Doucement sur le Pastis, une pancréatite est vite arrivée

 

Il y a cinq ans jour pour jour je déboulais aux urgences d’un hôpital de province, le ventre vrillé de douleur, les yeux exorbités d’incompréhension, l’esprit en totale déroute cherchant désespérément une raison à ce soudain et abrupt dérèglement.

Après quelques examens de routine, et alors que je me cramponnais à un lit de fortune flanqué dans un des couloirs de l’établissement hospitalier, barbotant dans une mer de confusion, un toubib se pencha vers mon visage et me posa la fatidique question ” Est-ce que vous buvez Monsieur Sagalovitsch ? ”

Stupeur et tremblements.

Tremblements et convulsion d’indignation.

C’est par où la sortie, j’ai oublié d’éteindre le gaz.

Un petit peu bafouillais-je à l’intention de Monsieur le Proviseur déguisé pour l’occasion en un mandarin en blouse blanche.

Vous nous faites une pancréatite aiguë

De quoi ?

Une pancréatite. Une inflammation du pancréas.

De qui ? De quoi ?

On va vous hospitaliser.

De qui ? De quoi ? Hein ? Pancréquoi ? Pancréqui ?

 

C’est ainsi que je commençais un séjour long de trois semaines où j’eus tout le temps d’appréhender les charmes ineffables et les délices insoupçonnés d’un hôpital, sa cadence toute militaire, ses absurdités cacophoniques, ce maelström d’infirmiers, de médecins, d’internes qu’on a vite fait de catégoriser comme gentil, sadique, incompétent.

Buvais-je tant que cela ?

Oui et non.

Oui, trop influencé par Fitzgerald, Lowry et Faulkner, je trouvais un charme tout littéraire à m’accoquiner avec une bouteille de bourbon.

Oui j’aimais l’amertume ensorcelée d’une pinte de Guinness.

Non, je ne résistais pas à l’appel d’une bouteille de Chablis bien frappée.

Mais.

Non, je n’avais jamais été vraiment ivre.

Non, je ne m’étais jamais réveillé dans une chambre d’hôtel en me demandant qui j’étais, où me trouvais-je la veille, avec qui j’avais pu fricoter ?

Non, je ne planquais pas des flasques de Label 5 dans la couscoussière familiale.

Et jusqu’à ce jour j’ignorais totalement ce qu’était un pancréas, à quoi il pouvait bien servir, quel était son rôle dans la fabuleuse ordonnance régissant le corps humain.

On décréta que je devais être mis à la diète complète, seul moyen pour que mon pancréas en berne se régénère.

C’était la fin juillet.

 

Il faisait une chaleur à crever, mon lit gisait tout à côté d’une fenêtre qu’on ne pouvait ouvrir, une malheureuse s’étant défenestrée la semaine précédente, la climatisation n’était pas comprise dans le forfait hospitalier, les murs suintaient de sueur, le plafond brûlait, et je crevais littéralement de soif.

Tous les matins j’envoyais ma compagne piller les rayons de Carrefour afin de me ravitailler en atomiseurs d’eau minérale que je martyrisais afin qu’ils crachotent ses myriades de gouttes d’eau que je lapais comme un lépreux.

Surtout je souffrais comme un damné.

Je découvris la douleur, la vraie, la magnifique, l’atroce douleur, cette chose indicible, imprécise et mystérieuse qui me ramenait à l’état de bête, feulant des sanglots afin qu’on vienne la secourir ou même l’abattre si nécessaire.

A chaque fois que l’infirmière me demandait sur une échelle de 1 à 10, à combien vous évaluez votre douleur, je hurlais un 10, un 100, un 1000, implorant sa grâce pour qu’elle daigne me ravitailler en morphine, mais c’était trop tôt, essayez de dormir plutôt, je repasserai plus tard me répondait cette Mengele d’opérette.

Agonisant, je marmonnais, j’invectivais, je délirais, vous ne connaissez pas la loi Kouchner contre la douleur, mon frère est avocat, je suis écrivain, j’ai mal, bon sang, vous ne voyez pas que je souffre le martyr.

Mais non elle ne voyait rien.

Je n’étais qu’un malade parmi d’autre.

 

Je finis par guérir.

Le corps médical me délivra un bon de sortie en me prévenant que toute consommation d’alcool, ne serait-ce qu’un verre de bière, me vaudrait de gagner un nouveau séjour parmi eux.

Depuis ce jour, je n’ai plus jamais touché une goutte d’alcool.

Quand bien même le voudrais-je que mon corps se souvenant de la douleur vécue interdirait à mon esprit d’obtempérer à mon injonction.

L’alcool ne me manque pas.

L’hôpital non plus.

L’infirmière encore moins.

Je ne sais pas si je buvais trop ou pas.

Après bien des recherches, je découvris que la pancréatite est une maladie inconstante, une maladie mélancolique qui choisit ses victimes avec le même arbitraire qu’un chef de chantier choisit ses ouvriers pour ses travaux journaliers.

Toi, toi, toi, toi, et toi.

Ce jour-là, ce fut moi.

