Au milieu de la nuit le téléphone a sonné.
J’ai bondi hors de mon lit, envoyant valdinguer dans les airs mon chat endormi sur mon flanc, j’ai cavalé jusqu’au salon, je me suis mangé le lampadaire du couloir, j’ai manqué de m’étrangler avec une liane du ficus, j’ai fini par trouver le combiné caché sous ma réserve de valium.
J’ai décroché.
C’était le directeur de cabinet de Manuel Valls.
Je m’en doutais.
Depuis que j’avais appris la nouvelle de la démission du gouvernement, je pressentais ce coup de fil, je savais que je figurais en bonne place sur la short-list du premier ministre, il me l’avait confié en personne lors d’un tête-à-tête impromptu à la fête de la musique, “la prochaine fois, tu en seras, la France ne peut pas se passer de toi”, je l’avais cru ; il n’était pas homme à ne point tenir ses promesses.
Quel Ministère ? j’ai demandé. La Culture. La quoi ? La Culture. Je voulais l’Économie. Déjà pris. Par qui ? Macron. Lui ? Oui. Pourquoi ? Il a le profil. Et moi pas ? Non. Tu es trop pro-israélien. Qui a dit ça ? Manuel. La Justice ? Impossible. Taubira reste. Elle reste ? Oui. La Culture alors, c’est ça ? Oui. Je dois réfléchir. T’as dix minutes. C’est tout ? Oui. On doit l’annoncer avant le 20 heures. Je vois.
J’ai raccroché.
Je suis allé me servir un grand verre d’eau.
Le chat est venu se frotter à moi. Je l’ai balancé dans le frigo pour avoir la paix et j’ai refermé la porte. Il n’a pas moufté. Il avait l’habitude.
Je me suis posté devant la fenêtre.
La Culture.
Cocktails. Discours d’inauguration de la bibliothèque Katherine Pancol à Trifouillis-les-Oies. Remise de médaille à des écrivains obscurs, à des chanteurs oubliés, à des metteurs en scène cafardeux. Les Césars. Les Molières. Le Festival de Cannes. Les poignées de main à des demi-portions d’artistes amoureux de leur ombre. Les ballets. La danse. L’opéra. Les intermittents. Des pinces-fesses avec des attachés culturels guatémaltèques ou bulgares. Des négociations impossibles avec des escrocs googliens ou amazoniens. L’horreur.
Et Macaron qui filait à l’Économie. Impensable.
C’aurait dû être moi.
J’avais le profil parfait.
Me situant à la gauche de la droite du parti mais point trop excentré de son centre, à l’extrémité nord de la face sud du courant réformiste, tout juste à mi-chemin entre la tendance sociale-libérale et sa composante sociale-démocrate, partisan de la relance par la politique de l’offre tout en demeurant un adepte de cette même relance par l’augmentation du pouvoir d’achat, ancien maoïste en culotte courte mais désormais voué à la cause du grand capital, ami fraternel des banquiers mais resté en bons termes avec mes camarades syndiqués de l’école communale, j’aurais pu rassembler sous mes couleurs tout le spectre de la gauche gouvernementale et ornementale.
Bref, j’étais le candidat idéal.
Je pratiquais aussi bien la fronde que la tonte.
En tant que membre éminent de la communauté juive, j’avais mes entrées dans tous les conseils d’administration des plus grands instituts financiers de la planète ; avec un peu chance, j’aurais pu les convaincre d’investir dans des start-up installées du côté d’Auxerre ou de Clermont-Ferrand, relancer la production de l’houmous hexagonal, soutenir l’activité d’industries versées dans le recyclage de roquettes artisanales.
Et puis surtout je n’entendais rien mais absolument rien à l’économie, ce qui devait, en toute logique, me valoir la sympathie de Bruxelles.
Et voilà qu’on me proposait la Culture.
Quelle drôle d’idée avait eu Manuel.
Quitte à me refiler un strapontin d’honneur, j’aurais préféré celui des Anciens Combattants.
Un pèlerinage une fois l’an en Normandie, un autre dans la Somme et le reste du temps, la rédaction de lettres de condoléances à des familles venant de perdre leur vétéran.
Le téléphone a sonné à nouveau.
Je n’ai même pas pris la peine de répondre.
J’avais d’autres chats à fouetter que de m’occuper du déclin culturel de la France. De toutes les manières, il était inexorable. Autant mettre Jean-Pierre Foucault à ma place.
Du coup, je suis allé sortir le mien (de chat).
