Je ne veux pas d’enfants

 

La société a décrété : tu dois faire des enfants pour assurer mon bon fonctionnement et veiller à ma prospérité.

Dieu a déclamé : il te faut procréer afin que tes descendants continuent à me révérer et s’assurer que mes parts de marché ne fléchissent pas de trop.

Ta mère t’a dit, donne-moi un petit-fils, je n’ai pas envie de passer le reste de mes jours à veiller sur ton père qui radote de plus en plus.

Tes amis t’ont dit, qu’est-ce que tu attends pour être père ? Tu sais que le compteur tourne et que les années perdues ne se rattrapent pas.

Et toi, comme un pauvre couillon égaré dans les limbes de ton éternelle hésitation, tu continues à dire, non, non, non, très peu pour moi, j’ai déjà assez de problèmes comme ça pour ne pas de surcroît m’encombrer d’un moutard dont je ne saurais que faire, si ce n’est lui donner des biberons de Temesta pour calmer ses angoisses.

Je ne vois pas au nom de quel impératif moral il me faudrait à tout prix me délester de quelques spermatozoïdes afin que le monde compte un représentant, un de plus, un de trop.

Je me contrefous de savoir que je n’aurai pas de descendance directe, que nul trublion, fruit de ma volonté et de mon sang mêlé, ne viendra fleurir ma tombe une fois l’an ni ne perpétuera ma mémoire de sombre crétin en chantant mes supposées louanges à travers les siècles.

Après moi le déluge.

Je ne vois pas en quoi vivre serait si exaltant pour que je m’octroie la possibilité d’offrir à un gamin innocent la chance de connaître le charme ineffable d’une crise d’hémorroïde, la fréquentation d’un banquier corrompu, la déception d’un amour impossible, le désespoir de supporter une équipe de foot moribonde, sans oublier la litanie des questionnements métaphysiques allant du pourquoi du comment de la naissance de l’univers au mystère de la réussite d’une sauce béchamel.

Je n’ai jamais bien compris pourquoi les gens doués d’un brin de raison commettent ce crime impardonnable de donner la vie comme si cette dernière ressemblait à une perpétuelle fête foraine alors qu’on sait tous qu’elle n’est qu’une succession d’échecs, une compilation de projets avortés, un empilement de rêves jamais réalisés qui nous laissent à tous, au bout du compte, un drôle de goût amer et rance dans la bouche.

Ou alors agiraient-ils de la sorte pour s’assurer seulement que, quand leurs forces viendront à manquer, que leur cœur commencera à connaître des ratés, que l’espérance se sera enfuie comme une chauve-souris, il restera encore la présence de cet être chéri pour les réconforter et les empêcher de crever seul comme un chien sans collier ?

Je peux concevoir que dans la folie de la jeunesse insouciante, quand l’ivresse brûlante du premier amour altère notre raison et colore l’existence, on puisse dans ce soudain embrasement des sens succomber à la tentation et s’offrir, sous la forme d’un charmant bambin, une concrétisation de cette communion momentanée des âmes.

Mais après ?

Quand revenu de ces fables d’adolescent, on s’aperçoit tout penaud que le livret A ne rapporte que 1.25 % par an, que les plombiers ne travaillent pas le dimanche, que le livre le plus en vendu dans l’hexagone en 2013 a été 50 nuances de Grey, qu’il fait froid l’hiver et que si ça se trouve Lara Fabian ne pourra plus jamais rechanter.

Et qu’on ne sait toujours pas si la vraie vie est ailleurs.

Ceci dit, d’un autre côté, ce serait quand même fichtrement ennuyeux de fêter tout seul la victoire de Saint-Etienne en finale de la Ligue des Champions ou d’assister en solitaire à la reformation des Smiths…

 

Chérie, annule le repas chez les Bokobza, ce soir, je te sors le grand jeu !

 

( Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

13 commentaires pour “Je ne veux pas d’enfants”

  1. Crise d’angoisse métaphysique sacrément brève !

    Savez-vous que vous l’avez échappé belle ? Non mais. « Je n’ai jamais bien compris pourquoi les gens doués d’un brin de raison commettent ce crime impardonnable de donner la vie comme si cette dernière ressemblait à une perpétuelle fête foraine » : a-t-on idée d’en ruminer de pareilles ?

