Quand l’Elysée choisit ses morts

 

Je ne comprends  pas.

A peine la nouvelle de la disparition aussi soudaine que tragique de Benoît Duquesne était-elle tombée que dans la foulée notre Président de la République suivi de son Premier Ministre se fendaient, l’un d’un tweet, l’autre d’un communiqué de presse pour mieux dire leur tristesse et leur affliction.

Je ne voudrais surtout pas jouer au populiste de caniveau mais j’ai beau chercher et chercher encore, j’ai du mal à me figurer en quoi la mort de ce journaliste, de n’importe quel journaliste d’ailleurs, possédait-elle plus d’importance que le décès d’un professeur ou d’un boulanger qui hélas a bien dû survenir dans la même journée ?

Autrement dit, suffit-il donc d’être un personnage public pour que les plus hauts sommets de l’état s’émeuvent de votre mort, tandis qu’ils demeureraient d’une parfaite indifférence dès lors qu’il s’agirait de la disparition d’un citoyen des plus anonymes, étant il est vrai dans l’impossibilité de le connaître puisqu’il a eu le mauvais goût de vivre sa vie en catimini.

A dire vrai, je ne réalise pas bien en quoi la vie de Benoît Duquesne, aussi exemplaire a-t-elle été posséderait-elle plus de valeur que celle d’un quelconque ouvrier, d’un agriculteur méritant, d’un épicier travailleur, d’un maçon valeureux, d’un pompier courageux, d’un chômeur, d’une femme de ménage, d’un cycliste du dimanche, d’un carreleur, d’un bateleur, d’un affabulateur ?

On tient là, dans cette déclamation de la République attristée, la victoire ultime de la société du spectacle où, mélangeant célébrité et respectabilité, visibilité et honorabilité, on en vient à hiérarchiser son émotion en fonction de la notoriété du défunt.

Le même Benoît Duquesne, très exactement le même, avec les mêmes qualités humaines, avec la même intelligence, la même rigueur professionnelle, la même opiniâtreté, eût-il choisi d’embrasser une carrière tout autre que, l’Exécutif, à l’annonce de sa disparition, se serait montré d’un silence d’outre-tombe.

On me dit que l’Élysée n’a pas vocation à saluer la mémoire de tous les morts de France.

J’en conviens aisément.

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Mais alors pourquoi précisément prendre la peine de pondre un communiqué pour dire sa peine, au nom du peuple Français, faut-il le rappeler, lorsque disparaît un journaliste, aussi talentueux fut-il ?

Rien n’empêchait me semble t-il notre président, attristé personnellement par l’annonce de sa disparition, d’écrire à la malheureuse veuve pour lui confier sa peine et lui dire son chagrin au lieu de venir pétarader sur l’estrade de la République médiatique.

Que je sache, Benoît Duquesne ne se situait pas dans l’expression d’une pensée si originale ou radicale qu’elle aurait révolutionné les sciences humaines, il n’est pas venu bouleverser le champ de la connaissance médicale ou scientifique, il n’incarnait pas le Génie de la nation, il ne sauvait pas des vies, il ne se battait pas pour l’honneur de la nation, il n’œuvrait pas à l’élévation des âmes par la production d’écrits ou de peintures immortelles, autant de dispositions qui auraient pu légitimer les plus hautes personnalités de l’État à venir saluer, au nom de la République endeuillée, sa mémoire.

On me dit qu’il était connu, à la différence de l’instituteur de la rue  Saint-Pierre le Vif à Sens qui lui, pauvre malheureux, n’était connu que de ses élèves.

C’est parfaitement vrai.

Encore faudrait-il m’expliquer en quoi la notion d’être connu serait une qualité qui par nature serait exceptionnelle et à même de susciter un tel émoi du côté de l’Elysée.

 

Etre connu, apparaître à la télévision, converser à la radio suffirait-il donc pour qu’automatiquement on reconnaisse en vous des qualités attribuées d’ordinaire à des êtres visités par la Grâce ?

Suffit-il donc de tenir un micro, d’être connu de la mère Michu, reconnu par Monsieur Martin, pour que d’emblée, vous apparteniez au corps d’élite de la République et que cette même République s’afflige, en des termes circonstanciés, de votre décès ?

 

Que la République ne s’afflige que des disparitions relatives à des êtres aux parcours vraiment hors-normes, consacrés par les lauriers du Temps.

 

Pour les autres, le dernier salut du fossoyeur suffira.

 

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9 commentaires pour “Quand l’Elysée choisit ses morts”

  1. parfaitement!
    depuis tout petit, ça m’a interpelé ce genre de déclaration.

  2. Oui.
    Vous auriez pu aussi évoquer la présence de M.Hollande au pot de départ d’une journaliste de l’AFP, il y a quelques mois. Un scandale.

  3. Le fossoyeur dépasse en utilité bien des gens, si haut placés soient-ils. Une pique achève le post, non le préposé à l’inhumation, et ne gâche heureusement pas l’argumentation – impeccable.

    Les hôtes successifs de l’Élysée confèrent aux défunts qu’ils honorent un surcroît de notoriété – parfois injuste. Les journalistes pas moins. Communiqué et article nécrologique sont des outils de communication : de l’honneur rendu au mort, une parcelle revient à ceux qui les publient. Tout est bon pour les politiques et les gens de médias, quand ils veulent qu’on parle d’eux. La pompe funèbre, si l’encensoir est bien manié, atteint aussi l’encenseur.

    Mais pourquoi une lettre, partie de l’Élysée, n’arriverait-elle pas à la famille Duquesne ?

    Quant au lampiste, qui donc ignore que la seule gloire qui lui soit le plus souvent consentie est celle de… porter le chapeau pour quelque(s) supérieur(s) ?

  4. non ils on fait la méme pour la mort de Jean-Luc Delarue , c’est pas étonnant …

  5. Debord avait tout dit, hélasssssssss…

  6. Je vous ai déjà dit que Brel me faisait doucement chier? Quant à Duquesne c’était un bon journaliste avec de bonnes émissions et qui informait pas mal. Je ne vois pas où est le problème?

  7. c’était Vince en défense du Brésil?

  8. D’accord avec tout le monde et tout ce que vous voulez,
    Mais par contre s’il s’avère que Laurent a vraiment fait disparaître mon Simon,
    Alors là franchement Il faudra qu’au moins le Pape et c’est bien normal réflexion faite, oui que le Pape fasse une déclaration télévisée urbi et orbi,
    Pour exprimer en mon nom que c’est terrible, neurasthénisant, en fait gravement déboussolant,
    Et qu’il n’y avait pas mieux que lui.

  9. Je pense qu’il n’a rien contre Benoît duquesne .l’accent porte sur le comportement de nos dirigeants.pourquoi porter plus d’attention sur la mort de ce dernier et ignorer le massacre a Gaza par exemple… ?

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