Je souffre d’une étrange maladie dont par ailleurs je ne veux guérir : je ne sais pas consommer.
Je vois bien que c’est là une attitude en tout point contraire à ce que la société exige de moi mais j’ai beau essayer de me plier à son injonction, de m’acharner à me convaincre d’acheter des produits dont je n’ai nul besoin, je n’y parviens pas.
Certaines mauvaises langues diront que je suis atteint de radinerie congénitale, que je suis un Picsou qui s’ignore, un avare de tout premier plan, un de ces êtres si près de leurs sous qu’ils préfèrent engraisser le matelas de leur lit que le ventre de leur bourgeoise.
Je puis vous assurer que c’est faux, votre Honneur.
Ainsi, je suis tout à fait capable de fournir à mon chat une litière si perfectionnée qu’il lui faut apprendre le livret d’explication l’accompagnant pour avoir le privilège de s’en servir et il ne se passe pas un jour sans que j’offre à ma compagne de quoi lui donner envie de poursuivre sa vie enchanteresse auprès de moi.
C’est seulement quand il s’agit de ma pauvre personne que je bloque.
Je le confesse, mon budget ” vêtements de l’année ” ne doit pas dépasser les 200 euros, chaussettes et protèges-tibias compris.
Je n’éprouve absolument aucune sorte de plaisir à me traîner dans un magasin afin de procéder à l’achat d’un pantalon neuf ou d’une chemise sentant encore bon l’amidon d’usine.
Je n’en vois pas l’intérêt.
Un pantalon ne servant qu’à habiller ses jambes, à se protéger du froid, à éviter d’être arrêté le cas échéant par la maréchaussée pour conduite en état de nudité, il m’apparaît comme nul et non avenu de dépouiller mon compte en banque de son maigre pécule en renouvelant chaque année ma collection de jeans.
S’acheter une paire de chaussures dépassant la somme déjà exorbitante d’une vingtaine d’euros me semble relever d’une maladie mentale pire que la nécrophilie ou la zoophilie et méritant un internement de longue durée.
Investir dans un caleçon de marque au lieu d’en acheter trois à la douzaine devrait être punissable d’une peine d’emprisonnement ou d’être forcé à passer un scanner du cerveau afin de déterminer la gravité du mal dont souffre l’impétueux acheteur convaincu que de revêtir un tel apparat lui vaudra des attendrissements féminins parfaitement imaginaires.
C’est dans sa sublime et parfaite nudité que le mâle s’exprime le mieux.
Je vis de peu.
Je ne possède pas d’écran plat mais une antique télévision pourvue d’un splendide arrière-train capable certes de manger toute la surface où elle repose mais affichant néanmoins un état de forme des plus satisfaisants.
Je n’ai ni Ipod, ni Ipad, ni Ijenesais quoi et j’en suis fort ravI.
Il m’arrive de temps à autre d’acheter des livres mais en nombre limité : soit que je suis arrivé à un âge où je préfère relire des romans dont je sais par avance la valeur soit que je les emprunte à la bibliothèque soit encore que je les achète d’occasion soit que je me rabatte sur des œuvres complètes disponibles en un seul volume.
Tout comme les DVD m’évitant ainsi de dépenser des fortunes à voir des films d’une crétinerie sans nom tout juste bons à contenter les attentes d’un adolescent en pleine crise de puberté.
Écoutant la même musique que j’écoutais à vingt ans, convaincu que depuis les Smiths ou Lloyd Cole rien de consistant n’a été produit, mes achats de disques se font de plus en plus rares et doivent culminer à une dizaine par an.
Je ne suis pas assez fou pour m’enticher d’une voiture dont la première réparation correspondra à mes émoluments annuels, je préfère en louer, aller à vélo, marcher, ou encore mieux rester dans ma chambre.
C’est encore là le meilleur endroit pour vivre sa vie.
Au fond, je reste convaincu d’une chose : tout le malheur des gens vient de la frustration de ne pas parvenir à posséder des objets dont ils n’ont nul besoin.
Car comme disait le proverbe chinois bien connu : qui sait la vérité des choses n’a pas besoin de caleçon pour regarder la lune.
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Eh oui, comme disait à peu près je ne sais plus qui, nous croyons posséder les objets alors que ce sont eux qui nous possèdent. Mieux vaut donc ne pas les acquérir.
Vous n’avez pas, à vous lire, la prodigieuse fortune de Nicolas Fouquet ni ne fréquentez – du moins comme l’on fait d’une cantine – le Fouquet’s. Bonne note en est prise. Que, de votre propre aveu (« je ne sais pas consommer »), vous ne voyiez pas l’intérêt de dépenser pour vous-même plus que le strict nécessaire est, dans nos sociétés de dépense outrancière et de surendettement, un dysfonctionnement, voire un syndrome, contre lequel beaucoup se feraient un plaisir de vous aider à lutter.
