Depuis que la question de l’euthanasie a envahi la sphère publique, j’avoue, je ne dors plus très bien.
Je passe mes nuits à me demander si, à supposer qu’un jour il me faudrait mourir, je ne devrais pas rédiger une longue lettre destinée à ma famille où j’expliquerais ma volonté nette, en cas de pépin, de tout mettre en œuvre afin que cesse le calvaire d’une vie qui ne serait plus qu’une interminable agonie, un face-à-face inique avec une mort sauvage, déchainée, hurlant ses commandements à mon corps épuisé.
Où je leur écrirais que si jamais mes yeux reflètaient la même intelligence qu’une vache à l’arrêt devant un passage à niveau en train d’abaisser ses barrières, que si ma bouche se mettait à babiller des propos incohérents évoquant mon désir d’aller à confesse, si je n’avais plus la force de me moquer de mes incontinences verbales, alors il faudrait arrêter les frais sans plus tarder.
En même temps, je ne peux m’empêcher de penser, considérant la fabuleuse complexité de toute vie humaine, qu’il serait envisageable, quand bien même je ressemblerais à un navet avarié, que je ne sois plus en mesure de me plaindre de la piètre saveur de ma compote de pommes avalée en intraveineuse, que je puisse regarder TF1 toute la journée sans trouver rien à redire à la qualité des émissions proposées, et de trouver à cette situation un charme certain.
Une sorte de douce félicité où après toutes ces années passées à me traquer, à me tourmenter, à me confronter, je pourrais enfin goûter au bonheur simple d’une vie dénuée de toute interrogation métaphysique, la tendre vie d’un indolent benêt que rien ne dérange dans le cours d’une existence réduite à son strict minimum, entretenant avec le plafond de sa chambre des conversations passionnantes, uniquement soucieux de savoir si le yaourt offert au repas du soir sera à la fraise ou à la framboise.
Réaliser ce rêve insensé d’être le temps de quelques mois bête à en pleurer et heureux de l’être.
Se gargariser de sa propre insignifiance.
Ne trouver rien à redire à sa parfaite et merveilleuse médiocrité.
S’enthousiasmer de sa sublime imbécilité.
Le seul problème serait celui de la souffrance.
La souffrance physique.
Celle qui ne vous laisse jamais de répit, qui vous ramène à l’état de bête blessée, qui vous supplie, vous fait pousser des feulements à fendre l’âme, vous cloue au pilori, vous éprouve tant que vous venez à considérer la mort comme une précieuse alliée, que vous la réclamez à cor et à cri afin que cesse cette vie inhumaine ressemblant à un interminable chemin de croix s’enfonçant dans la nuit noire de l’infinie et interrompue douleur.
En d’autres termes, je veux bien être à l’extrême rigueur un légume mais je me refuse à être un légume qui souffre.
C’est ma philosophie.
Je n’ai pas besoin d’écrire une telle lettre.
Je sais déjà que le jour où l’on m’annoncera avec certitude que les dés sont jetés, je n’irai pas me traîner dans un quelconque hôpital attendre que cette sinistre farce prenne fin.
Non, je m’en irai en un quelque recoin reculé où s’épanche un ruisseau, où la nature palpite de beauté, où les fleurs racontent des histoires d’enfant à des oiseaux buissonniers, et là, sans l’aide de personne, ivre de tabac et d’alcool, je tirerai ma révérence à ce monde en le remerciant de m’avoir accueilli dans ses vastes palais.
Maintenant si d’aventure la mort me demandait mon avis, je préférerais qu’elle s’approche doucement mais lentement, que j’aie le temps de la voir venir, que nous puissions passer quelques moments à bavarder, que je sois à même de contempler à loisir son beau visage, qu’elle me donne ses lèvres à goûter, qu’elle ne soit ni trop vindicative, ni trop empressée, que nous nous apprenions à nous connaître, après quoi, promis, je la laisserais m’emmener où bon lui semble.
En même temps, si pour une fois, elle veut bien passer son tour…
( Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )
un peu comme la France finalement non ?
Je veux ci je veux ça, enfant gâté! http://youtu.be/cYBYiN5EpdY
pour l’instant la mort ne s’apprivoise pas, non mais!
@ Nico Pédia : vous verrez quand vous serez dans la situation qu’il décrit si vous n’aurez pas envie de faire l’enfant gâté et implorer qu’on arrête vos souffrances ????
