Songeant que l’âge de ma retraite approchait à grands pas et qu’il me faudrait trouver bientôt une activité autre que celle de comptabiliser le nombre de pilules à prendre pour lutter contre mon affaissement cérébral, j’ai ressorti mon jeu de tarot et m’en suis allé convaincre quelques autres vieux débris de participer à ce revival ludique.
Je n’avais plus pratiqué cette discipline depuis plus d’un quart de siècle, quand je combattais mon spleen tout adolescent avec quelques autres naufragés de la jeunesse où, le temps de parties mémorables, nous oubliions nos désillusions sentimentales et nos déconfitures autant sexuelles qu’existentielles.
Les débuts, je dois le dire, furent des plus chaotiques.
J’étais rouillé de partout.
Je regardais l’Excuse en lui demandant de quoi j’étais encore coupable pour avoir recours ainsi à ses services, je contemplais le Petit en me demandant comment une carte aussi naine pouvait détenir autant de pouvoir, je m’inclinais devant la toute-puissance du 21 dont je déplorais tout de même l’arrogance à peine feutrée.
Je questionnais le Cavalier en lui demandant d’où il sortait, à quelle famille il appartenait, de quel roman moyenâgeux s’était-il encore échappé pour régler ses comptes avec des dames de compagnie cornaquées par des valets faux-culs mis au service de rois despotes.
Je prenais à contretemps.
Je mettais en garde alors que j’étais nu comme un nouveau-né.
Je poussais des petites alors que j’aurais pu conquérir le monde entier.
Je passais mon tour à l’heure où j’aurais dû monter la garde.
Mes comparses étant tout aussi décrépits que moi, personne ne s’en offusqua.
Les efforts finirent par payer.
Au bout de trois mois de remise à niveau, je retrouvais tout mon génie d’antan.
Ma fourberie légendaire, mon machiavélisme inné, ma malice naturelle.
J’éclaboussais de toute ma classe mes camarades de jeux en déposant, sous leurs yeux ahuris au moment de conclure la partie, un Petit auquel plus personne ne pensait plus depuis belle lurette, apparition surnaturelle qui me provoquait des orgasmes à répétition.
J’enchaînais avec des gardes sans, des gardes contre qui les mirent au supplice et m’amenèrent à respirer l’enivrant parfum de cimes toutes strausskahniennes.
Je présentais mes excuses au moment où ils ne s’attendaient point à les recevoir, comme d’autres dégainent des 49.3 pour calmer un parterre d’intrigants.
Je jubilais.
J’avais pourtant le triomphe chagrin.
C’est qu’entre temps je m’étais rendu compte que le tarot illustrait avec une cruauté inouïe le triomphe du capitalisme le plus échevelé, le plus inique, le plus barbare qui soit.
Comment qualifier autrement un jeu qui pose comme principe de base que, plus vous disposez d’atouts dans votre jeu, moins vous devez réaliser de points ? Et qu’inversement, plus vous êtes démuni de bouts, plus dur sera le contrat à réaliser ?
La définition de l’injustice.
Du pur libéralisme à l’état sauvage.
Travailler moins pour gagner toujours plus.
Empêcher l’ascenseur social de fonctionner et cantonner le pauvre dans sa misère, sans moyen d’en réchapper ou alors seulement en prenant de tels risques qu’il se retrouverait à découvert à la fin du mois.
La victoire triomphante de l’individualisme sur l’effort collectif.
Quel jeu atrocement injuste, pensais-je.
Il suffit d’avoir hérité d’un beau jeu, comme d’autres naissent dans des landaus dorés, pour triompher et remporter la mise haut la main, sans prodiguer d’efforts, sans avoir à combattre, en se contentant de dévoiler les uns après les autres ses atouts reçus en cadeau par la grâce divine ou par des parents fortunés.
Ou alors dans les parties à cinq, réclamer l’aide d’un tiers dont on sait d’avance que sa fortune est conséquente par la détention d’un titre royal lequel viendra s’ajouter à la vôtre déjà florissante, ne laissant dès lors aux trois autres prolétaires de jeu que des miettes de cartes à ramasser.
Une loi Macron démultipliée par cent.
C’est ainsi que j’abandonnai le Tarot.
Je ne voulais pas participer à ce carnage néo-libéral.
J’étais de gauche et n’entendais pas sacrifier mes valeurs sur l’autel d’un jeu glorifiant la main-mise des marchés financiers sur l’économie réelle.
Mon enemi, c’est le tarot déclarais-je lors d’un meeting dominical.
