Ainsi donc, en ce début de XXIème siècle triomphant, les historiens se souviendront avec émotion qu’apparut dans ses primes années, faisant suite au dadaïsme, au surréalisme et à l’existentialisme un nouveau courant de pensée philosophique intitulé le selfisme.
Lequel consistait à se prendre en photo à l’aide de son téléphone dit intelligent mais tout aussi encrassé de bêtise que son nigaud de propriétaire, puis une fois le cliché réalisé, de l’envoyer dans la seconde à la terre entière afin qu’elle puisse commenter et admirer la performance artistique du photographe enamouré de sa propre personne.
La plupart du temps ladite photo montrait un hurluberlu certifié et approuvé conformément couillon selon toutes les conventions internationales existantes, occupé à mirer dans l’œil de sa caméra le champ infini de son immémoriale crétinerie, en tâchant d’exprimer de la manière la plus éloquente qui soit son étonnement de découvrir sur l’écran de son téléphone l’expression même de son étonnement.
Mise en abyme vertigineuse où se reflétait toute la puissance intellectuelle de l’époque, versée dans une quête de l’absolu rarement entrevue dans l’histoire de l’humanité, magnifiée à travers l’apparition de ces selfies dont s’enticha à une vitesse sidérante la quasi-totalité de la population mondiale.
Aussitôt le mouvement lancé, on ne compta plus ceux qui, au beau milieu d’une manifestation sportive, artistique ou festive (concert, feu d’artifice, rencontre de football, anniversaire de Tata, circoncision du chat) tournaient subitement le dos à l’événement afin d’apporter aux heureux destinataires du selfie la preuve éclatante et intangible de leur présence en ces lieux.
Laquelle preuve consistait à se prendre soi-même en photo, en tenant du bout de son bras allongé son propre téléphone, transformé pour l’occasion en caméra, tout en tâchant de laisser apparaître en arrière-plan, au-delà du reflet de sa propre bouille, les vagues traces de l’événement en train de se dérouler.
Evènement auquel la plupart du temps le photographe amateur ne s’intéressait guère, préoccupé qu’il était d’accumuler les clichés afin d’en extraire le plus éloquent d’entre eux capable de figurer en tête de sa page Facebook.
Sans compter les innombrables moments de sa vie personnelle, repas au balcon, visite de sa salle de bain, exploration de la chambre à coucher où, pris d’une impulsion subite, considérant l’incroyable opportunité d’apparaître lui-même dans ce décor pourtant ô combien familier, notre photographe en goguette n’hésitait pas à s’auto-mitrailler en multipliant les prises de vue.
Le tout afin d’obtenir un selfie voué à échouer quelques millièmes de secondes plus tard dans la carcasse du téléphone de sa compagne occupée à cette heure à arroser les fleurs à l’autre bout de l’appartement.
C’est ainsi que le monde moderne se révéla à lui-même : une vaste entreprise d’auto-glorification narcissique où l’individu en mal de repères, balloté dans un siècle sidérant de complexité, se rattachait à la dernière valeur à laquelle il croyait : sa propre personne.
Jusqu’au jour où un singe eut la saugrenue idée d’imiter son lointain descendant et à son tour, s’emparant d’un appareil photo, s’amusa à se prendre en bobine dans les poses les plus diverses et variées.
Peu après cette cinglante déconvenue, la mode du selfie disparut, remplacée bien vite par celle du telfie qui consistait à s’appeler soi-même à l’aide d’un logiciel approprié et d’entamer une conversation animée et souvent interminable avec sa propre personne, finissant la plupart du temps en engueulades mémorables, le moi se révoltant contre le surmoi au beau milieu d’un ça en pleine déconfiture.
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La civilisation progresse : du portrait pictural d’autrui à l’autoportrait photographique, en passant par l’autoportrait du peintre peignant la scène qui constituera le tableau. Après l’acmé (Diego Vélasquez et « Les Ménines », 1656), la dégringolade : le « selfie » simiesque et la déconfiture culturelle des « hurluberlus […] mir[ant] dans l’œil de [leur] caméra le champ infini de [leur] immémoriale crétinerie ». Comment ne pas souscrire ? Mettez-m’en donc une dizaine de pages, et ne lésinez pas sur les synonymes de la crétinerie !
Le comble, souvent, est ce qui n’apparaît pas sur l’image, ou la photographie : ici, la horde d’esprits affûtés qui créent les techniques « pointues » propres à transformer leurs utilisateurs en détenteurs de cerveaux flasques et monomaniaques (« Moi, moi, moi ! »). On connaît la chanson : la technique, en soi, n’est ni bonne ni mauvaise, tout dépend de qui l’utilise, et à quoi. On hoquette. Mais quand le ramollissement de la matière grise atteint le seuil du non-retour, créer des techniques encore plus « pointues », en vanter les usages (« Moi, Narcisse, je m’adore couillon, ouais ! »), n’est-ce pas se livrer à une activité criminelle, à introduire dans le Code pénal : le vide-crânes ? Et payée, qui plus est, par les futurs chauves de l’intérieur de la tête…
Quant à l’auto-conversation annoncée, via les vertus d’un logiciel, elle ne sera jamais que l’arrière-petite-fille des lettres que s’écrivait et postait l’interne d’antan, pour montrer aux copains que lui aussi sollicitait les P.T.T.
Ce n’était pas narcissisme d’idiot d’internat. C’était montrer aux autres qu’on n’était pas oublié – une façon, au prix d’un mensonge, d’être digne sans jamais geindre de sa solitude forcée.
Vous organisez un concours de vieux cons?
Je n’arrive pas à déterminer si je suis plus gêné par certains selfies effectivement parfois grotesques (mais pas toujours) que par ce genre de texte méprisant et cynique qui cherche à rationnaliser le fait qu’on est devenu un vieux con. Se foutre ainsi des autres est aussi une forme de narcissisme, cher Esprit Supérieurement Éclairé…
une erreur dans l’article : le remplacement du selfie sera le fuckie : on aime tellement notre smartphone (le nouveau modèle est un objet du désir) que nos divers orifices les accueilleront avec joie. surtout en mode vibreur.
@Nico Pedia : il faut reconnaitre que cette habitude qui consiste à croire que le sujet ou la situation sont assez intéressants pour être sans arrêt pris en photo et diffusés sur le wouebe est assez agaçante.
Nombril, nombril et nombril.
Certains passent leur temps à réfléchir à ce qu’il pourraient faire qui pourrait mériter une photo plutôt que de vivre pleinement les situations en question.
A 15 ans, pourquoi pas, même si la modération n’a jamais fait de mal à personne, quelque soit l’âge. Au delà, c’est révélateur d’un niveau avéré de superficialité.
Sans compter que ce nom, selfie, est absolument ridicule !
celui là, je l’adore!!
http://www.pinterest.com/sharearead/animal-funnies/
ouais,
l’équivalent visuel du blogisme qui permet aux ratés et aux impuissants de nous faire part :
– de leur profondeur de pensée,
– de leur soutien à la masturbation
– et aux crimes de guerre au proche orient
…
çà manque de culselfies
C’est une mode, après overdose ça va finir par passer