Dans la nuit de jeudi à vendredi, alors que je me débattais au beau milieu d’un rêve où je pourchassais une antilope blonde comme les blés de mon enfance, le téléphone a sonné.
J’ai pensé que c’était encore mon père qui s’était emmêlé les pinceaux avec le décalage horaire et m’appelais pour me souhaiter une bonne année.
Je me trompais.
Au bout du fil, une voix suave m’apprit que la Ministre de la Culture avait décidé, au regard de la qualité de mes écrits et de mon apport considérable au rayonnement de la culture française sans oublier la clairvoyance de mes analyses sur les travers de l’époque moderne, de m’octroyer en tout bien tout honneur la Légion d’honneur.
Entre ici Sagalovitsch, auguste enfant de la République, ai-je cru entendre résonner dans les brumes de ma nuit vancouveroise.
J’ai attendu l’aube en me tenant au garde-à-vous devant le portrait du Président, le visage brouillé de larmes dégringolant sur mes joues pivoines de bonheur tandis que mon cœur sanglotait des soupirs de joie à grand-peine contenue.
La République enfin m’accueillait dans son sein, elle reconnaissait ma pleine appartenance au pays des Droits de l’Homme, elle déroulait le tapis rouge des récompenses officielles qui distinguent les êtres d’exception de la masse informe et crasseuse des travailleurs du quotidien et les élèvent au rang de demi-dieux.
J’accédais au royaume des Élus.
Depuis mon entrée en maternelle, j’attendais cette consécration, certain qu’un jour ou l’autre elle finirait bien par arriver et je palpitais d’impatience en songeant au jour où elle me serait décernée.
J’avais tellement soif de reconnaissance.
Je voulais exister aux yeux des autres, leur prouver que nous n’appartenions pas au même monde, que de ma vie j’avais accompli un chef-d’œuvre, là où ils s’étaient contentés de bafouiller des existences anonymes et sans éclat dont le Temps ne retiendrait rien si ce n’est leur date de naissance et de décès.
Moi je serais consacré par les plus grandes autorités morales et intellectuelles du pays.
A chaque nouvelle fournée de nominations, je crevais de rage de ne pas en être.
Je suppliais mes amis d’intervenir auprès de leurs relations haut placées, harcelais de longues suppliques les cabinets ministériels, soudoyais des secrétaires afin d’attirer l’attention de députés sur mes demandes répétées, envoyais des bouquets de fleurs aux épouses de sénateurs dont je savais l’influence sur les corps constitués ; je ne m’épargnais aucun effort.
Je m’imaginais le jour où je pourrais enfin accrocher au revers de ma veste cette rosette qui me distinguerait à tout jamais des autres mortels et m’amènerait à recevoir les éloges de confrères qui jusqu’alors ne m’avaient jamais vraiment considérés comme l’un des leurs.
Je voulais que la République se prosterne à mes pieds, qu’elle se donne toute entière à moi, qu’elle consente à reconnaître la singularité de ma pensée, la vaillance de mes écrits, la grandeur de mes réflexions.
Quand j’appris que Piketty la refusait, je m’en offusquai avec une telle vigueur que les murs en tremblèrent.
Quel outrage commettait-il en agissant de la sorte, de quelle incroyable insolence faisait-il montre cet piquette d’économiste au rabais, comment osait-il seulement défier de la sorte cette République sans laquelle il ne serait rien, quel affront se permettait-il d’infliger à ceux qui avaient cru bon de le distinguer de la sorte ?
Ô scélérate impudence !
Ô vantardise exécrable !
Ô orgueil démesuré !
Piketty, je me fends de te demander en duel.
De ma dague, je piquerai ton cœur et en extirperai le venin de ton innommable arrogance que j’irai déposer au pied des assemblées constituées.
J’obtiendrai le grade de Grand Officier de la Légion d’honneur.
Alors je pourrai mourir en paix ; le peuple de Paris accompagnera ma dépouille jusqu’aux marches du Panthéon où enfin je goûterai au repos éternel auprès de mes frères d’armes.
Juste à côté de Mimie Mathy et de Mireille Mathieu.
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Superbe chute. Mais plus dure sera la chute !
“rosette” plutôt que “rosace”
Sinon, ce marronnier trisannuel de l’enflure républicaine d’opérette prête toujours à rire (souvent jaune) et vous y réussissez fort bien. Merci !
Il faut lire l’excellent ouvrage de Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle. Et applaudir Thomas Piketty.
Sans vouloir jouer les pisse-froid (quoique actuellement…), les pisse-vinaigre, les rabat-joie, il faut rappeler que la possession de la Légion d’Honneur, fût-ce dans son plus haut grade (Grand-croix), ne garantit en rien l’installation des cendres d’une décorée ou de son homologue masculin au Panthéon.
Cette précision faite, réjouissons-nous, alléluia !
Fleur Pellerin, exerçant son quatrième mandat de présidente de la VIIe République française, et feu l’Empereur Napoléon le Grand – « le petit », honni par Victor Hugo, fut le troisième – au cœur de son mausolée, se réjouiront, dans quelques, non beaucoup ! non énormément ! d’années, lorsque l’émérite Vancouvérois, alors édité en trois comme l’on dit : « forts volumes » (4 518 pages au total) dans la Bibliothèque de la Pléiade (ses écrits déjà publiés par Slate.fr en occupant un bon cinquième), se réjouiront, disions-nous, quand le peuple parisien, foule dense et serrée de mille-pattes, posera ses innombrables genoux… – … hiboux, joujoux et poux, mais aussi, par souci d’équité : choux, cailloux, bijoux –, les posera, disions-nous, sur le macadam, nouvellement étalé en l’honneur du prestigieux défunt, sur le sol aux abords du Panthéon.
Où l’on mesurera de quel immense plaisir post-mortem s’est privé le chichiteux Thomas Piketty, au prétexte sans doute que le Gouvernement, durant le quinquennat de François Hollande, voilà quelques décennies, ne tint aucun compte de ses préconisations économiques – alors que la planète entière consacra un de ses livres, en raison des nombreux exemplaires vendus, meilleur ouvrage économique de l’auteur et de l’année de parution. Mais, au fond, n’était-ce pas lâcher la proie (l’immortalité au Panthéon) pour l’ombre (une temporaire satisfaction d’ego) ?
Quant à toi, perspicace Laurent, ô auteur dont l’œuvre complet doré sur tranche sera relié plein cuir par la maison Gallimard, sois loué, hosanna ! pour avoir projeté de faire entrer ta dépouille dont la poitrine sera sommée de la Légion d’Honneur – et Grand-croix ! Mazette – dans la demeure des Immortels de la République.
Bonne année, et longue vie.
Mimie Mathy grand croix ? Oh ?
Son dada c’était que la femme eût le bas de son dos tout parsemé de bleus.