Si tu veux devenir écrivain, ne t’inscris pas en Lettres Modernes

 

On n’est pas très sérieux quand on a dix-huit ans.

Alors par un beau matin de juillet, après avoir décroché avec succès son baccalauréat, on s’en va s’inscrire en faculté de lettres parce que dans la folie de sa jeunesse insouciante, on s’imagine déjà un destin d’écrivain.

On déborde d’énergie créatrice, on dévore des livres avec une avidité sidérante, on a comme frères d’armes et compagnons de chagrin Dostoïevski et Faulkner, on brûle d’appartenir à la même famille, on romantise à tout-va, on a des envies d’écriture.

Au moment de la rentrée universitaire, on est fin prêt.

La bataille peut commencer.

Sauf qu’il faut très vite déchanter.

C’est qu’on s’était lourdement trompé : l’université n’est pas là pour vous encourager à jouer au matador avec les mots mais simplement s’assurer que vous acquériez les compétences et connaissances nécessaires afin de devenir quelques années plus tard un honorable professeur de français sévissant dans un collège de la république.

C’est là le devoir premier de l’enseignement des lettres modernes. Sa mission sacrée. Sa doxa intangible.

Le service militaire de la pensée formatée qui doit fournir par troupeaux entiers les braves pioupious qui seront les professeurs de demain.

Autant dire que j’ai beaucoup souffert lors de mes années universitaires.

Et que j’ai beaucoup aussi fait souffrir le corps universitaire, ces bataillons de professeurs qui voulaient à tout prix que je rentrasse dans un moule formaté, que je me pliasse à leurs règles rigides, que je laissasse de côté mes sottes aspirations à devenir écrivain.

L’imagination n’a pas sa place à l’université.

Au sein de cette noble institution, on encourage avant tout le conformisme triomphant qui permet à la société de ronronner tranquillement.

Le corps enseignant, à force de pontifier, de théoriser et de décortiquer l’objet littéraire sans jamais être habité, semble-t-il, par une quelconque passion hormis celle d’assommer ses étudiants de ritournelles faussement savantes, a presque réussi à me dégoûter de ma vénération pour les livres.

Je vivais les livres quand les professeurs me demandaient de les analyser avec la même passion qu’un étudiant en médecine passant des heures entières sur un cadavre afin de percer les rouages du corps humain.

Il m’importait et m’importe toujours aussi peu de connaître la technique romanesque mise à l’œuvre dans les romans de Flaubert, de disséquer le moindre de ses adjectifs afin de le décréter appartenir à telle ou telle école littéraire ou d’examiner sous toutes ses coutures la structure discursive de L’Education sentimentale.

Je n’en voyais simplement pas l’intérêt.

Je savais Frédéric Moreau puisque j’étais Fréderic Moreau et cela me suffisait.

On n’explique pas l’amour ou alors seulement pour mieux le tuer.

Il ne faudrait jamais analyser la littérature.

Ce n’est que du temps perdu.

Toutes ces études prétendues savantes, ces exégèses illisibles, ces discours pontifiants sur l’immatériel subjectif dans la poésie rimbaldienne, sur la dynamique narrative inversée chez Stendhal, sur la déconstruction du narrateur omniscient chez Proust, combien je les vomissais, combien je les méprisais, combien je devinais qu’ils n’étaient que des spéculations superfétatoires sur des œuvres qui, à force de gesticulations onanistes, échappaient à l’intelligence des auteurs de ces fumeuses théories.

Plus tard, j’ai été l’une des victimes de ce genre d’examinateurs.

Dans une revue spécialisée, une universitaire (par ailleurs fort aimable et sûrement très capable) a rédigé une dizaine de pages sur mon deuxième roman, La Canne de Virginia.

Eh bien, j’avoue ne pas avoir compris un traître mot de cette étude, au point que j’en suis arrivé à me demander si j’étais bien l’auteur de ce livre que j’avais pourtant écrit.

Elle pensait déceler dans ce court roman l’influence manifeste de Sully Prudhomme et de Rossini.

Je ne les avais jamais fréquentés.

Jamais durant les quatre années qu’ont duré mes malheureuses études, on ne m’a demandé d’effectuer un quelconque exercice littéraire où j’aurais pu montrer mes dispositions latentes à écrire une histoire qui vaille la peine d’être lue.

Jamais.

On exige de vous de vous passionner pour la linguistique casuistique mais jamais d’exercer votre imagination.

On ne vous demande même pas de savoir écrire mais de disserter avec sérieux.

On vous refuse toute velléité à essayer d’imiter ceux que pourtant vous étudiez.

J’ai livré de rudes batailles avec des professeurs.

Certains m’adoraient, d’autres me rabaissaient.

J’ai acquis au fil des années la certitude que nombreux parmi eux n’aimaient pas vraiment la littérature, qu’à force de l’ausculter, de la disséquer et de la théoriser ils avaient perdu cette innocence première, cette fraîcheur d’esprit, cette naïveté incandescente qui devraient toujours prévaloir lorsqu’on se retrouve confronté à une œuvre romanesque.

Ces professeurs s’étaient comme perdus en chemin, égarés dans les limbes de leurs savoirs encyclopédiques.

A force d’accumuler des connaissances inutiles, d’empiler des théories académiques, de rivaliser de textes empiriques, ils avaient cessé de révérer la littérature pour finir par devenir des révérends littéraires, dépositaires de la vérité universelle, technocrates du roman, énarques de la poésie.

