Un écrivain au noir

 

Je souffre d’une maladie rare et étrange.

Je ne peux écrire que dans le noir.

Le noir le plus absolu.

Si je pouvais, je fermerais les yeux et j’écrirais en braille sur un clavier destiné à cet effet.

Quand vient le moment d’écrire, que ce soit un roman ou un billet de ce blog ou toute autre activité littéraire, je me réfugie dans mon bureau où tout usage de lampe est bien évidemment proscrit, je m’installe à ma table de travail que j’ai pris soin de disposer de telle manière que mon seul interlocuteur quand je lève mes yeux de l’écran consiste en un simple mur d’une blancheur cadavérique.

Mais ce n’est pas encore suffisant.

La lumière du jour parvient malgré tout à s’immiscer.

Elle se faufile sous la porte, elle rôde dans la pièce, je la sens, je la perçois, je la renifle, elle vient surveiller que je suis bien occupé à travailler, elle me juge, me jauge, m’interpelle, m’agace, me taraude, je lui demande de partir, elle ne veut pas, je m’en vais tirer les volets du salon d’où elle viole l’intimité de mon appartement mais cela ne suffit toujours pas, la garce trouve toujours un moyen de revenir.

Je sors alors les grands moyens.

J’ai installé deux grands rideaux qui séparent ma table de travail du reste de mon bureau et je m’empresse de les tirer.

Ce sont deux rideaux épais, lourds, massifs, qui descendent du plafond jusqu’au sol et empêchent toute lumière de pénétrer à l’intérieur de mon pré carré.

Alors, la lumière du jour a beau cogner contre, essayer de convaincre les rideaux de la laisser passer, tenter de les corrompre à coups de rayons de soleil et autres câlineries lumineuses, s’essayer à s’infiltrer par le parquet, grignoter un espace entre la tringle et le plafond, rien n’y fait : elle est déboutée de toutes ses requêtes.

Mais la partie n’est pas encore gagnée.

C’est que l’écran de l’ordinateur lui aussi est source de lumière.

Une lumière blanche, crue, agressive qui me met au supplice.

Il me faut donc employer les grands moyens.

Farfouiller dans le bureau de l’ordinateur, m’égarer dans le foutoir du panneau de configuration, cliqueter sur le signet “Matériel et Audio”, puis dans “options d’alimentation”, traquer la rubrique “ajuster la luminosité de l’écran” et la réduire au minimum afin que l’écran se mette à chuchoter une lumière suffisamment douce.

Ce serait presque parfait n’était-ce que dans ces conditions, je ne distingue même plus les touches de mon clavier, j’écris en tâtonnant si bien que je multiplie les fautes de frappe, le o se substitue au p, le b se fiance avec le n, le z s’accoquine au e à un point tel qu’en me relisant je ne comprends même pas ce que j’ai bien pu vouloir signifier.

Refusant de m’inscrire à un stage de dactylo en herbe, je rusais et disposais une bougie disposée à côté du clavier, diffusant un halo de lumière assez puissant pour me permettre de discerner les touches entre elles, compromis tout juste acceptable qui vola en éclat le jour, où par inadvertance, dans un mouvement brusque, je renversais de la cire sur les touches.

O rage, ô désespoir qui se perpétua jusqu’au jour où une âme charitable, alertée de mes mésaventures, m’offrit un rutilant clavier lumineux, de ceux que les fous furieux des jeux vidéos emploient pour se livrer à leurs occupations favorites.

Je suis un écrivain des cavernes.

Je ne sais pas pourquoi j’ai besoin de cette obscurité presque totale pour parvenir à aligner des mots.

Des psychanalystes affirmeront que je récrée de la sorte une sorte de matrice originelle.

Qu’en agissant ainsi je redeviens un fœtus dans le ventre de ma mère. Protégé des vicissitudes du monde extérieur. Etablissant une frontière entre le monde réel et mon monde intérieur. Me refugiant à l’intérieur de moi afin d’être au plus proche de ma vérité. Oubliant la morosité de vie du dehors pour retrouver la parfaite quiétude de la vie du dedans.

Je ne sais.

C’est juste ma façon à moi de parvenir à un état où je me retrouve en capacité d’écrire.

