Le jeu de massacre de la rentrée littéraire

 

Il y aura peu de gagnants et beaucoup de perdants.

A côté du cercle très fermé d’heureux élus qui connaîtront les honneurs de la critique, les louanges de la presse institutionnelle, les convoitises de l’intelligentsia parisienne, il existera un cortège d’aimables romanciers dont seul le cercle rapproché, très rapproché – compagne, chat, chien, lointain cousin d’Alaska, concierge à la retraite, boulangère désœuvrée – saura qu’ils viennent de publier un roman.

Un roman qui la plupart du temps ne parviendra même pas à s’afficher en librairie, hormis celle où l’auteur se ravitaille d’habitude en livres divers et variés, condamnant dès lors le malheureux bouquiniste à commander au moins un exemplaire de ses affabulations romanesques, histoire de ne pas se fâcher avec son meilleur client.

Pour se rassurer sur la réalité de la publication de son chef-d’œuvre, l’écrivain en manque de notoriété sera réduit à tapoter son nom sur un moteur de recherche afin de découvrir qu’il est bel et bien répertorié dans les catacombes des catalogues de librairies en ligne, orpheline et chagrine présentation accompagnée d’aucun commentaire élogieux ou même dédaigneux.

Il saura ainsi qu’il existe.

Que lui aussi participe au grand barnum de la rentrée littéraire, cette fête foraine de la littérature qui prend un malin plaisir à désigner ses rois sitôt août achevé, reléguant dans l’ombre des centaines d’écrivains qui passeront les mois prochains à se morfondre et à pester contre le monde entier.

Les cocus de la rentrée littéraire.

Dira-t-on jamais cette souffrance inouïe de l’apprenti romancier qui ne peut se résoudre à ce que d’autres occupent les feux de la rampe alors que son roman dépasse de mille coudées les souffreteux et empruntés récits consacrés par des critiques aphasiques, cette ribambelle de chroniqueurs apathiques se contentant de reproduire les même feulements extatiques que leurs collègues de cocktail.

La rentrée littéraire s’apparente à un véritable jeu de massacre, à un sanglant ball-trap, une sanguinolente chasse à courre qui laissera sur le carreau l’immense majorité de ceux qui se présentent, pleins d’espoirs et gonflés de certitudes, sur la ligne de départ, déjà certains de virer en tête à hauteur du très piégeux carrefour de l’Odéon où se rejoignent les avenues Goncourt, Renaudot et Femina.

Les rendront amers et désillusionnés.

Frustrés et déconcertés.

Désespérés et suicidaires.

Tant d’effort, tant de sacrifices, tant de renoncements pour en arriver à être ce cancre de service qui n’aura comme seul réconfort que l’aimable parole de son éditeur l’assurant “que de toutes les façons les dés étaient pipés d’avance, que les prix ne sont que magouilles et combinaisons et les critiques, des écrivains frustrés à la botte des grandes maisons d’éditions.”

Ainsi va la vie littéraire hexagonale.

S’offrant au sortir de l’été sa petite crise orgasmique, ces petits jappements de critiques hystériques et nombrilistes, bouffis de suffisance, convaincus de détenir la verité, n’hésitant pas à hurler en meute au chef-d’œuvre immortel à la moindre petite oeuvrette que son esprit étriqué parvient à saisir dans toute sa magnifique insignifiance.

 

De ces romans ni bons, ni mauvais, à peine médiocres, dont l’année prochaine on aura déjà oublié l’existence tellement la littérature se montre impitoyable avec ces faussaires, avec ces prétendants qui se prenant au jeu des vanités, s’imaginent déjà des destins d’immortels.

 

Quant à l’écrivain qui cette année, par paresse ou faute de temps, n’a pu prétendre revêtir un quelconque dossard, il contemple cette aimable foire avec circonspection et méfiance : sait-on jamais, il se pourrait in fine que parmi cette bande de tâcherons ineptes émerge un réel talent qui pourrait égaler son auguste et inégalable génie…

 

 

15 commentaires pour “Le jeu de massacre de la rentrée littéraire”

  1. 🙂
    Ouaip. Enième rentrée des foires aux vanités. La barbe, et définitivement. Je zappe depuis des années : ce sont toujours les mêmes recrues usées depuis vingt ans, rien de neuf, tout d’ennuyeux. Comme à la radio, ou à la télé, ou en politique. Jamais aimé les rondes des “entre-soi”.

