Des morts pour rien

                                                                                                                                                                                                                                                           Alors bien sûr s’incliner avant tout devant la douleur des proches, saluer la mémoire de ces sportifs qui sont parvenus à l’olympe de leur discipline, les remercier pour la joie qu’ils nous ont donnée, pour avoir su égayer notre quotidien, pour nous avoir permis le temps d’une course, d’un combat, d’une traversée, de redevenir des enfants émerveillés par la réalisation de prouesses hors du commun.

Et en même temps penser combien ces morts tragiques, ces morts absurdes, ces morts sanglantes restent frappées d’une insondable bêtise, d’une désespérante fatuité, d’une désolante inanité.

S’offusquer que des champions de cette trempe puissent se compromettre dans des émissions dépassant les bornes de l’entendement, puissent consentir à apparaître dans de tels spectacles de télé-stupidité où ils sont livrés en pâture au regard torve de millions de téléspectateurs se délectant de faux exploits, d’aventures tronquées, de récits tout sauf authentiques.

De ces émissions racoleuses, putassières, fausses de bout en bout où le voyeurisme est de mise, où l’on n’hésite pas pour quelques milliers d’euros à se livrer à des exercices pitoyables de clown télévisuel, à se vautrer dans la vulgarité la plus crasse, à se dévoyer à coups d’exploits tronqués dans le seul but d’affoler le prix des écrans publicitaires afin d’espérer en empocher des dividendes sonnants et trébuchants.

La recherche d’une gloire qui cette fois n’a plus rien d’olympique ou de transatlantique mais qui empeste les sordides calculs financiers, les éventuelles retombées médiatiques, les possibles retour en grâce auprès de sponsors toujours à l’affût de têtes d’affiche, ce besoin de retrouver la lumière de l’audimat sans laquelle on a l’impression de dépérir, de ne plus exister, de n’être plus rien.

Constater aussi, à travers une tragédie aussi brutale que banale, l’abaissement de nos sociétés, l’affaissement de nos valeurs quand un journal du soir prétendu de référence se permet de mettre en une un tel fait divers.

Quand un Président de la République, par bêtise ou par cynisme, on ne sait trop, se risque à saluer la mémoire de ces sportifs qui ”aujourd’hui sont morts parce qu’ils voulaient là encore repousser les frontières, faire connaître des exploits, des pays, des régions, et être capable de donner l’exemple”.

Cette confusion des genres désormais devenue quotidienne où l’on mélange tout avec tout, où le sublime côtoie la médiocrité la plus échevélée, où tout se vaut, où plus personne n’est plus à même de hiérarchiser la portée d’un événement, où chacun ressent le besoin d’exprimer des sentiments à coups de tweets dont tout le monde se contrefout, où un Prix Nobel de littérature a autant de valeur qu’une Miss France.

L’infinie connerie de la société du spectacle qui nous abîme tant et à laquelle pourtant nous participons tous plus ou moins.

Le voyeurisme à tous les étages.

Ce désir irrépressible de prouver que nous aussi nous existons.

D’afficher nos goûts et nos dégoûts sur tous les supports possibles engendrés par le monde moderne.

Cette envie presque désespérée d’être aimé par le plus grand nombre.

Nos vies exhibées.

Partout.

Sans plus aucune pudeur ou retenue.

Se servir de pareilles tragédies pour essayer de lutter contre ces fleuves de boue qui déboulent de partout et menacent de nous emporter dans leurs flots pestilentiels.

Prendre son téléviseur et le balancer dans la poubelle.

Résister.

Sortir au grand air et tâcher de vivre.

Sans compromissions. La tête haute.

Émerveillés par le spectacle toujours recommencé de la vie, de la vraie vie qui attend seulement qu’on la saisisse pour exister à travers nos existences personnelles.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                             La vie bon sang. 

                                                                                                                                                                                                                                                         Loin des artifices et des faux-semblants.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                              Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est  par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

11 commentaires pour “Des morts pour rien”

  1. Tout celà devient insuportable. Les medias et les politiques sont devenus fous. Ils jouent l’émotionnel à outrance. Pitoyable, dégoutant, révulsant.

