A l’heure et l’âge où j’écris ces quelques lignes, je devrais être chauve comme un galet breton.
Mes prédispositions génétiques ne me laissaient guère d’espoir : mon père avait perdu ses cheveux aux alentours de ses vingt ans et mon frère avait pris le soin de l’imiter au détour de sa trentaine.
J’étais sans illusion : tôt ou tard, je rejoindrais la grande confrérie des chauves et m’en irait sur le chemin de la vie avec un de ces fronts parfaitement lisses qui déclenchent auprès de la gente féminine des fourmillements émoustillés à l’idée d’apprivoiser un être dont le parfait dénuement au niveau du crâne laisse entrevoir des sommets d’intelligence et de perversité.
Je ne connus pas cette chance.
Pour une raison incongrue, tandis que le haut de mon crâne répondait à l’atavisme paternel en se dégarnissant à vue d’œil, sur chaque versant de ma tête, des touffes de cheveux éparses et brouillonnes continuaient à lutter pour leur survie.
Et, opiniâtres et rebelles, défiant les lois de la physique et de la génétique, ne voulant en rien céder aux injonctions de la nature, elles finirent par triompher du sort funeste qui leur était pourtant promis.
C’est ainsi que je devins officiellement un demi-chauve.
Un de ces êtres difformes, hybrides, indécis, dont on a du mal à décrire la réelle composition d’un visage décoré de cette disgracieuse auréole toute monastique cerclée de filaments de cheveux vivant chacun de leur coté leur misérable existence de parias.
Ni chauve, ni chevelu, je ne ressemble à rien.
Croisement improbable d’un moine trappiste et d’un rabbin dégarni, je dois supporter chaque matin recommencé l’atroce désagrément de contempler dans la glace ma disgrâce capillaire restée inachevée.
Une fois tous les deux ou trois mois, je dois subir l’affront de me traîner chez le coiffeur, de subir son regard tout à la fois amusé et cupide, d’être l’objet des moqueries des autres clients, de prendre place dans un fauteuil où, sans jamais me demander la nature de mes attentes, un apprenti me règle mon compte en moins de temps qu’il me faut pour lire mon horoscope.
Si au moins ces cheveux poussant solitaires dans leur coin étaient assez longs pour permettre une salutaire jonction au sommet de mon crâne, lui conférant dès lors une certaine forme de respectabilité, mais non, sans élan, sans vigueur et sans ressort, ils mènent des vies rabougries, impuissants à entamer un quelconque dialogue entre eux.
Les femmes me fuient, les enfants se réfugient dans les jupes de leurs mères, les mères détournent leur regard, les pigeons changent de trottoir et même les aveugles, alertés par leur sixième sens, préfèrent traverser en solitaire une avenue à risque plutôt que de solliciter mon aide.
Le chauve séduit, envoûte, ensorcelle, le demi-chauve rebute, écœure, dégoûte.
Certes, je pourrais dans un geste radical me séparer à jamais de cette toison ridicule mais je n’ose pas : ce serait aller me semble-t-il contre l’ordre des choses, déranger le cours de la nature, intervenir dans l’histoire de ma destinée et risquer des représailles foudroyantes.
Non, je suis bien le demi-chauve, le ténébreux, l’inconsolé, le Prince d’Aquitaine au Crâne aboli que décrivait le poète.
Il me reste un dernier espoir : que Juppé rentre triomphant à l’Elysée.
C’est dire mon désespoir.
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Le désespoir, ça me fait penser à Nadja “Elle me dit son nom, celui qu’elle s’est choisi : “Nadja, parce qu’en russe c’est le commencement du mot espérance, et parce que ce n’en est que le commencement.” Ma coiffeuse s’appelle Sun 🙂
Se tondre n’est pas contre-nature, vous passerez alors de Woody Allen à Bruce Willis. Le choix vous appartient.
ouh j’ai dit une bêtise, woody n’est pas demi-chauve (dans mon souvenir oui pourtant, comme quoi les cheveux m’embrument le cerveau).
Bref, Cheveu-Man reviendra !
Très drôle ! très bien écrit avec toujours cet humour caustique ! j’aime beaucoup la fin
un conseil , un coup de tondeuse sur les cotés et vous duperez tous le monde en devenant un total chauve.;)
Rasage total ou combover, le débat est lancé
Au fond, vous êtes un perfectionniste contrarié par une « calvitie interrupta », comme disaient les Latins. Dans une famille comptant un père et un frère chauves, un demi-chauve, cela détonne. Votre désarroi se comprend, que dis-je ? Il apitoie. [Soit dit en passant : faire pareille confidence à vos lecteurs – et surtout, à vos lectrices –, c’est une formidable marque de confiance. On eût bien risqué un « Chapeau ! », mais, vos cheveux attardés étant proches du niveau de la mer, le couvre-chef ne vous ferait pas passer pour un chauve accompli. Désolé.]
Cela posé, imaginons que vous ayez perdu une fesse ; ça ne se verrait pas, mais la station assise de guingois, quel supplice ! Veinard, vous y avez coupé.
Avec cet humour « à deux balles » – on ignore toujours s’il existe des modèles d’humour plus (ou moins) onéreux –, je vais passer pour un sale type. Eh bien, non. Je vous propose même d’intégrer le Club des chauves contrariés, le C.C.C. Encore une cotisation !? Absolument pas : on devient membre (à vie !) du Club des chauves contrariés en produisant l’Attestation d’un huissier de justice ayant dûment constaté sur place que le futur membre a gravi préalablement « un » mont Chauve – manière de constater que le chauve complet, minéral en l’occurrence, existe. La contrainte est anodine, quoique escalader un mont pelé flanqué d’un huissier puisse exiger quelques débours supplémentaires : restaurant, voire hôtel si le temps se gâte. L’huissier au ventre creux risque, en effet, de fournir un exploit de piètre qualité. Le Registre des inscriptions du C.C.C. mérite bien un petit effort, non ?
Pour vous faciliter la course de montagne, il vous sera possible de grimper jusqu’au sommet du mont Chauve, dans le Parc national du Mont-Orford, province du Québec. À quelque six cents mètres d’altitude, l’air est pur et toute demi-toison s’en trouve ragaillardie. Certes, le mont Ventoux, dit le mont Chauve, près de douze cents mètres d’altitude, permettrait une grimpette de belle ampleur, mais ne chipotons pas. Donc, quand vous vous déciderez…
Pourquoi tant de serviabilité ? Mon géniteur devînt mi-chauve à trente-trois ans (« calvitie christique »). Ma sœur aînée, entichée de divination, m’avait prédit que si ma tignasse tenait bon jusqu’à la quarantaine, mes cheveux ne me quitteraient jamais. Elle eût mieux fait de se prendre pour la Cassandre du Tif : j’aurais tôt su à quoi m’en tenir, et je ne lui aurais pas retiré ma confiance.
Je partage votre desarroi. Heureusement certains, au premier rang desquels Larry David, representent dignement notre communaute. Continuons a nous battre.
Faite comme moi, un coup de tondeuse (sans sabot ou 2mm) et le tour est joué, moin cher que le coiffeur, pratique.
Le charme agit!
P.s j’ai 34 ans
Bonjour
Je découvre votre style et votre “présentation” en co/latéral de l’article sur Daoud…
J’aime…
A propos de votre demie calvitie: comment c’est au niveau de la ceinture?
Jean, le tailleur de poussière