  2. Le meilleur d’entre nous, ça reste quand même notre brave rakam ! 🙂

  3. Bonjour Laurent

    J’aime mieux tes articles de blog que tes livres. Peut-être suis-je devenu comme des millions d’autres, un lecteur virtuel, qui n’a plus de goût que pour l’écran.
    Mais c’est l’évolution semblerait-il – l’homo sapiens devient homo informaticus.
    Pauvre de nous…

    L’édition quant à elle, dans son exploitation, est restée au XXième siècle, ou avant. Elle ne jure que par le physique, le papier, les journaux, les boutiques. Or tout cela est en train de fondre. Il ne restera plus bientôt que des bits (sans ‘e’).

    Dans ton article, il n’est question que de l’édition de papa et de papy, tel qu’on la pratique depuis Guten-machin.
    Ne penses-tu pas qu’à l’avenir, il n’y aura plus que des e-book, des e-mails, des e-pages,et des e-lecteurs. Oui je sais c’est e-mmerdant…

    L’édition est attachée au passé, elle tombe en lambeaux, comme accrochée à un clou sur le parquet. On vend des e-livres, oui, à prix d’or et sans faste. La promo ne vise que les journaux, alors que la moindre page FB fait plus d’audience. Les foires du livre restent le seul point de mire, alors qu’un site internet bien conçu fait plus de tapage.

    En tant qu’ex-gérant d’un blog bien référencé, je suis effaré de ne pas avoir reçu un seul livre de la rentrée. Pourtant je peux le prouver, nous obtenons plus de mille visiteurs par jour. Je n’ai quasi aucun contact, juste un éditeur, et deux auteurs, dont un certain Laurent Sagalo-quelque-chose, un type de Vancouvert, je ne sais pas si tu connais. Il a écrit quelques bouquins décapants sur un Juif en cavale, un truc de fous.

    Tout ce petit monde de l’édition ne ferait-il pas mieux de se secouer les puces, d’arrêter de miser sur les gloires anciennes, et sur des procédés de distributions et de promo dépassés ?

    Cependant une chose est contradictoire : l’édition ploie quand même et sa qualité baisse dangereusement. Certaines ouvrages sont plus proches du langage SMS que de la littérature de bon aloi. Comment se fait-il que les éditeurs se laissent emporter par le courant de médiocrité intellectuelle, mais point par les nouvelles technologies ? Il y a là une ambivalence qui me dépasse.

    Aussi, entre lire la pisse-copie actuelle cent fois rabâchée, imposée, forcenée, et retourner carrément dans le temps, eh bien je préfère être clair. L’édition actuelle me dégoute, hormis de rares exceptions. Je préfère carrément replonger en arrière et lire des classiques. Vive le papier, vive la bonne écriture, et merde pour les Toussaint, Nothomb, Lévy, et autres fumisteries d’une époque qui ne trouve pas sa voie.

    On déplore la chute de l’empire, la baisse des ventes, la fermeture des librairies. Mais en dépit des formidables moyens actuels, les éditeurs ne font que se battre pour pousser leurs favoris en tête de linéaire de supermarché. Outre que les librairies disparaissent, que trouve-t-on en exergue ? Du populaire. Cinquante nuances de Grey, de jaune, de rose. Le dernier Congourt. Le énième Lévy. Le feuilleton de l’été. De la chick-lit, pas si chic que ça. Du clinquant, du tape à l’œil.

    Et nous véritables lecteurs de l’ombre, on en a assez de ce système !

