Je ne lis plus, je ne relis que des classiques

 

Je ne sais si c’est l’âge venant ou la mort se rapprochant –il n’y a pas le feu au lac non plus, j’ai encore deux poumons et la moitié d’un cerveau –  ou le fait d’avoir les mains dans le cambouis d’un roman en train de s’écrire, toujours est-il que depuis quelques mois, je n’ai rien lu qui fut l’œuvre d’un auteur vivant ou contemporain.

Ce dont, j’en conviens aisément, tout le monde se fout mais là n’est pas la question.

Ce n’est pas une coquetterie ou une afféterie que je m’appliquerais afin de jouer au mariole lors de dîners mondains, auxquels par ailleurs je ne vais guère quand bien même y serais-je invité, arborant dans ces occasions-là un sourire mutique aussi expressif qu’un poisson subissant une séance de chimiothérapie.

Les nouveaux classiques de la littérature classiques de la litterature

Plutôt une impression qui finira bien par passer que, le temps m’étant compté, je ne peux plus prendre le risque de perdre des heures à lire des récits susceptibles de m’ennuyer voire de m’agacer prodigieusement ou de ne déclencher chez moi qu’une morne satisfaction.

C’est tout l’intérêt des classiques, déjà éprouvés et certifiés bon pour la consommation par des générations de lecteurs, de rationaliser ainsi son temps de lecture, d’éviter les sorties de route, les déceptions et les frustrations, toutes ces journées passées à lire des œuvres inconsistantes qui, même si elles peuvent parfois nous enchanter le temps d’un instant, peinent cependant à nous nourrir pleinement.

Oui, surtout les tiens, Sagalovitsch.

Avec les classiques, le Temps, souverain, a accompli son œuvre. Les romans bavards croupissent dans des décharges littéraires, les écrivains inutiles conversent entre eux dans les limbes de leur médiocrité avérée et ne demeurent plus que les livres essentiels, ceux qui continuent, à travers l’écheveau des siècles, à nous parler, à nous enrichir et à nous réconforter.

Je ne saurais dire ce qu’est un grand livre si ce n’est que précisément il s’est frayé un chemin dans les couloirs du temps, qu’il est parvenu jusqu’à nous intact, continuant à nous éclairer sur notre condition humaine, continuant à nous assister dans le métier de vivre, continuant à fraterniser avec nos angoisses et nos chagrins.

Oui, je pontifie, et alors ?

L’homme ne change pas. Ou si peu. A la marge.

Nous éprouvons toujours les mêmes sentiments, les mêmes douleurs, les mêmes espérances que nos aînés, qu’ils fussent nés au début du siècle dernier ou dans des temps encore plus reculés.

Dis moi, Saga, tu prends des cours du soir pour énoncer de telles crétineries coelhoesques ?

Rien de neuf sous le soleil.

Il peut apparaître comme vaguement précieux ou prétentieux de relire toujours les mêmes sempiternels romans, de finir par devenir un lecteur qui radote ses lectures, reprenant les mêmes chemins romanesques débouchant sur les mêmes clairières où se prélassent, héros intemporels de notre vie intérieure, Mrs Dalloway, Emma Bovary, Fabrice Del Dongo, Quentin Compson, Geoffrey Firmin, Don Quichotte, Gatsby, le clan complet des Sartoris, Raskolnikov, les frères Karamazov, Ismaël, Jospeh K, Leopold Bloom…..

Et pourtant ils sont tous indispensables à notre équilibre émotionnel.

Sans eux, nos vies basculeraient dans le fossé de l’insignifiance.

Sans leurs présences réconfortantes, nous crèverions de solitude, nos tourments intérieurs ne trouveraient jamais de répit, nous resterions là inconsolables, perdus, égarés dans les ténèbres d’une vie indéchiffrable, plongés dans un chaos tel, ne trouvant nul écho dans les époques passées, que nous ne pourrions le supporter.

Les romans contemporains peuvent assurément nous aider à comprendre l’époque dans laquelle nous vivons.

Sauf que l’actualité n’agit sur nous qu’en surface.

Ce n’est qu’un vernis que nous appliquons sur nos petits tracas quotidiens.