    MERCI d’avoir exprimé ce ras le bol.

  2. Superbe texte. On ne pouvait pas mieux dire !

  3. Ah parce maiiitre Sagalovitch possède encore une TV ?!

  4. Bonne relecture de « La Défaite de la pensée », essai publié en 1987 – bientôt trente ans ! – par Alain Finkielkraut. Il refusait d’admettre qu’en matière de pensée, d’art, de littérature, tout valût tout, et même (aussi splendides qu’en fussent le cuir et la façon) qu’une paire de bottes fût portée à la hauteur d’une pièce de Shakespeare. L’on s’étonne, aujourd’hui que le tableau culturel qu’il dessinait alors a considérablement empiré, qu’il parvienne à ne pas lâcher la bride à ses nerfs légitimement offusqués.

    Au-delà de l’affliction de parents contraints de survivre à leurs enfants, au-delà de la perte nationale de sportifs de valeur, oui : encore ce foutu fric qui pourrit tout ! Certes, un accident fatal peut survenir en toute circonstance, ainsi s’égosillaient certains, dès hier, sur les médias. Sauf que ces morts en Argentine sont finalement du[e]s aux insatiables appétits des sponsors. Ils n’osent même plus se nommer « annonceurs », ce qui offre sur leur mauvaise conscience (passagère) un aperçu dont on se serait bien passé.

    Vous avez convoqué la hargne requise pour le dire, et plus encore. L’on ne doute pas qu’en provenance de divers azimuts, vous attendiez quelques verbales volées de bois vert. D’autres lecteurs louent bien plus l’emportement qui traverse votre post.

  5. c’est vrai que c’est hyper triste et à la fois tellement stupide que l’on peut se demander : “qu’allaient ils donc faire dans cette galère-hélicoptère?” et la réponse est….. probablement : “money drop”…car si l’on a beaucoup d’infos sur ceux qui ont été sollicités pour participer à cette émission, les “célébrités” sportives qui auraient pu se trouver dans l’un des hélicos, mais dont l’emploi du temps ne leur permettait pas 15 jours de fun (teddy Riner, laure Manaudou etc…) la communication est complètement verrouillée dès que l’on aborde le sujet de la “motivation”, et ce n’est pas la présence de philippe Candeloro dans le casting qui nous renseignera, sachant que de son propre aveux, il pourrait faire un détour de 50 kilomètres pour économiser 3 euros sur un plein d’essence….mais pour convaincre un tel panel, on se doute que tf1 et adventure prod ont su se montrer attractifs…

  6. C’est quoi un mort pour quelque chose ?

  7. @O5L : entendons nous biens, personnellement, qu’ils soient morts en plantant un clou, dans un accident d’hélocoptère au cours d’un jeu débile ou en mangeant une cacahuette, je m’en contre-fiche ; et il me paraît mesquin de dire “on ne va pas les pleurer, ils sont morts pour une émission à la con”.

    Par contre ce qui est insupportable, indécent et vulgaire, c’est :

    – la réaction du président de la République, rapportée plus haut,
    – la “peine immense” du premier ministre, et le fait qu’il décrète que “la France entière est en dueil”,
    – les “Live” qui se sont multipliés partout, pour ne rien dire
    – les journeaux de 20h monopolisés par cet accident

    ça, je n’en peux plus.

  8. “entendons nous biens” … pas joli…
    ça ne tourne pas rond, comme un hélocoptère.

  9. Bravo ! très bien dit … il n’y a rien à rajouter … merci

  10. Il y a bien longtemps que j’ai bazardé la télé aux oubliettes et quand je pêche encore (en passant, chez les autres) je suis renforcée dans mon doux isolement qui me préserve des âneries et des turpitudes déversées par tombereaux par la déesse aux cent bouches.

  11. une ÉNORME PENSÉE pour les techniciens qui œuvrent dans l’ombre, sont souvent des intermitants, et sont mort,s sans que les médias, qui les utilisent, ne les citent.

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