Je me suis rabattu sur la bataille.
Un monde où tout est encore possible. Où rien n’est acquis d’avance. Où il faut juste prier pour que l’État providence veuille bien vous protéger des infortunes du hasard. Où le faible peut croire, le temps d’un instant, terrasser le puissant. Où les richesses sont redistribuées équitablement.
Un jeu social-démocrate.
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Bravo pour “ne pas participer à ce carnage néo-libéral.”
et plus sérieusement : merci pour vos chroniques toujours intéressantes et souvent amusantes. D’un amusement qui donne à réfléchir : n’est pas un des meilleurs ?
Si le tarot est, selon vous, un jeu de cartes illustrant « le triomphe du capitalisme le plus échevelé, le plus inique, le plus barbare qui soit », la bataille transmet aux enfants le sens de la hiérarchie. Que le capital (réel et symbolique) et le sens de la hiérarchie modèlent les esprits malléables, voilà une excellente chose. [Vite, un sondage pour confirmer notre propos !] Dans l’hypothèse contraire, à quoi serions-nous livrés ? À l’anarchie ? Au chaos ? Songez aux Grecs, qu’y ont-ils gagné ?
Quant à la distribution équitable des richesses à quoi la social-démocratie, selon vous, s’astreindrait, aucun doute : vous badinez.
Non, la bataille est un jeu tout entier sous l’emprise de l’aléa, ce qui prépare à la soumission Excepté un savoir lire minimal, elle ne requiert nul savoir, aucune stratégie. Précieuse parce qu’elle fait découvrir les cartes aux enfants, certains soupçonneront la bataille d’instiller dans les jeunes cerveaux l’appariement de cartes identiques en genre. [On les entend déjà des manifestants arpenter les pavés aux cris : « À bas la bataille ! », « « À bas les couples de cartes “mono-genrées” ! », mais : « Vive le tarot ! »]
Au fond, la bataille est une précoce propédeutique au mariage pour tous. À proscrire, ou à ne pas proscrire, toutes affaires cessantes ! C’est selon, bien entendu.
La bataille n’a rien d’un jeu où “tout est encore possible”. Elle est encore pire que le Tarot, puisque tout est joué d’avance une fois la distribution achevée. L’ordre d’apparition des cartes est défini pour chaque adversaire, donc toutes les batailles sont définies, donc tous leurs résultats. Il n’y a pas d’aléas, par de recours possibles, rien. Seulement le fait que l’on ne sait pas à l’avance ce que le destin nous réserve. C’est un jeu fataliste à l’Etat pur, déterministe à souhait. Et la bataille illustre ainsi surement plus que le Tarot la réalité de notre société, où tout est joué d’avance également, guidé que l’Homme est, pas ses désirs, crées par des expériences et des processus de socialisation sur lesquels il n’a aucune prise…
Revenez aux Tarot,vous garderez l’impression que chaque adversaire peut faire un faux-pas et que l’intelligence peut toujours servir, si ce n’est dans la vie, du moins dans le jeu.
Plus primaire et simpliste que le tarot, mais autrement plus ultra-libéral : le “Président”. Les règles de ce jeu stipulent que celui qui a gagné la partie précédente reçoit les deux meilleures cartes du perdant, en échange de deux cartes au choix. A l’échelle inférieure/supérieure, une carte est échangée.
Aucun jeu à ma connaissance ne favorise autant et de façon aussi transparente la reproduction des privilèges.
Il est d’ailleurs parfois nommé “Trou du cul”, nom qui désigne alors, vous l’aurez compris, l’autre extrémité de l’échelle.
Merci pour votre billet
Bonjour Laurent,
Pour pallier les inconvénients bien réels que vous évoquez, nous avons établi une règle qui rompt la monotonie d’un jeu sans surprises, donc sans attrait.
Quiconque possède deux bouts est obligé de demander un contrat, même s’il n’a rien à côté. Et tant pis pour le roi appelé au jeu à cinq.
bonjour, je voudrais connaitre le nom du tarot que vous avez utiliser pour illustré votre article, j en possaidais un il y a un moment sans en connaitre le nom ou la provenance, si vous pouviez me fournir plus de details, n hesitez pas a me le faire savoir.
Bien a vous.
lionel
bonjour, je vous trouvais plutôt intéressant et sympathique jusqu’à ce que je lise, là, à droite en haut, que vous aimez le foot et que, du même au pis, vous êtes du genre supporter du plus grand piége à cons inventé par de gros malins ventrus, the foot!
Vous avez eu raison de vieillir.