@ Laurent ; tout pareil, sauf regarder le plafond d’un air béat, car même là vous n’aurez pas de repos et vous aurez besoin de témesta, croyez moi sur parole ! A la souffrance et au légume je préfère la mort !
geignard.
Par simple mesure prophylactique et « stratégie de défense » (dirait le psychanalyste), arrêtons-nous à une originalité gastronomique, qui devrait interroger les humains davantage que l’angoisse métaphysique du « légume qui souffre ». Il s’agit de la « compote de pommes avalée en intraveineuse ».
Cette métaphore implique que la veine ait un trou, une bouche, un gosier, un orifice aspirant. Car comment sans perforation la veine du « benêt » pourrait-elle être pénétrée par la compote, fût-elle dûment liquéfiée ? « Avalée » et « intraveineuse » le disent, aucun doute là-dessus. Donc la veine du benêt « indolent » – selon l’ancien sens : insensible – dispose d’un espace ouvert propre à recevoir toute sorte de produits, compte de pommes à « piètre saveur » incluse. On avance.
Une autre élucidation s’impose. Si le benêt susdit est « indolent », à savoir « insensible », comment serait-il « un légume qui souffre » ? La problématique du légume souffrant requerrait, pour être élucidée, un détour par Rungis ou tout autre marché d’importance nationale. À défaut, risquons cette hypothèse : le légume ni la personne à lui comparée ne souffrent. L’entourage, lui, souffre ; aucun doute là-dessus. [C’est où l’on voit que les végétaliens ne sont pas des sans-cœur, comme on le croyait.] Si les proches souffrent du spectacle des « indolents benêts » rendus à l’état de « légumes », il faut d’urgence protéger les proches. Chacun comprendra.
Mr Puycasquier : Qui êtes vous pour de telles affirmations ? OK on a pas encore trouvé l’appareil qui évalue la souffrance de 1 à 10 chez les poireaux quand on les plonge dans l’eau bouillante ! mais je puis affirmer que malheureusement les patients grabataires dans l’impossibilité de communiquer que l’on traite de manière légère de : légumes ; peuvent souffrir physiquement.
Si beaucoup de connections neuronales sont détruites, elles ne le sont jamais toutes et que faites vous de la psychée ? de l’angoisse, de la peur et du chagrin d’être dans cet état ?
Que l’entourage souffre, ça c’est une évidence !
@closde
On pouvait croire que la légèreté, l’humour – notamment noir – étaient une spécialité de ce blog. Ayant travaillé auprès de polyhandicapés, d’enfants et adolescents fous mais intelligents – et ce, parfois avec des soignants réchappés d’accidents invalidants, je trouvais que l’esprit du blog pouvait cadrer avec le regard que des gens atteints de handicap portent sur eux-mêmes (non sans provoquer les… valides).
Quant aux vrais légumes, ne voulant pas accuser à tort les végétaliens, je préfère – sans risque d’être, pour l’instant, démenti – ne pas leur supposer d’âme. De toute façon, cueillis et coupés, ils ne pourraient plus souffrir.
Bonne journée.
Douce mort. Elle vous enivre de son parfum morbide qui vous délite le corps jour après jour, petit à petit, lentement mais surement. Du brillant d’un sou neuf jusqu’au terne de la lumière d’un ciel sans soleil. La mort est mon amie.
@Puycasquier : désolé pour mon manque d’humour sur le sujet, mais je suis, je l’avoue un peu sensible à cet endroit après les nombreuses années passées à leur chevet ! J’avais qd même perçu un trait d’esprit mais votre petite phrase : “le légume ni la personne à lui comparée ne souffrent.” était de trop pour moi ! :))
@Sagalo, vous ne voulez pas refaire un post sur les caribous qu’on rigole encore?
j’ai cru comprendre qu’avec le maire de Montréal y avais de quoi.
Oui, j’appuie la requête de Rakam.
Cet article ne me plaît pas pour des raisons très personnelles. Too close to the bone.
SVP dites des choses gentilles sur les canadiens afin qu’ils le prennent mal et que l’on passe un bon moment.
Merci par avance!
c’est quoi ces jérémiades des uns et des autres ?
“je suis trop moi sensible au sujet pour avoir de l’humour”
ou
“ca me touche trop plus personnellement”
merde.
vous allez faire une depression sur le prochain billet sur l’incontinence ?
NB : un mec qui cite le couloir Whymper ou la pointe Walker – chais pu- peut pas etre mauvais ; et s’il y a posé un crampon, c’est encore mieux