Les temps sont durs.
Vraiment durs.
Cette impression de dévaler à tombeau ouvert les sentiers de l’incontinence intellectuelle sans plus pouvoir actionner le frein à main et arrêter cette course infernale de l’universelle bêtise, où chacun rivalise d’initiatives afin d’apparaître encore plus crétin que son voisin.
A ce petit jeu, notre Président de la République, a une nouvelle fois fait résonner le gong de son incroyable propension à adopter des décisions d’une telle extravagance qu’on se demande parfois s’il ne souffre pas d’une sorte de syndrome de Tourette venant altérer, à intervalle régulier, le bon fonctionnement de son esprit.
Après l’invraisemblable saillie Léonardesque, voilà qu’il s’en est venu proclamer trois jours de deuil national afin d’honorer la mémoire des victimes de l’accident d’avion Ouagadougou-Alger.
Il est vrai qu’il n’est jamais drôle de mourir.
A fortiori dans un accident d’avion.
Que de telles tragédies collectives, à chaque fois qu’elles surviennent, nous frappent toujours en plein cœur, nous atteignent au plus profond de nos êtres, nous rappellent avec une cruauté infinie la fragilité de toute vie humaine.
Nous nous mettons à la place de ces malheureux ou de leurs familles et nous pleurons sur leurs infortunes tout en éprouvant une sorte de peur rétrospective comme si nous avions réchappé de peu à cette épouvantable catastrophe.
Les morts en avion sont toujours des morts anormales.
Des morts scandaleuses.
En apprenant leurs nouvelles, nous mourrons nous aussi un peu.
Nous imaginons l’incroyable douleur des proches, leur désespoir d’avoir à reconnaître un corps atrocement défiguré, leur agonie d’apprendre que la dépouille de l’être aimé ne sera jamais retrouvée, leurs cris, leurs sanglots, leurs tristesses infinies que rien ne pourra jamais consoler.
Il est alors du devoir du Président de la République de dire, en notre nom, notre chagrin, d’adresser aux familles nos condoléances les plus sincères, de tout mettre en œuvre afin de tenter d’expliquer la raison de cette catastrophe.
Mais aussi atroces que ces morts puissent être, elles demeurent jusqu’à nouvel ordre des morts accidentelles, dues à une combinaison de facteurs qui mis bout à bout ont provoqué la chute de l’avion.
C’est du moins à ce jour l’hypothèse retenue comme la plus vraisemblable par nos ministres.
Dès lors qu’il n’existe pas de volonté de s’attaquer à la France par le biais d’un attentat qui aurait visé ses ressortissants, on ne comprend pas bien la nécessité de proclamer un deuil national de trois jours.
Tous les jours, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, sur nos routes nationales, des vies sont fauchées dans le fracas de tôles froissées.
Des gens chutent dans des escaliers. Des homicides sont commis. Des incendies surviennent.
La mort ne prend pas de vacances.
Au nom de quoi va-t-on décréter que des morts sont plus importantes que d’autres ?
Parce qu’elles sont simplement plus spectaculaires?
Parce qu’elles envahissent à satiété nos écrans de télévisions ?
Parce qu’elles suscitent un émoi considérable ?
On demande à un Président de la République de précisément ne jamais verser dans la dictature de l’émotion, cette engeance des temps modernes synonyme de la défaite de la pensée, de prendre de la hauteur et d’eviter d’adopter des mesures putassières juste déclenchées parce qu’on suppute qu’elles vont rencontrer l’adhésion de la population meurtrie à juste titre par ce drame.
La mort n’est pas un argument électoral.
On ne peut pas transformer une simple catastrophe aérienne en une démonstration de pathos national aussi lourdaude qu’inappropriée.
Mettre les drapeaux en berne signifierait que d’une manière ou d’une autre on a tenté de porter atteinte à l’intégrité de la nation.
Qu’on a voulu la blesser. La souiller. La meurtrir.
Que des Français sont morts parce qu’ils étaient Français.
Et que la nation meurtrie, touchée dans son identité menacée, prenne le temps de se rassembler pour mieux communier avec la mémoire de ses enfants tombés au champ d’honneur.
On ne déclare pas la guerre au hasard ou à la malchance.
Sinon, on se condamne à plonger le pays dans un deuil éternel…
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Excellent, et quelle justesse encore une fois! Je trouvais egalement bizarre ce deuil national.
Mes pensées étaient les mêmes, j’en éprouvais un peu de honte, me disant que j’avais vraiment le coeur dur; merci d’encore une fois exprimer de façon magnifique ce que je ressens…
Tout à fait d’accord.
Mais c’est vrai ça : pourquoi pas un deuil perpétuel ? La seule façon de montrer qu’on aurait enfin compris tout le sens de la vie : pleurer la mort des autres en attendant le sienne. Et si les drapeaux, dans le fond, n’étaient que d’immenses mouchoirs ?
