Les détecteurs de fumée débarquent, bienvenue en enfer

                                                                                                                                                                                                                                                            A partir du 8 mars, fini de rire.

A quelques exceptions près toutes les habitations de l’hexagone devront posséder un détecteur de fumée.

Une sorte de coupole blanchâtre qu’on plaque au cul du plafond et qui se met à hurler des complaintes stridentes dès que le moindre soupçon de fumée suspecte se permet de venir chatouiller ses capteurs aussi sensibles qu’un sonar de sous-marin nucléaire.

N’importe qui a déjà vécu en Amérique du Nord sait l’enfer de cohabiter avec un mouchard pareil.

C’est pire que d’avoir Belle-maman à demeure.

Ou de se taper du soir au matin les vocalises du clébard d’à-côté.

A partir du jour où vous installez ce petit rapporteur, ce délateur zélé, ce gestapiste sourcilleux, votre vie se transforme très vite en un véritable enfer.

Surtout à l’heure de cuisiner.

Quand vous êtes tout à votre affaire de bichonner un amour de steak ou une merveille de papillote de saumon et que soudain, venue des tréfonds de l’appartement, retentit sans crier gare une sonnerie capable de bousiller à tout jamais vos conduits auditifs et de réveiller, toutes confessions confondues, les morts du cimetière municipal.

Alors la panique.

Les regards interloqués échangés entre époux.

C’est toi qui cries comme ça ? 

Le chat qui se met à quadrupler de volume et, sans demander son reste, s’en va s’enfermer à triple tour dans le placard à balais.

La Belle-maman qui augmente le son de la télé parce qu’elle n’entend même plus la dernière répartie de son animateur favori.

La réunion de famille, qui se tient à l’endroit même où siège la capsule en pleine crise de tachycardie, les yeux levés vers l’étrange soucoupe qui clignote de toutes les couleurs comme si elle s’apprêtait à décoller pour la lune, le recours au mégaphone pour lui enjoindre de la mettre en sourdine, les insultes lui intimant l’ordre de la fermer ; évidement en pure perte.

Le tabouret sur lequel on grimpe, tout en se bouchant les oreilles afin de tenter de raisonner la machine infernale, le torchon qu’on agite sous son nez pour lui permettre de respirer plus librement, les fenêtres ouvertes en grand afin de s’assurer que tout le quartier est au courant de vos mésaventures ménagères, le ventilo qu’on ressort du placard à balais où désormais le chat a trouvé refuge dans le tuyau de l’aspirateur.

Qu’on met deux heures à remonter parce qu’on est en plein hiver et que ma foi son intérêt demeure en cette saison froide des plus relatifs.

Les pales qui s’agitent et brassent frénétiquement des coulées d’air, tandis que Madame continue à agiter son torchon en des gestes de plus en plus précipités, de plus en plus affolés, de plus en plus saccadés, comme un pantomime qui ne se contrôle plus, et que Belle-maman débarque en demandant si c’est bientôt prêt, le journal de vingt heures étant sur le point de commencer.

Les voisins furieux qui tambourinent à la porte et aboient c’est pas fini tout ce boucan, il y a le fiston qui demain a un examen de maths de plus grande importance.

Le miracle qui finit par se produire.

Le silence.

Le soulagement.

Le retour à la normale jusqu’au moment où, pas encore vraiment rassasié, le détecteur s’offre un dernier tour de piste comme un ultime rappel avant de se retirer de la scène.

Le steak qui entre-temps a refroidi et qu’on ose même plus réchauffer de peur de réveiller l’autre cinglé.

Le saumon qui s’est suicidé et gît au beau milieu de sa papillote défaite.

Le chat qui n’arrive plus à ressortir de l’aspirateur.

Belle-maman qui a appelé les services sociaux pour se plaindre des comportements de son gendre.

La petite famille affamée en route pour le Buffalo Grill du centre commercial, mais qui affiche évidemment complet et ressemble désormais à ces hangars de fortune où, lors des grandes catastrophes naturelles les familles sans logis viennent trouver refuge et nourriture.

                                                                                                                                                                                                                                          Jusqu’au jour où, en douce, on émascule le lanceur d’alerte en bouchant ses artères.

