Le jour où j’ai été en prison

 

Moi aussi, comme Jérôme Kerviel, je suis déjà allé en prison.

Pourtant j’étais innocent.

D’ailleurs ces bourricots m’ont relâché au bout de deux heures.

J’ai juste eu le temps de serrer la main à quelques détenus, d’échanger deux, trois paroles avec des malfrats de quartier avant que comme un malpropre on me demande de franchir en sens inverse les portes du pénitencier.

C’était en 1997.

A Chambéry.

Lors du festival du premier roman  où se retrouvent convoqués une dizaine d’aspirants romanciers sélectionnés par les habitants de la ville assez suicidaires ou téméraires pour s’être infusés en intraveineuse la tripotée des premiers romans parus durant l’année.

On réquisitionne aussi les membres d’un club de lecture se réunissant dans le cadre champêtre d’une prison toute proche de Chambéry, constitué exclusivement de prisonniers, afin qu’ils déterminent parmi les romanciers élevés au rang de demi-dieux l’auteur qu’ils aimeraient cuisiner.

Juste histoire voir quelle tête d’empaffé ça peut bien avoir un grognard d’écrivain assez imbu de sa personne pour prétendre rivaliser avec le Créateur en chef.

Cette année-là, c’était moi avec qui ils voulaient se frotter et lorsque la responsable de la manifestation m’avait demandé si j’étais partant pour les rencontrer, crâneur comme je suis, petit gauchiste aux idées courtes mais aux espérances grandes, foin d’une largesse d’esprit dont je pourrais me vanter auprès de ma section du parti auquel je n’appartenais évidemment pas, j’avais répondu oui bien sûr camarade, pas de problème, un taulard n’est-il donc pas un lecteur comme les autres ?

Le matin de l’entrevue, je n’en menais pas large.

Je m’imaginais déjà pris en otage, séquestré par une bande de détenus sanguinaires réclamant l’amélioration de leurs conditions de détention, menaçant de me couper un doigt ou pire s’ils n’obtenaient pas satisfaction, me promenant sur le toit de leur principauté afin de montrer leur détermination sous le regard goguenard de quelques caméras vissées au cul d’hélicoptères alléchés par la possibilité de la mise en bière en direct du futur plus grand écrivain de sa génération.

Dans la voiture me menant à l’échafaud, je pestais contre moi-même. Quelle idée j’avais eu d’accepter.

Tout ceci ne pouvait être qu’un piège. Une souricière. Un traquenard.

On a toujours quelque chose à se reprocher.

Une déclaration d’impôts un peu foireuse, une amende pour stationnement non réglée, un voisin qui m’aurait dénoncé pour comportement équivoque, le vol d’un bonbon dans une boulangerie lors de mon année de sixième, une simulation lors d’un match de foot, une maîtresse revancharde m’accusant d’avoir dérobé ses bigoudis, ma mère ayant porté plainte parce que je ne l’avais pas appelée de la semaine.

J’ai été fouillé, mon sac à dos a été inspecté de fond en comble, ma carte d’identité a été confisquée, le garde a appuyé sur un bouton, les grilles se sont ouvertes, j’ai eu un moment d’hésitation, mon accompagnatrice, l’organisatrice de la rencontre, m’a encouragé du regard, j’ai avancé de quelques pas, les grilles se sont refermées derrière moi avec ce claquement sonore et métallique reconnaissable entre mille signifiant la fin de la liberté, l’entrée dans un monde interlope, inconnu, dangereux, peuplé d’assassins, de pédophiles, de pyromanes, de trafiquants de drogue, de violeurs de chats, d’égorgeurs de lapin.

Ils étaient une dizaine à m’attendre.

Leurs interventions furent furieusement drôles.

Mon roman à ce que je crois me souvenir racontait les aventures d’un jeune professeur dépêché dans une petite ville de province tombant amoureux d’une bibliothécaire, le tout sur fond de souvenir de l’holocauste, de meurtre fantasmé ou réel, de culpabilité plus ou moins assumée.

L’un des prisonniers m’interpella en me disant que mon roman ne tenait pas la route.

Et pourquoi ça ?