Certes je pourrais écrire de nuit mais mes capacités intellectuelles déjà des plus réduites pendant la journée approchent le néant sitôt le soleil couché.

 

Et cette pratique me permet de m’excuser d’avance des inepties que je compose puisque c’est de notoriété publique j’écris comme une vraie taupe…

 

Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

8 commentaires pour “Un écrivain au noir”

  1. Ne plus écrire et dicter. Pourquoi ne pas devenir la nouvelle Barbara Cartland? Allongé sur un sofa, dans une pièce éclairé à la seule lueur des bougies, vous dicteriez votre oeuvre à une secrétaire à la vue perçante et l’orthographe irréprochable.

  2. Louis Braille se retournerait à raison dans sa tombe. Lui qui perdit la vue à trois ans sut bien qu’après avoir vu, les yeux gardent des souvenirs de lumière. Dès lors, écrire dans « le noir le plus absolu » est un rêve voué à l’échec. Surtout pour un scripteur voyant qui affirme pouvoir assouvir sa passion seulement dans un milieu diurne… rendu nocturne – sans succès, comme l’admet l’ombrageux auteur.

    Par ailleurs, vouloir cousiner, nanti d’un ordinateur !, avec nos cavernicoles très lointains ancêtres, qui se livrèrent (certes, artistiquement) aux peintures rupestres, mais ne connurent sans doute pas la plume d’oie, laisse rêveurs, sidérés, effondrés peut-être, lectrices et lecteurs confrontés impromptu à ce choc de millénaires ! L’ombrageux auteur aurait-il inventé, après que H. G. Wells la conçut en fiction, une machine à explorer le temps ?

    Plus féconde serait l’hypothétique interprétation psychanalytique, une autre façon de remonter le temps. En quête de noir, l’auteur tenterait à son insu de surpasser le peintre Pierre Soulages, spécialiste s’il en fut des gammes de noirs ! Pourquoi pas ? Car l’on prête des vertus tutélaires, non pas au noir « le plus absolu » du ventre maternel, mais à ce havre de chair censé – erronément – incolore. Enfin, l’on suppose puis l’on sait que, soustraits au liquide amniotique, le nourrisson (peut-être) et ses avatars futurs (sûrement) déplorent, un jour ou l’autre, ce rapt qu’est la naissance : « délivrance » pour les mères, arrachement pour les aspirants Terriens.

    Mais imaginer un futur Terrien élaborant des projets d’écriture – et les réalisant ! – dans et lorsque Maman le porte encore, cela n’est donné qu’aux écrivains qui aspirent, et atteignent, à l’aveuglante lumière de la création la plus apollinienne.

    Respect ! Ainsi dit-on aujourd’hui.

  3. Les femmes ? J’vais vous dire, monsieur Sagalovitsch : quand on permet aux femmes de s’éduquer dans des écoles ou des universités, ‘faut pas s’étonner après de voir des divorces tous les quat’ matins.

  4. “la parfaite quiétude de la vie du dedans” c’est mdr. Vous avez déjà essayé de pisser dans le noir? Bien entendu pour ça il faut être assis, ça vaut pour les femmes maintenant elles pissent debout, mais si vous êtes un homme ça implique que vous êtes soit féministe, soit flemmard soit que vous aimez votre petit confort. Au niveau psychanalyse on se rapproche plus de la prostate que de la “matrice originelle”, chacun son truc.
    Pour tenter d’être un peu plus poétique avez vous lu ça? “je travaille dans une pièce à l’entresol. C’est minuscule, comme une cellule, sous le porche. C’était une chambre d’esclave autrefois, et il était donc légitime que je l’utilise comme bureau pour écrire(…)Les fenêtres sont si basses qu’elles sont à hauteur des fleurs. Je travaille sur un bureau d’enfant que j’ai acheté dans une vente.” http://bibliobs.nouvelobs.com/romans/20140203.OBS4844/donna-tartt-rencontre-avec-une-exception-culturelle.html

  5. Ecrire dans les ténèbres pour faire jaillir la lumière….c’est bien vous ça !

  6. zetes un vampire en fait….

  7. Laurent, vous êtes chouette. 🙂

  8. Oui vous aussi !

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