 

 

16 commentaires pour “Doucement sur le Pastis, une pancréatite est vite arrivée”

  1. ah ben oui, on peut être alcoolique sans être jamais soul. C’est même la forme la plus répandue…

  2. En lisant le début j’ai pensé : il me semblait bien bien que vous couviez quelque chose parce que les 2 derniers….et puis non, c’était avant….bon ben moi je vais me coucher je crois que j’ai un peu trop abusé ce soir….

  3. il parait que l’espérance de vie augmente si l’on ne boit pas, on ne fume pas et que l’on demeure durablement fidèle à sa partenaire sexuelle (ça préserverait le cœur d’émotions “tachycardiques”)
    si en plus on a la chance d’exercer une activité professionnelle intermittente , peu stressante , peu éreintante et non imposable (père noël, vendeur de muguet, écrivain en éxil…etc..) la barre des cent ans n’est en principe qu’une formalité à atteindre et à franchir….
    moralité:
    pancréatite ou pas pancréatite….
    tu sembles bien parti pour enterrer tous tes lecteurs….

  4. 100 ans sans fumer ni boire!!! qu’est ce qu’on doit s’emmerder! Et puis bukowski mon heros, buvait comme un trou et fumait comme une cheminée, ca ne l’a pas empeché de passer les 70 balais la bite à la main.

  5. @ chacal : c’est un peu sommaire…

  6. Longue vie à Laurent Sagalovitsch ! Qu’il enterre ses lecteurs passionnés les uns après les autres et se repaisse de ce spectacle dans un confortable rocking-chair.
    (Pour la morphine, j’ai passé 6 mois à l’hosto en 2006 et observé qu’il faut dire 8. C’était le chiffre magique pour avoir la dose maximale. 10 ça fait j’exagère, 7 c’est pas assez, 8 c’est humble mais en souffrance, ça marche à tous les coups).

  7. Et vous avez déjà bu du bourbon sur votre vélo d’appartement?

  8. @achtungbaby : sommaire oui, mais je vais pas raconter l’histoire d’un des plus grand ecrivain americain, faut le lire et en anglais si possible car c’est pas non plus insurmontable. En tout cas, lui nes’est pas arreté de boire à la première petite contrariété, ehehe!

  9. J’ai fait un tour à l’hosto il y à quelques mois. Après avoir dormi et vomi pendant deux jours j’ai réussi à me trainer aux urgences un dimanche matin. Je pensais avoir une gastro et le médecin urgentiste la gueule de bois. Après vérification c’était une pneumonie et me voila embarqué pour une semaine d’hosto, des litres de perfusions, toute une batterie de tests et autant de prises de sang faites à la chaine par un anonyme sur des anonymes à l’usine de santé. Et puis il y avait cette infirmière qui dirigeait son service d’une main de maître, des journées de 12h et toute cette souffrance pour s’occuper. Des vieux en fin de vie, des clients réguliers aux douleurs chroniques et aux causes indéterminées, des sdf saoulés de solitude … Elle était tout à faut quelconque, ni grande ni petite, ni grosse ni maigre, ni belle ni moche, quelconque et une capacité à vous réifier qui m’interpelle encore et encore ou comment objetiser sa passion. Je crois qu’elle m’en voulait un peu d’ébranler sa petite routine. Alors que son jeune assistant était encore très sensible, le geste mal assuré et trop précautionneux elle n’y allait pas de main morte quand elle trifouillait ma perf. Elle redoublait de cruauté comme pour me faire payer ma présence. Pour ne pas voir l’homme elle maltraitait le rosbeef. Quand elle exagérait je rallais et elle reprenait ses esprits, le geste se faisait plus précis, plus technique, plus juste. L’infirmière ne m’aura jamais montré la femme. J’ai lamentablement échoué mais c’était à prévoir.

  10. Intéressant : http://fr.wikipedia.org/wiki/Trouble_de_la_personnalit%C3%A9_histrionique

  11. @ Roger :

    “Enfin, le personnage même des troubadours procède des jongleurs, et ceux-ci sont, comme leur nom l’indique, une dérivation de l’ancien joculator, qui faisait partie, aussi bien que les histrions et les mimes, d’une classe d’hommes consacrée aux jeux dégénérés de la scène romaine. — (Jean-Jacques Ampère, La Littérature française au moyen-âge, Revue des Deux Mondes, 1839, tome 19)” (wikipedia à propos d’HISTRION)

  12. “Les hommes utiles et modestes vivaient dans l’oubli, tandis que les histrions et les courtisanes attiraient les regards. — (Général Ambert, Récits militaires : L’invasion (1870), p. 240, Bloud & Barral, 1883)”

    🙂

  13. Peut-on connaître quelqu’un en particulier sans jamais avoir rencontré cette personne ? Eh bien, mes amis, je crois que oui ! 🙂

  14. Quelqu’un pourrait-il m’expliquer les avantages qui résultent de l’acte de glisser son pénis dans un grille-pain ?

    http://www.lefigaro.fr/livres/2013/07/29/03005-20130729ARTFIG00326–fifty-shades-of-grey-les-pompiers-londoniens-davantage-sollicites.php

  15. apres les “sex toys”, les “sex toasts” 🙂

  16. Amha, ce ne sont plus des toasts, mais des merguez grillées….

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