C’est dans les grands fonds marins de nos vies intérieures que s’agite l’essence même de nos existences, que palpitent nos désirs vrais, nos peurs à jamais recommencées et notre soif de mieux nous connaître.

Et pour explorer ces ravins ultramarins, ces grands cimetières sous la lune, ces catacombes de nos pensées intimes, rien ne vaut le secours de ces explorateurs des temps anciens, de ces écrivains illustres qui mieux que personne ont su décrire les vérités essentielles de nos âmes flambées et de nos cœurs fanés.

Oh, comme c’est navrement dit.

 

Le reste n’est que littérature.

Ah ah.

Très spirituelle comme chute Camarade Stabilovitsch.

 

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8 commentaires pour “Je ne lis plus, je ne relis que des classiques”

  1. pas si mal dit et très juste, à mon humble avis, dont tout le monde se fout, je vous l’accorde.

  2. ça me fait peur , ça : que même en littérature, ya un âge ou on ressasse (puisqu’on relit), ou on oublie le plaisir de lire un san antonio dans les chiottes. qu’on refuse de lire “le chardonneret” pour se re cogner les émois de julien sorel par ex. et puis quoi après? la musique? n’écouter que bach? plus de frivolité ? fidèle, y compris dans la culture, en attendant la mort ?
    du coup je cherche à comprendre et entrevois les études littéraires, le côté (qui existe) du côté sérieux de LA LITTERATURE. c’est un peu comme les critiques des cahiers du cinéma, toujours ils en reviennent à John Ford.
    bref la littérature ça s’apprend alors que moi je la prends.

  3. @iggy
    toute cette testostérone, admiration !

  4. ne serait ce pas le désir secret de tout écrivain, devenir un écrivain toujours lu, 200 ans après sa mort?

  5. après j’ai tendance à etre plutot comme Iggy, je suis plus intéressé par ce qu’il se fait en ce moment que se soit en littérature ou en musique.des fois je me dis que quand je serai à la retraite, à 72 ans donc, j’aurai tout le temps d’écouter de la musique classique ou de lire des vieux auteurs reconnus depuis des lustres…..mais j’en doute en fait….je suis même presque sur que je ne le ferai pas.trop amoureux de ce qui se fait ou se fera de nouveaux, mais je continuerai à écouter/lire ce que j’ai apprécier, même si ce temps qui passe trop vite ne nous en laisse pas trop le loisir, tant pis on fera avec 🙂

  6. est ce que, quand on commence à lire les anciens et écouter de la musique classique, on passe automatiquement dans la catégorie vieux cons?

  7. Plus que des « classiques », au sens strict, ne reliriez-vous pas de grands écrivains du passé ? Ceux qui ont franchi sans casse, ni enfouissement, ni mise au rebut, les filtres successifs des lecteurs et critiques de siècles antérieurs ? Ceux ayant écrit des livres à propos desquels, une fois lu le dernier mot, vient à l’esprit cette phrase de Kafka sur les grandes œuvres : ce livre est une « hache qui brise la mer gelée en nous » ?

    Vous ne « pontifiez pas » en évoquant « les grands fonds marins de nos vies intérieures », où « s’agite l’essence même de nos existences… » Gardez la hache, en cas de besoin.

    Signalons à qui ne connaîtrait pas le chef-d’œuvre de Laurence Sterne qu’en cas de blues ou de déprime, la lecture et la relecture de « Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme », procurent toujours un grand et profond plaisir (même traduit de l’anglais).

  8. Moi aussi j’ai été nourri aux grands classiques français et allemands. Dans le Rhin de leur réflexion, je me suis tant de fois abreuvé mais toujours cette même envie de soif de me connaitre moi-même me tenaille. Par peur de me corrompre l’esprit toujours idiot, je me privai de toutes mes forces de ces œuvres dites contemporaines. Mais, hélas, la thérapie n’a pas marché. 

    Mais vous saga, c’est tout autre chose et à la droite du mythe de Sisyphe que j’aime, votre métaphysique tiens,du dedans, ferme. Ne soyez pas en peine car chaque relecture est une nouvelle lecture, est une nouvelle compréhension de la pensée d’un groupe 

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