Certes, avant de recourir à quelque cupide coach, vous pouvez vous faire violence, et combler votre entourage de présents inutiles, offrir une psychanalyse lacanienne à votre félin, faire de substantiels dons à des O.N.G. mais refuser toute réduction d’impôt qu’en conséquence le fisc vous consentirait, etc. S’il advenait que, comme bien l’on suppose, cela ne vous complût pas, vous pourriez créer une Fondation, la « Fondation Sagalovitsch », à laquelle l’on ne doute pas que vous assigneriez visées et mission(s) humanitaires : lutte pour l’élévation du niveau culturel et rééducation des cons ; lutte contre la hausse du niveau des océans ; lutte pour la construction d’habitations de haut niveau sans ascenseur, H.H.N.S.A. – qui aiderait les personnes à trop haut taux de cholestérol malin à s’en débarrasser, sans accroître le « trou » de la Sécurité sociale – et, corrélativement, pour la multiplication des « coulées vertes » en milieu urbain, M.C.V.M.U. Dans un autre domaine, pourquoi ne créeriez-vous pas une fondation facilitant aux détenteurs de grosses fortunes le rafraîchissement de leurs crâne et cerveau en surchauffe à coups de seaux d’eau glacée ? Etc. Vous seul, évidemment, décidez comment dépenser, ou ne pas dépenser, vos deniers. Aussi arrêtons-nous cette énumération gratuite de dépenses hypothétiques.
Quoique partageant la quasi-totalité des idées développées dans « Je ne consomme pas, donc je suis » (ainsi, je n’en finis pas d’user un veston de facture italienne acquis mi-1988, dans un magasin de la rue Saint-Lazare qui a depuis changé de siège, site et tarifs, mais non d’enseigne, aujourd’hui sis boulevard Malesherbes) et doutant que l’on puisse seulement vous taxer de ladrerie, je formulerais pourtant une toute petite réserve.
Quitte à garder un seul type de dépense et un seul besoin de possession, je ne renonce toujours pas à l’achat des livres. Je recours aux bouquinistes et, souvent aussi, aux éditions « de poche », quoique je ne lise ni en marchant, ni dans les transports en commun urbains – que je réserve à l’observation de mes semblables.
Je conclurais par ce proverbe retrouvé grâce à votre article : « Riche ne suis, ladre ne puis ».
Si j’en crois le nombre de commentaires suscités, le sujet passionne moins que la famille ou le mariage gay. Les “rassis” seraient-ils restés le cul collé à leur chaise ?
Janus, malheureusement, un sujet sans polémique, sans image, sans chaton ou “vidéo incroyable”, peine toujours à trouver son public dans une société où, justement, personne ne comprend la non-consommation.
Et personne n’osera jamais contredire ce texte, ça serait révéler sa propre addiction à la dépense I-mpulsive.
Je suis déçue, à la lecture de votre papier. J’aurais tellement aimé trouver une solution à ce mal dont je souffre également. J’ai cru, un instant, que vous y distilleriez quelques “astuces malignes, gourmandes et croquantes” qui m’auraient permis d’en finir avec cette même radinerie personnelle.
Combien j’aimerais être comme les autres et m’appesantir sur le plaisir de dépenser un loyer entier pour une nouveauté d’Apple ! J’aurais fortement apprécié avoir un petit guide du Con-sommateur, histoire de pouvoir, moi aussi, acheter un produit dont je n’ai nul besoin, mais qui m’apporterait tout le plaisir de me vanter de son acquisition.
Pas de photo retouchée de mode ? Pas de publicité voilée, pas de quizz pour savoir qu’elle consommatrice je suis ?
Me voilà incroyablement désappointée. Je repars de cette lecture en me confortant dans la folle idée que je suis quelqu’un de normal, et nous savons, tous les deux que c’est faux : “[…]une attitude en tout point contraire à ce que la société exige […]”.
Votre article est dangereux et immoral : vous rassurez les fous qui ne participent pas à l’effort de redressement de la croissance ! Au lieu de me faire culpabiliser, vous m’encouragez dans cette voie sataniste d’intelligence budgétaire.
Et je fais quoi, maintenant ? Faut-il que je regarde un Télé-Achat pour réparer les dégâts que votre brûlot a occasionnés ?
Monsieur le Radin des pantalons, je ne vous remercie pas.
J’aime beaucoup votre article, vous allez à l’essentiel et vous avez bien raison …
Avec des gens comme nous, (bien que je ne reste que rarement dans ma chambre) il restera de l énergie et de la matière pour les générations qui suivent….les objets que l on ne s offre pas a nous meme ,nos arrieres petits enfants pourrons y acceder.