                                                                                                                                                                                                                                                        Les Les charmes trépidants de la vie moderne.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                    Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est  par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

2 commentaires pour “Les détecteurs de fumée débarquent, bienvenue en enfer”

  1. Cher Juif en cavale, une bonne dose d’acide sulfurique le matin, réjouit mon âme dévastée par la monotonie de l’existence , en France. Tes textes ravageurs arrivent à me faire sourire ce qui m’ôte pour un temps les lézardes accumulées depuis que j’ai posé mes petons sur le sol de l’amère patrie.Après avoir chassé le caïman , pêché des mérous de un quintal ,pourchassé des morphos ménélaus en Guyane, après un séjour au Gabon où pacifiquement, j’enseignais le piano, l’arrivée en France, fut un pensum qui m’a achevée.Matraquée par l’actualité, déçue par la froideur et le manque d’hospitalité des gens, j’ai perdu mon enthousiasme ma spontanéité, ma joie de vivre. Rien ne vaut à mes yeux la chaude hospitalité des tropiques . Alors, te lire me réjouit car tu traites avec dérision de graves sujets (même un détecteur de fumée arrive à faire rire!!=) Bravo et merci!!
    Rosemay, triste épave de ce que je fus

  2. L’on vous remercie de signaler à vos lecteurs l’utilité relative ainsi que les effets néfastes, des détecteurs de fumée. Des détails, glanés au fil de votre post, n’en interpellent pas moins.

    Vous évoquez leur déclenchement au moindre soupçon « de fumée suspecte ». Ces détecteurs suspicieux sont-ils si perfectionnés qu’ils jetteraient un trouble accru sur la poétique interrogation de Lamartine : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme » ? Ce serait permettre à une technique extrêmement pointue 1° d’emprunter gratis la question d’un poète dont l’œuvre est certes tombée dans le domaine public, 2° d’induire les utilisateurs à penser que la robotique devient fort intrusive. Le prix de vente desdits détecteurs n’en paraît pas moins dérisoire – même si 29,90 euros équivalent au prix de cinq éclairs au chocolat vendus pas une enseigne connue, installée à Orly-Ouest, éclairs dont seul, on l’aura compris, le coût s’envole –, signe de quasi-philanthropie pour des fabricants qui dérogent ainsi à des pratiques d’habitude plus agressives. Surtout, comment ces ustensiles peuvent-ils distinguer une fumée fiable d’une autre qui serait suspecte… ?

    Quant à la sonnerie stridente révélant à l’occupant du logis qu’il a suffisamment fumé la moquette, ou qu’elle vient de prend feu, l’on s’étonne moins de sa puissance que de sa faculté de « réveiller, toutes confessions confondues, les morts du cimetière municipal ». Et l’on s’interroge : l’ouïe des croyants se serait-elle plus ou moins affaiblie selon que le muezzin les conviait récurremment à la prière ; ou le bedeau, à la grand-messe dominicale en sonnant les cloches à la volée, et autres rituels sonores ou sémaphoriques d’appel aux autres cultes ?

    Enfin, des interrogations toutes bêtes traversent l’esprit de tout consommateur rompu au plus élémentaire civisme. En lisant : « Le tabouret sur lequel on grimpe, tout en se bouchant les oreilles, afin de tenter de raisonner la machine infernale… », il se pose trois questions. À défaut de tabouret, un escabeau pourrait-t-il faire l’affaire ? S’il est âgé, ne risque-t-il pas en gravissant escabeau ou tabouret les oreilles bouchées, de perdre l’équilibre ? De plus, il paraît difficile, surtout avec les paluches plaquées sur les esgourdes, et en raison de l’altitude, de raisonner une « machine infernale ». Même perfectionnés, les automates sont sourds aux arguments ne figurant pas dans leur programme.

    Aussi se demande-t-on si votre réclame pour les détecteurs de fumée ne serait pas maladroite. À moins que, tout simplement, vous ne détestiez les lanceurs d’alerte.

    Pour finir, nul doute qu’aurait été un grave manquement au respect de votre vie privée le moindre rapprochement entre l’intruse machine et telle ou telle allusion à une belle-mère avec qui son gendre eût semblé en délicatesse.

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