 

Je n’ai jamais achevé mes études butant sur une UV d’ancien français dont je ne parvenais à apprendre la grammaire.

Par contre, à ce jour, j’ai achevé cinq romans.

 

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12 commentaires pour “Si tu veux devenir écrivain, ne t’inscris pas en Lettres Modernes”

  1. Vous dites vous même que la fac forme des profs de français. Vous avez donc fait une erreur d’orientation, pas la peine d’en faire un plat !

    Sinon, sur le fond, j’ai pas entendu dire que la France souffrait d’un déficit de romanciers de talent si ?

    Votre chronique est donc un peu vaine non ?

  2. Ma prof de français en 3ème était enrobée d’un voile de mélancolie, elle avait de long cheveux châtains et fins enroulés dans un chignon négligé dont s’échappait quelques mèches qui virevoltaient dans ses bouffés de chaleurs et des petites lunettes grises. Elle était habitée, un peu trop, complétement à l’ouest la meuf, comme si elle était constamment en train de se demander ce qu’elle foutait là, un mélange d’Eugénie Grandet et de la Bovary, elle n’a jamais réussi à me faire entendre l’intérêt des descriptions de meuble, elle ressentait mais ne savait pas transmettre. Peut être parce que “L’objet est un langage qui parle le personnage avec autant de persuasion et d’amplitude que le discours portrographique ou actantiel.”? http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1977_num_26_2_2070

  3. sully prudhomme !

    hahaha

    excellent ! la garce n’y est pas allé de main morte.
    c’est quand même un peu sévère…

  4. Quelle heure était-il ? Il fallait bien que je le reconnaisse : j’étais perdu. La lumière du jour ne faisait plus le poids face à l’obscurité grandissante de la nuit et les bruits de la forêt se faisaient plus menaçants, comme si elle me soufflait à l’oreille que ma présence ici ne serait tolérée que le temps de retrouver mon chemin. C’est alors qu’un corbeau se posa juste devant moi. L’oiseau me fixa avec ses yeux de cendre. Une panique sans nom m’envahit soudain quand je vis du sang couler lentement de son bec. Puis le corbeau croassa avant de s’envoler dans la nuit naissante comme une petite gargouille. Je regardai autour de moi, le souffle court. Je n’avais désormais qu’une seule envie : rentrer chez moi le plus vite possible. Je repris donc mon chemin et constatai que la peur diminuait avec mes pas. Je n’avais plus peur car je compris que ce corbeau n’était pas mon ennemi. Je n’avais plus peur car mon véritable ennemi n’a pas de visage, ni de nom. Une lumière apparut au loin : j’étais sauvé.

  5. je vous ferai grace de la douce poésie distilée par les jeunes habitants de mon département (le neuf cube), si si j’insiste…

  6. @ Rakam : si seulement les éditeurs parisiens pouvaient faire de même avec la racaille littéraire du Flore et Cie…

  7. utopie quand tu nous tiens….

  8. C’est Gatsby qui m’a réconcilié avec les rideaux et les tapis. “Nous pénétrâmes par une haute galerie dans une pièce claire, couleur de rose, qu’aux deux bouts des portes-fenêtres rattachaient fragilement à la maison; elles étaient entrouvertes et étincelaient de blancheur contre le frais gazon qui avait l’air de pousser jusque dans la villa. Une brise souffla dans la pièce, tendit les rideaux en dehors à l’un des bouts et en dedans à l’autre, comme de pâles drapeaux, pour les tordre ensuite et les lancer vers le gâteau de noces saupoudré de sucre glacé, le plafond. Puis elle rida le tapis lie de vin, en faisant une ombre dessus, comme le vent sur la mer. Le seul objet qui restât tout à fait immobile dans cette pièce était un énorme divan sur lequel deux jeunes femmes étaient perchées comme dans la nacelle d’un ballon amarré. Toutes deux étaient en blanc; leurs robes ondulaient, palpitaient comme si elles venaient d’être ramenées par la brise à leur point de départ après avoir fait le tour de la maison en voletant. Il me semble que je restai planté là un bon moment, à écouter les coups de fouet des rideaux et le grincement d’un tableau contre le mur. Puis il y eut un « boum! » quand Tom Buchanan ferma les fenêtres de derrière. Prisonnier, le vent se coucha dans la chambre, et les rideaux, les tapis et les deux jeunes femmes descendirent lentement vers le plancher.”

  9. Le saisissement d’effroi du premier de la classe qui comprend qu’il finira par enseigner le français à Créteil… heureusement que vous avez revu vos ambitions ! De mémoire, votre plus émouvant passage (j’ai tout lu) c’était sur le couscous, le couscous de Sousse de votre petite maman, quelque chose comme ça, poignant. Qu’est-ce qu’ils savent du couscous à la Sorbonne ? (désolée si ma mémoire a déformée les choses, ça m’arrive souvent, ce qui compte c’est ce qu’il reste ! et je m’en souviens comme ça).

  10. si je comprends bien pour devenir écrivain, il faut faire G3 secrétariat….mince, faut que j’m’y mette, mais je tape toujours d’un doigt :)))

  11. Parlons peu mais parlons bien : quelqu’un sait comment simuler correctement une sclérose en plaque ?

  12. Poilou Coualoh dirait : avant d’écrire, il faut d’abord vivre.

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