Le rêve d’une Europe sans l’Allemagne

 

Finalement l’Europe ne s’est jamais vraiment remise de l’Holocauste.

Le crime était trop lourd pour qu’elle puisse survivre à cette abomination.

L’idée de cette Europe, phare de toutes les civilisations, porteuse des idées de progrès et de lumière, rédactrice de la déclaration des Droits de l’Homme, s’est abîmée à jamais dans les fours crématoires d’Auschwitz.

Et elle ne ressuscitera pas.

On aura beau l’élargir, la démultiplier, la passer dans la grande machine à laver de l’Histoire, elle ne se relèvera pas de ce forfait qui l’a plongée dans une nuit si profonde qu’aucune aube ne viendra plus jamais l’illuminer et la sortir de cette torpeur métaphysique où elle est encalminée depuis des décennies maintenant.

Comment peut-on s’imaginer construire une identité européenne commune alors que l’une de ses principales composantes a perpétré un crime d’une telle ampleur, a attenté d’une manière si profonde à l’idée même d’humanité qu’elle a souillé pour toujours le concept de civilisation.

La méfiance sera toujours là.

Il nous est naturellement compliqué de se fiancer avec un pays qui a contribué à assassiner tout ce que précisément l’Europe avait tenté jusque-là de bâtir : un idéal de justice, la croyance en une science rédemptrice, la belle idée de progrès de pour tous, l’accès à une culture humaniste censée nous élever et rendre impossible tout retour à la barbarie moyenâgeuse, à l’obscurantisme le plus échevelé, à ces guerres de religion à répétition.

Afin qu’elle puisse réussir à nous séduire, il aurait fallu imaginer dans un premier temps une Europe sans l’Allemagne dans ses rangs.

C’eût été la seule manière de créer une identité européenne pérenne, dépourvue d’arrière-pensées, débarrassée de ces rancœurs immémoriales, vidée de toute trace de soupçon d’être à nouveau le jouet servile des intentions impérialistes d’une Allemagne ressucitée, visées hier militaires et exterminatrices et aujourd’hui économiques.

On ne peut pas nous forcer à obéir aveuglément aux commandements d’un pays qui hier encore mettait cette même Europe à genoux, l’asservissait, l’ensanglantait, rêvant de la coloniser pour y installer un empire devant durer mille ans.

 

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Les peuples ont la mémoire longue.

A chaque fois que Berlin se permet de les rappeler à l’ordre pour des manquements à des règles budgétaires, ils ne peuvent s’empêcher de penser qu’ils n’ont pas de leçon à recevoir de la part d’un pays qui hier encore prétendait les écraser pour mieux les asservir.

C’est humain.

C’est ce qu’explique d’une manière extrêmement lucide et courageuse Helmut Schmidt, l’ancien chancelier Allemand : “Les Allemands sont exclus de leadership en Europe pour les prochains siècles, car ce sont eux qui sont responsables de la Seconde Guerre mondiale. Et pour la Première, ils y ont largement contribué. Nous sommes responsables, et uniquement nous, de la mort de plus de six millions de Juifs, dont la plus grande partie des Juifs polonais. Et tous les gens, même ceux qui sont nés aujourd’hui, portent cette responsabilité que cette histoire allemande horrible ne se répète jamais “.

Prétendre bâtir une Europe où le vrai centre de décision se trouverait à Berlin relève d’une impossibilité cosmique.

On ne peut exiger de pays et de peuples, qui hier encore servaient de terrains d’expérimentation à des comportements défiant l’entendement, de recevoir des commandements édictés par cette même contrée responsable de ces forfaits à répétition.

L’économie n’est pas tout.

Le cœur des nations bat au rythme des grandes tragédies qui tracent son histoire nationale, pèsent dans les mémoires, régissent leurs émotions.

Si l’on a tant de peine à adhérer à cet idéal communautaire, si nos engouements envers elle sont si volatiles, ce n’est pas seulement la faute à une Europe incapable de nous parler autrement que par le truchement d’un jargon technocratique finissant par nous écœurer.

Ou par l’absence de personnalités capables de l’incarner pleinement.

C’est aussi parce que l’un de ses poumons bat au cœur d’une nation qui nous a trop abîmé par le passé pour que nous puissions à nouveau lui accorder si facilement notre confiance.

 

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7 commentaires pour “Le rêve d’une Europe sans l’Allemagne”

  1. Et ça ressasse, et ça ressasse. Finalement on en vient à regretter vos post sur Sophie Marceau.

    Si l’on peine à adhérer, c’est sans doute plus parce que nos hommes politiques sont assez lâches pour se défausser en permanence sur l’Europe pour expliquer nos difficultés plutôt que parce que L.Sagalovitsch n’aime pas l’Allemagne et tente une généralisation bien douteuse.

    Sinon, la citation d’Helmut, vous arrivez à la caser combien de fois par jour ?

  2. Loin d’être la « grande machine à laver » que vous dites, l’Histoire, son travail sur les sources textuelles, littéraires, cinématographiques, ses enquêtes auprès des témoins, ses méticuleux recoupements, etc. redonnent de la couleur aux faits passés – telle la lessive, aux tissus – mais ne les dissimule pas. Au contraire : le Moyen Âge est beaucoup moins… « moyenâgeux » pour nous qu’il ne le fut jusqu’au mitan du dix-neuvième siècle.

    Mais il est très possible que vous ayez raison : « […] l’Europe ne s’est jamais vraiment remise de l’Holocauste ». À la lumière des résurgences fascistes, nazies ou apparentées qui, après 1945, affleurent par intermittences (de plus en plus rapprochées) à la surface ou bien émergent et – « décomplexées » – ne replongent plus, l’Europe actuelle, et non l’Allemagne seule, inquiète.

    Helmut Schmidt, parmi d’autres Allemands, atteste que le souvenir du nazisme, le souvenir des camps de la mort, le souvenir de la responsabilité, au moins passive, des Allemands des années 1930 et 1940, restent vivaces. C’est tout de même mieux que le refoulement et l’amnésie sélective. Il n’empêche que votre… athéisme européen, si j’ose dire, a de fondamentales raisons et, selon moi, il n’a absolument aucune raison d’être discuté.

    Toutefois, sans vouloir diluer la responsabilité nazie dans la trop commode « folie » universelle des hommes, il ne faudrait pas oublier d’adresser quelques griefs à d’autres pays ou États (État français ou France de Vichy, Autriche, Hongrie, d’autres…) qui adhérèrent aux idées et comportements exterminateurs des nazis. Pousser, plus que pour l’Allemagne, votre logique devrait donc nous conduire à remplacer votre suggestion : « […] il aurait fallu imaginer dans un premier temps une Europe sans l’Allemagne dans ses rangs », par cette énonciation, optimiste comparée à votre vision du problème : « Il est bien trop tôt, même après soixante-dix ans, pour constituer une Europe tout court ».

    Dans et envers maints pays, les « arrière-pensées » sont toujours vives, puisque « les peuples ont », vous l’écrivez, « la mémoire longue ».

  3. vous allez me dire qu’il n’y a aucun rapport, et vous aurez raison, mais quelqu’un a des nouvelles de notre bon Bernard?
    il ne capte toujours pas dans sa grotte?

  4. Vous deviez faire un drôle de fœtus.

  5. @rakam the red : Pourquoi dans une grotte ? Bernard aussi, écrit dans le noir ???

  6. @closde, on l’appelle le Gilbert Montagné de la machine à écrire 🙂

  7. Je recommande cette lecture :
    http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Troisi%C3%A8me_Vague

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