    D’abord, c’est marcher sur les plates-bandes d’énormes philosophes, un Sartre, par exemple. Oui, je sais, qui ne l’a oublié ? On ne l’évoque que quand on parle de Camus (Albert), mais enfin le bien-aimé du Castor a dû sans doute se dire, et proclamer en certaines occasions : « Non, Simone, ne procréons point ! On sait tous qu’elle [la vie] n’est qu’une succession d’échecs, une compilation de projets avortés, un empilement de rêves jamais réalisés qui nous laissent à tous, au bout du compte, un drôle de goût amer et rance dans la bouche ». D’ailleurs, il ne se trompait guère : n’écrivions-nous pas, à l’instant, qu’on ne le ressuscite dans les gazettes [aux « étranges lucarnes », comme disait jadis « Le Canard enchaîné », c’est impensable : « Chute d’Audimat assurée ! Coco ».] seulement trente quatre ans après sa mort, qu’au souvenir des quelques méchancetés qu’il prit soin de distiller sur Camus (Albert) ?

    Mais ne reprenons pas vos excellentes, et lumineuses (mais si !) raisons – oubliées au prix fort, un de ces soirs où exaltation et enchantement vous mettent pernicieusement le grappin dessus – de ne pas engendrer de descendants, trouvons plutôt l’essentielle motivation à procréer de ces gens que vous dites « doués d’un brin de raison ». Ce n’est pas pour cause d’altruisme, non, pas pour permettre à leur progéniture de savourer, comme eux, les innombrables félicités de la vie sur Terre ; ce n’est pas par sadisme post-mortem, non, pas pour que leurs gosses en bavent autant qu’eux. Non, ces gens (excepté l’emportement incontrôlé d’une pulsion insuffisamment étouffée par une cuite pourtant sévère) ne conçoivent leurs héritières et/ou héritiers que par pur égoïsme : « Nos enfants, au moins, se rappelleront notre passage sur cette Terre. Ils honoreront notre mémoire. À l’instar des lecteurs de « La Chartreuse de Parme » de 2014, ils attesteront que nous fûmes aussi grands que Stendhal l’avait vaticiné pour lui, écrivain superbe ! »

    Ils rêvent, évidemment : bientôt, chuchotent des pessimistes, on ne lira même plus les ex-voto.

  2. Heureusement qu’y a le mondial.

  3. !!!Alerte projet de loi!!!
    Peillon veut qu’on apprenne aux enfants à faire des bébés dès la maternelle.

  4. @ Puycasquier : et ben voilà ! c’était pas si difficile ! Merci !

  5. Merci pour cet article! Enfin quelqun qui pense comme moi!

  6. et dire que le Brésil ne va même pas gagner sa coupe du monde.

  7. Mazel tov ! surtout à celle qui a su convaincre l’irréductible pessimiste ! Et bon courage si c’est une fille, surtout lorsqu’il faudra la convaincre que 22 jambes qui courent après un ballon c’est LA cause première, immanente et essentielle !

  8. Alors faisons des enfants pour ne pas nous retrouver seul au match ou au concert, en leur disant la vérité et faisons leurs lire JP Sartre

  9. J’ai un oncle qui n’a pas pu avoir d’enfant pour raison biologique, il m’a donné pas mal de vinyl quand j’avais une dizaine d’année et a ainsi participer à mon intronisation à la vie. Aujourd’hui c’est hippie http://de.musicplayon.com/play-touch?v=996981

  10. “Toute cette époque s’est passée dans un tel nuage d’inconscience et de délire qu’aujourd’hui, je ne sais plus si c’est avant d’adopter les chaussettes russes ou après que je suis arrivé dans le village où un homme, un Américain, un autre junkie, est mort dans mes bras.” Flash

  11. Man hands on misery to man.
    It deepens like a coastal shelf.
    Get out as early as you can,
    And don’t have any kids yourself.

  12. Comme le chantait si bien Henri Tachan.

    http://www.youtube.com/watch?v=Bis1zHq_Krk

  13. Je t’épouse et je ne te fais pas d’enfant quand tu veux l’auteur de l’article ! J’aime cet état d’esprit qui est exactement le mien.

Laissez un commentaire

« »