  4. Tout à fait entre nous, quel meilleur conseiller que le bouche à oreille ? Car lui seul nous fait découvrir de véritables pépites, ou en tout cas des livre rares. Des livres écrits à coeur ouvert, nous dirait Marc Levy… 🙂

  5. Je pense que les livres se vendraient un peu mieux si on avait accès en ligne à quelques extraits.
    quand un cd sort,je vais d’abord l’écouter avant d’éventuellement l’acheter.
    Ce système permettraient aux obscurs d’avoir leur chance,je crois par contre qu’il pourrait nuire aux tâcherons habituels ce qui explique peut être que cette simple mesure ne soit pas prise.
    Dommage aussi que le petit libraire de quartier ou de province aie quasiment disparu,maintenant ceux qui s’occupent de vendre de la prose sont souvent des quidams illettrés payés au SMIC noyés dans un océan de gadgets électroniques

  6. Aujourd’hui le roman n’est plus perçu comme une oeuvre mais comme un événement d’actualité. C’est à dire un geste sans lendemain. On parle du “nouveau” Toussaint, du “nouveau” Nothomb, dont l’intérêt est réduit à la seule rentrée littéraire.
    Kafka a-t-il jamais fait l’actualité littéraire? A-t-il fait une seule “rentrée”? Et pourtant ses livres perdurent.

  7. Bon personnellement j’ai la chance d’avoir une petite librairie en surface mais grande en humanisme près de chez moi. Alors j’y vais et on essaie de lire des trucs, de se faire une idée, faut bien essayer et si le bout de truc t’intéresse et bien tu achètes. Et puis tu demandes l’avis de ton libraire qui te connait un peu. Sinon la rentrée c’est le moment peut être pour lire ou relire les grands anciens. Pour les neufs tu verras plus tard. Même chose pour la musique. Pour les étrangers j’en ai plus que ras le bol des fermiers américains qui écrivent trois lignes et qu’on ait obligé de trouver géniaux…

  8. Re, l’année dernière j’ai bien aimé Echenoz, 14 et ses antinomies ou Anima de Wajdi Mouawad un genre de polar noir, une allégorie où l’on se retrouve dans la pensée des animaux (il y a tout un bestiaire), une vengeance pleine de poésie cruelle ou un truc approchant, je ne sais pas trop. Cette année on va bien voir ce que vous avez à proposer.

  9. Je suis impardonnable je vous ai oublié Saga, en même temps c’est si évident que voila. La canne de Virginia est un chef d’œuvre! Je n’ai pas encore lu la suite des aventures de Simon, je sais qu’à la fin il meurt ce qui m’attriste un peu, j’ai dû faire comme un pré deuil, je sent que je suis près, pour la rentrée littéraire de 2013 c’est parfait.

  10. C’est l’histoire de deux gothiques qui discutent dans un cimetière…
    – Alors, ça se passe comment avec Emilie ?
    – C’est mort…

  11. Le pilon va encore bien fonctionner cette année.

  12. @Nicotoutcourt : le principe du spoil, vous ne connaissez pas? Merci, hein. Ou pas. 🙁

  13. A ce qu’il parait ce qui compte c’est la narration ou tout un tas d’autres trucs. Et si vous êtes fan de notre hôte c’est lui qui l’a dit quelque part par là https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?ref=ts&fref=ts alors ne vous en prenez pas à moi. 😉

  14. @Stephane. >Je pense que les livres se vendraient un peu mieux si on avait accès en ligne à quelques extraits.
    quand un cd sort,je vais d’abord l’écouter avant d’éventuellement l’acheter.

    Je ne sais pas. Acheter un livre sur un titre, un quatrième de couv ou autre impulsion, c’est un acte de foi. Un saut dans l’inconnu: prendre le risque de tomber amoureux d’une histoire, d’un personnage ou d’un auteur.
    Quelques lignes ne donnent pas toujours la teneur d’un roman, tout comme un trailer n’est pas toujours fidèle au contenu d’un film.

  15. Laurent, vous êtes sûr que vous n’avez pas fait exactement le même papier le 24 août 2012 ? Allez courage, vous l’aurez votre papier dans Grazia, pour votre prochain bouquin, vous verrez, si, si, on y croit !

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