Parce qu’à un moment vous parlez d’un mari qui se venge de sa femme en essayant de tuer son amant. Et bien je vais vous dire, elle n’est pas crédible votre histoire. Parce que moi l’amant de ma femme je l’ai tué et c’était pas du tout comme dans votre bouquin.

L’épreuve avec la confrontation du réel.

Un autre, le juif de service qui avait évidemment trempé dans des magouilles financières, quoi d’autre?, m’avoua qu’il en avait marre de ces histoires de Shoah, qu’il avait baigné dedans depuis qu’il était tout petit et qu’il n’en pouvait plus.

Un autre trouvait la couverture trop rouge alors qu’il était daltonien.

Je ne vis pas le temps passer.

Ils finirent par évoquer leur vie en prison.

C’était une nouvelle prison. Moderne. Automatisée.

Ils avaient chacun leur cellule individuelle et tous crevaient de solitude.

Ils ne voyaient presque jamais les gardiens, ils tournaient en rond dans leur cellule, ils s’abrutissaient devant la télévision, ils bouffaient à la pelle des tranquillisants pour tenir le coup.

Des écrivains en puissance.

Ils étaient comme vous et moi.

Ils avaient simplement à un moment donné eu un accident de parcours. Avaient dérapé. S’étaient retrouvés pris au piège de leurs pulsions. Commis un impair. Franchi la ligne. Basculé dans l’illégalité. Mis un pied en dehors des clous. N’avaient pas pu respecter les règles du jeu.

Ils n’étaient ni fous, ni monstrueux, ni dépravés.

Juste humains. Froncièrement humains.

 

J’aurais pu être l’un d’eux.

Vous aussi.

 

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6 commentaires pour “Le jour où j’ai été en prison”

  1. post très sympa, il faut toujours voir une institution, quel quelle soit, de l’intérieur pour pouvoir la juger.trop de gens l’oubli…

  2. oui, c’est vraiment un gentil post, d’un gentil auteur à de gentils lecteurs d’ailleurs. La prison c’est fascinant. Pour les amateurs, un truc totalement addictif, la série Oz.

  3. Quand on purge sa peine pour avoir occis l’amant de sa femme, une fiction romanesque et même une tragédie ne purgent pas vos passions. N’en déplaise au grand Aristote ou à ses successeurs. Était-elle comique, « furieusement drôle », l’intervention du cocu mauvais coucheur ! Qu’il ne se fût pas comporté avant l’incarcération comme un Inuit, passe encore, mais avoir été si chiche en altruisme, c’était une faute de goût. Si, gracié, le pèlerin Jérôme Kerviel échappe à la geôle, on ne pourra lui reprocher d’avoir négligé de mettre les autres, et non des moindres, à contribution.

    Bon, tout ça est bel et bon, mais si nous retombions à nos coches ? « L’épreuve avec la confrontation du réel ». Ou, pour le détenu : l’épreuve avec la confrontation de la fiction… On voit dans ce fossé entre fiction et réalité que, si celle-ci paraît souvent plate ou peu enthousiasmante, celle-là, pour peu que l’écrivain ne soit pas un manche, est en revanche merveilleuse. Elle permet au lecteur – moins au spectateur – de s’offrir à frais réduits des émotions que la vie lui aurait peut-être interdit d’éprouver.

    Chacun jugera ce qui a le plus de prix. Malgré son jugement littéraire, le meurtrier du don Juan des alpages devait regretter, de n’avoir pas été un meurtrier de roman. Du moins si l’on admet que les prisonniers lisant des romans ne sont « ni fous, ni monstrueux, ni dépravés. Juste humains. Foncièrement humains ».

  4. Post très niaisieux d’un type sûrement de gauche et plein de bonnes intentions. Assassins, pedophiles, pyromanes : substantifs utilises seuls qui expriment très bien le crime commis. Violeur de lapins: pourquoi donc ce substantif qui exprime un crime odieux se trouve assoupli, diminue, sous-estimé ? 1 femme sur 16 est violée en France. Toutes ces femmes, et ces hommes, sont des lapins ?
    Minable

  5. c’était cool dans les douches ?

  6. j’ai rien compris à l’histoire du lapin…

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