d’une Femme et d’une Fleur, oubliant néanmoins (peut-être car né trop tard) la subtile jouissance du report, du suspens par soi-même dosé, que procura longtemps le coupe-papier, pour autant qu’on ne lui lâchât pas la bride, comme on eût fait par lassitude d’un coursier fougueux qui harasse, et qu’alors se dévoilait, à la seule vitesse du fil qui séparait la page lue de la feuille suivante, la suite du texte jusque-là restée mystérieuse.

    Que vous dire ? Certes, que vous avez raison. Mais cela suffira-t-il, face à tous les avaleurs de ce fric, résultant du « changement d’échelle », comme jargonnent les économistes, de ce fric volé la main-d’œuvre supprimée et, pour celle qui s’accroche encore, si mal payée ? Pire, cela convaincra-t-il ces écrivains « post-modernes » qui sont aussi lecteurs, pâmés ou se pâmant devant la « tablette » ? Les archives dans le « nuage », plus de bibliothèques à la maison, etc. Vivez avec votre temps, que diable ! Table rase. L’on sait : rechigner devant le progrès est morbide, mortifère même et, bien sûr, réac.

    De grâce, pouvons-nous quelque temps encore caresser dans les livres la littérature ramenée à la maison ? Ah ! Montaigne, votre bibliothèque – meuble et pièce – nommée « librairie » : quelle chance d’avoir tant dit avec un si beau mot !

  14. Tout à fait d’accord avec vous, rien ne remplacera jamais le charme d’une librairie … mais la vraie culture ce n’est pas l’affaire de tout le monde … et rendre les gens incultes, c’est mieux les manipuler …

  15. Je crois lire dans certains commentaires un décadentisme typique au sujet des lecteurs : “les jeunes ne lisent plus bien entendu…” et tout le florilège… J’ai 19 ans et me rend très régulièrement en librairie, comme beaucoup d’autres amis de mon âge. J’y vois souvent autant de jeunes que de moins jeunes. Idem pour les bouquinistes. Plus qu’une affaire sociologique, c’est bien sûr le problème des achats en ligne qui sont les pompes aspirantes des librairies.
    Tout-à-fait d’accord avec le ton de l’article : cela n’a rien de passéiste d’aimer les librairies, c’est juste humain (enfin il paraît que ça va devenir tabou et vieux-jeu d’avoir des affections humaines, alors attention ma bonne dame…)

    Bonne lecture à tous !

  16. Je défends Amazon en tant que rural qui vit loin des librairies mais ne vous en faites pas je suis un partisan du livre papier, et plus fou encore, du disque.L important reste que du manière ou d une autre le choix pour tous soit le plus large possible…. ( ca fait d ailleurs un mois qu amazon s échine a me trouver un vieux cd de lonnie donnegan…. Fallait pas me le promettre!)

  17. Le débat me semble très clivant. Je suis gérant d’une grande librairie indépendante et le problème n’est pas si simple. Le livre numérique et la vente en ligne sont l’un comme l’autre des pôles majeurs pour le développement du livre. Le problème des libraires n’est pas la vente en ligne c’est l’hégémonie de la vente en ligne, dominée par Amazon. Plus Amazon prend des parts de marché, plus il fait pression sur les éditeurs pour augmenter les marges. Résultat N°1 : Amazon achète ses livres meilleur marché que les libraires. N°2 Les éditeurs engrangent moins de recettes et diminue d’autant la taille du catologue, ne privilégiant plus que les “produits à haute valeur marchande”, les best-sellers, page-turner… Si on ne publie que les auteurs qui rapportent, vous pouvez dire adieu à un quelconque nouveau et très éventuel Proust ou Céline (pour faire le grand écart). De plus, à la fin de l’année comptable, je paye des impôts dans mon pays en rapport avec mon CA, ce qui n’est pas le cas d’Amazon qui défiscalise en pratiquant l’évasion de ses liquidités et ne participe pas à l’économie si ce n’est la sienne. Ce qu’on réclame c’est de pouvoir mener nos activités sur un pied d’égalité !

  18. La gare Saint-Lazare, flambant neuve, n’a aucune librairie. C’est la première fois que je vois un lieu commercial aussi vaste sans aucun livre.

  19. Si nous n’avons plus de librairie dans nos quartiers comment ferons nous pour découvrir de nouveaux auteurs?
    Où irons-nous?
    Dans les grandes surfaces?? Au milieu du rayon poisson et boucherie?
    Une librairie est un endroit où l’on trouve des conseils, et un choix divers et varié d’auteurs, pas seulement ceux qui sont à la mode.
    Sur le net ? et payer les frais de port et attendre un temps infini pour obtenir son livre.
    Et les Ibooks me direz-vous PFFF et les emplois préservés vous y pensez ?
    J’ai une amie Libraire qui a faillie mettre le clé sous la porte un élan de solidarité a fait une cagnotte pour qu’elle puisse ternir le cap. Elle a aujourd’hui même pu déménager et agrandir s’agrandir.
    Si vous ne réagissez pas bientôt vous n’aurez plus d’autre choix que le net ou les grandes surfaces.
    Réveillez-vous!!!!!!!!!

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