Il avait bouffé la moitié du reste de mon houmous.
Alors que je me faufilais sous les draps, ma femme m’a demandé qui c’était.
Personne. Juste un zozo qui voulait me refourguer des macarons de droite.
Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true
“La bibliotheque katherine pancol”
Je ris, j’aime mais ca nous pend vraiment au nez…
Vraiment très drôle,je passe toujours un bon moment à vous lire….
Avouez Saga!
Vous êtes l’ âme damnée de Manuel Valls! Vous dirigez la France en sous main (le complot juif mondial, vous savez!) et pas que la France d’ailleurs! l’ Espagne aussi (tant qu’on y est)
Vous le reconnaissez d’ailleurs dans votre billet!: “Me situant à la gauche de la droite du parti mais point trop excentré de son centre, à l’extrémité nord de la face sud du courant réformiste, tout juste à mi-chemin entre la tendance sociale-libérale et sa composante sociale-démocrate, partisan de la relance par la politique de l’offre tout en demeurant un adepte de cette même relance par l’augmentation du pouvoir d’achat, ancien maoïste en culotte courte mais désormais voué à la cause du grand capital, ami fraternel des banquiers mais resté en bons termes avec mes camarades syndiqués de l’école communale”
Et pourquoi ce lobbying en faveur de Katherine Pancol? 🙂 Quels sont vos liens inavoués?
Dernière minute: Le gouvernement suisse vous réclame pour son ministère de la marine!
D’abord, les macarons d’aujourd’hui, sortes de monticules mollassons, multicolores et crémeux, sont des macarons d’opérette ! L’authentique macaron (petit ou grand) se prépare avec des amandes en poudre, du sucre semoule, des blancs d’œufs (non battus) ; pour celui à la crème, mêmes ingrédients mais on ne met qu’un blanc d’œuf (non battu) et on ajoute : crème fraîche et vanille en poudre (1). Le reste est littérature !
Ensuite, votre cachotterie – l’ultime choix du Premier ministre, à vous « confié en personne » par son Directeur de Cabinet « lors d’un tête-à-tête impromptu [mon œil…] » –, publiée, dans ce post, le même jour que la lettre expressément confidentielle ! (remise par l’expéditeur au grand et rosissant hebdomadaire du mercredi), qu’un ancien ministre [Économie, Redressement productif et Numérique] adressa, sous le manteau, en février dernier, au président de la République, n’est pas une mauvaise manière. C’est une bonne chose. Pourtant, sans doute en conviendrez-vous : la coïncidence de cette double publication est curieuse, et l’on oserait presque vous demander ce que votre chat en pense.
Enfin, Économie, Anciens Combattants ou Culture, est-ce vraiment important ? Dans les salons, le maître d’hôtel vous eût accueilli aussi obséquieusement. « Bonsoir, monsieur le ministre. […] Monsieur le ministre va bien ? […] Monsieur le ministre prendra-t-il un peu de champagne ? […] Quelques croquettes pour le chat de monsieur le ministre ? […] Le chat de monsieur le ministre a-t-il une préférence ? » Et l’on en passe, des « Monsieur le ministre », des flûtes, et des croquettes.
[Un membre du personnel de service à un autre : « Tu les as vus, lui et son chat ? Qu’est-ce qu’ils se mettent ! Ce sont des nouveaux ? » L’on en passe, de ces sournoiseries – familières, que dis-je familières ? Irrévérencieuses ! – visant d’ailleurs tous les serviteurs de l’État – de droite ou de gauche, tels des macarons.]
Allez, la seconde fois, vous avez bien fait de ne pas prendre l’appel du Directeur de Cabinet du Premier ministre. Votre femme, votre chat et vous-même vous en féliciterez, va. Et puis, nous aussi.
(1) “La pâtisserie pour tous” (pas comme le mariage pour…), Ginette Mathiot, Le Livre de poche n° 2 302 [ISBN : 2-253-00477-4].
Contrairement à l’auteur,
Ginette Mathiot :
best seller,
savait écrire en français, et faire la cuisine
inconnue des ménagères de moins de 60 ans.
Zut, dommage pour Clermont.
donc vous n’etes pas cultivateur dans l’ame….bravo!!
“Le chat de monsieur le ministre a-t-il une préférence ? » vous lui avez fait raté ça ? Donnez lui du saumon pour vous faire pardonner !
Merci pour cette page d’une drôlerie irrésistible. A quand un livre entier sur le même ton ? Avec la même verve ? En donnant la parole au chat, bien entendu !