Fillon-Jouyet, le drame de l’alcoolisme des déjeuners d’affaire

                                                                                                                                                                                                                               En entrée François se sera contenté d’une cèpière au parmesan et à la noix de Muscade. Jean-Pierre lui, n’aura pu résister à l’appel d’un soufflé d’anguille nappé d’un coulis de Cresson pendant qu’Antoine se réservait pour la suite.

Mis en appétit, François se sera jeté sur un homard bleu grillé à la vinaigrette de corail pendant que Jean-Pierre aura réglé son compte à une tête de cèpe en civet tandis qu’Antoine se sera régalé d’une poularde pochée au fumet de vin du Jura.

Il faisait grand beau sur Paris.

On aura ouvert grandes les fenêtres de l’établissement donnant sur le jardin arboré.

C’était le début de l’été.

Sur les conseils du sommelier, Monsieur Paul, on aura débouché une bouteille de Château Lagrange suivie bien vite d’une deuxième.

On se sera enquis du sort des épouses respectives, on se sera gaussé de l’arrestation de la fille et du gendre d’Hélène Pastor, on aura évoqué l’annonce de l’arrivée de Laurent Ruquier aux Grosses Têtes, on se sera réjoui des victoires convaincantes de l’Equipe de France au Mondial brésilien, on aura évoqué les prochaines vacances et l’endroit où on comptait les passer.

Une troisième bouteille apparut sans même qu’on se souvint de l’avoir commandée.

Puis dans la douce anarchie des conversations de fin de repas, quand palpite autour de la table le bonheur de l’amitié retrouvée, au moment où le vin étourdit quelque peu l’esprit, François aura montré sur son téléphone portable la photo de Peanut, le chien qui venait d’être élu chien le plus laid au monde.

Ils avaient ri aux éclats.

Antoine, Jean-Pierre, François.

Ah pour sûr ils s’en souviendraient de ce repas

Au fond, les amis, c’est tout ce qui restait quand l’âge venant, on sentait poindre la lassitude de vivre des existences trop pleines de contrariétés, trop inquiètes, trop soumises aux contingences de la vie publique.

Un cœur de poire rôti à la vanille pour Antoine, un ananas en pavlova au citron pour Jean-Pierre, un palais de crème tendre au chocolat noir pour François accompagné d’une triple tournée de digestifs avait clos ce repas de retrouvailles parfaitement réussies.

Avant de régler son compte à l’addition, Jean-Pierre et François s’excusèrent à l’unisson d’une envie pressante, et, tout heureux d’avoir ressenti la même urgence exactement au même moment, s’en allèrent, bras dessus bras dessous, visiter les lieux d’aisance situés au sous-sol du restaurant.

Mon dieu, ils étaient complètement saouls, ils se retenaient l’un à l’autre pour ne pas trébucher, ils s’esclaffaient de se savoir ainsi aussi gris, ils riaient comme deux collégiens venant de lâcher une boule puante dans le réfectoire, ils descendirent les quelques marches en titubant de plus belle, se retenant à la rambarde pour ne pas partir à culbute.

Ah pour sûr ils s’en souviendraient de ce repas.

Au beau milieu de son occupation visant à soulager sa vessie, François, découvrant intrigué que son jet avait une furieuse propension à jaillir de travers, ne put éviter de sortir l’une de ses blagues favorites ”Jean-Pierre, tu sais à quoi on reconnaît un antisémite ? Il pisse…il pisse…il pisse toujours  sur Jacob et jamais sur Delafon”.

Jean-Pierre partit d’un rire si fracassant qu’il manqua de foutre en l’air son pantalon en flanelle.

Alors François, secoué par un fou rire qui ne voulait pas s’arrêter, les yeux humides de joie étincelante, le corps agité de soubresauts incontrôlables, gagné par une ivresse gargantuesque, arc-bouté contre sa pissotière, n’y tint plus ” Jean-Pierre, tu sais quoi ? Bygmalion, il faut que…il faut que…il faut que tu t’occupes de Champollion ”

Pourquoi, il est antisémite ?  parvint à articuler d’une voix craquelée de rire Jean-Pierre, désormais avachi de tout son long contre le mur, la cravate défaite, le regard exorbité, la main tendue devant lui affairée à tenir en équilibre son téléphone portable requis pour tâcher de prendre un selfie.

                                                                                                                                                                                                                                 Dix minutes plus tard, Antoine, inquiet de ne pas les voir revenir, descendit aux toilettes et trouva ses deux amis chantant, le pantalon aux chevilles “Sarko t’es foutu, Champollion est dans la rue.”

                                                                                                                                                                                                                                                      Ah pour sûr ils s’en souviendraient de ce repas !

                                                                                                                                                                                                                                                                                   Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

5 commentaires pour “Fillon-Jouyet, le drame de l’alcoolisme des déjeuners d’affaire”

  1. Façon Guy de Maupassant. Bien.

  2. “Lorsque le vin entre, le secret sort” Talmud.

  3. Saunier Duval pour Jacob Delafon, et votre histoire juive était fichue… C’eût été dommage, car ça changeait tout : pissez sur Duval, il vous sortira le poème d’Arthur Rimbaud, dont on ignore s’il fut antisémite. Histoire sauvée, donc.

    Les lecteurs auront noté l’ « Ah pour sûr ils s’en souviendraient de ce repas ». Au restaurant, l’ananas conviendrait mieux que l’anaphore, mais un écrivain sans figure de style, ne serait-ce pas un baiser sans moustache ?

    Quant aux sphincters usés de ces messieurs, rien d’étonnant : la bonne chère, – d’autant plus agréable, dans ces stressantes missions, que le contribuable règle les coquettes additions –, s’impose ! Elle occasionne parfois des courses effrénées vers les toilettes et surtout, durant la miction de ces hauts personnages (hélas pour les dames pipi) des jets aussi obliques que les voies du Seigneur. Nul doute, enfin, que les lecteurs auront apprécié l’arrivée dans ce post de Jean-François Champollion, le célèbre décrypteur d’hiéroglyphes.

    Quelque héritier du déchiffreur, s’il eût ouï, dans les tinettes de Ledoyen, F. & J. devisant et urinant de traviole, la face de l’affaire en eût été changée. Et nous saurions qui, des deux immenses hommes, mentit.

  4. déjeuner d’affaires, non ?

  5. et rondement mené 🙂

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