J’ai lu quelque part de mémo “le chef de l’Etat va prendre personnellement en charge ce dossier”, je me demandais ce qu’il allait bien pouvoir encore nous pondre? Ceci étant dit vous n’êtes pas avar en critique au point d’interdir un tweet. Vous dites pour la seconde fois “Au nom de quoi va-t-on décréter que des morts sont plus importantes que d’autres ?”, que proposez vous?
Que la communication soit « putassière » [sic], c’est évident ! Que quiconque ait le droit de ne pas aimer « ce » président de la République est non moins évident ! Mais une mémoire courte est mauvaise conseillère.
Le quinquennat, voté sans réflexion, présidentialise notre régime politique, transformant – quoi qu’il fasse – le Président en Premier ministre. Demandez au « collaborateur » du précédent Président. La presse se révèle, depuis 2002, particulièrement « putassière » [sic, bis]. François Hollande en aurait-il fait moins ? Les gazettes (papier et numériques) l’eussent trouvé « insensible » ; vous (la presse vous rejoindra) travestissez en pathologie – de manière assez « putassière » [sic, ter] – un comportement, certes un peu excessif mais ne méritant pourtant pas, à défaut d’honneur, l’indignité.
Moqué, dénigré, et même haï (je pèse mes mots), quoi qu’il entreprenne, « ce » président de la République est d’ores et déjà assuré d’être reconnu par les historiens comme un aimant à sarcasmes et détestations très supérieur à son prédécesseur, pourtant peu épargné par des journalistes qui l’avaient littéralement adulé. Une once d’honnêteté devrait conduire à reconnaître que le précédent tendit beaucoup plus de verges pour se faire fouetter que l’actuel.
« Les temps sont durs » et Margot aimait pleurer, bien avant Baudelaire et le dix-neuvième siècle : il faut bien se laver les yeux…
Alors c’est entendu : ces Français, morts dans le désert malien, n’étaient pas des soldats ; sauf plus ample informé, leur avion n’a pas été abattu. Déplorons donc que « ce » Président ait un peu perdu le sens de la mesure. Plaidons néanmoins le sursis, et attendons la prochaine incartade avant de le vouer aux gémonies.
Enfin, merci par anticipation de croire (sans l’ébruiter, bien sûr) qu’il ne pense pas un dixième de seconde, que « la mort [de Français soit] un argument électoral ».
C’est qui est fascinant chez Hollande c’est cette capacité à se piéger lui-même. Que sera sa réaction à la prochaine catastrophe ? A l’accident d’autocar qui cet été ne va pas manquer de survenir ? A partir de combien de morts on décrète un deuil national ? 6,12, 23 ? Absurde.
Il y avait longtemps que je n’avais pas lu un papier aussi pertinent et aussi bien écrit, qui reflète parfaitement mon sentiment. Merci au Monsier en cavale ….
C’est juste que ça tombe bien. Difficilement critiquable parce que c’est le rôle de base du Président, l’international et il y a des français morts donc c’est triste, le Président est triste donc il est proche de nous et en même temps il évite d’aborder les autres conflits, il essaye d’organiser une trêve et de garder la main sur le story telling des médias. Mais il en fait trop.
on nous prend vraiment pour des cons
Merci pour cet article de blog que l’on pourrait méprendre pour un édito du Monde, c’est dire ! (je ne sais pas d’ailleurs si vous prendriez cela pour un compliment)
Vous posez les mots exacts sur des impressions que par paresse, ennui ou lassitude, on ne se formule plus. Le parallèle avec Leonarda est très juste. Vive le Canada
“Quand les hommes vivront d’amour… Il n’y aura plus de frontières… Et nous nous serons morts mon frère…” chantaient, chantaient… Felix L…, Gilles V… et… Ch… ???? Mais qui donc étaient-ils ces trois chanteurs… canadiens je crois ???
Ah oui, québécois je crois, oui c’est ça… trois chanteurs québécois.
Et voici encore un libelle ou la pertinence du propos n’a d’égal que la fluidité du style. Merci pour cette analyse aussi fine qu’élégante. Une fois de plus ce qu’il convient de penser est exprimé sans détour à l’aide d’arguments clairs et irréfutables. Chez vous, contrairement aux tartuffes de la presse bien pensante on ne sent ni faiblesse face aux puissants, ni complaisance envers le pouvoir. Sii parfois peut-être passe sur un paragraphe l’ombre furtive d’une légère acrimonie, elle se dissipe rapidement et dissimule bien mal votre timide tendresse et votre profond respect, j’ose même écrire amour de l’humanité. Un seul mot monte aux lèvres en forme de coeur rose quand arrive, trop vite, hélas la fin de vos billets : ” Encore, Laurent, encore !
Reprenez vous Massilian je vous prie !
Sauf qu’il n’est pas question de deuil national, simplement de mettre les drapeaux en berne comme cela avait été fait pour le vol Air France Rio-Paris…
Excellent post, Laurent.
mais ou est Vince!?
Dans l’avion ?