A la fin Gatsby meurt. Dans sa piscine. Tué par le garagiste. Et personne ne viendra à son enterrement. Comme personne n’est venu le jour des funérailles de Fitzgerald.
Absolument personne hormis Dorothy Parker.
Fitzgerald est mort seul. Seul comme un chien. Inconnu ou pire méprisé.
Oublié.
Il est mort de tristesse.
Rongé par une mélancolie noire que l’alcool ne parvenait même plus à soulager.
Heurté de voir que plus personne ne s’intéressait à lui. Qu’il était passé de mode. Et ne trouvant pas en lui assez de ressources pour continuer le combat de vivre.
Il voulait être aimé. Admiré. Loué.
Ce fut son seul tort.
Il avait trop besoin du regard des autres pour exister.
Il ne se suffisait pas à lui-même.
Il était trop sensible pour affronter le monde où, éternels paradigmes, dominent toujours les crasses jalousies et les admirations éphémères.
Son cœur palpitait de trop pour se confronter à la rudesse d’un monde jamais assez cruel envers ceux dont l’existence se résume à un combat sans cesse renouvellé avec leurs propres démons.
D’un coup les gens décidèrent de cesser de l’aimer.
Par caprice. Par mode. Par paresse.
Parce que les gens ne pensent jamais par eux-mêmes.
Parce qu’ils ne répondent qu’aux sollicitations que l’époque, en grande prêtresse putassière, se targue d’imposer.
Et qu’ils suivent toujours docilement le mouvement.
Il n’y a rien à attendre du film de Baz Luhrmann.
Parce qu’il sera forcément raté. Parce que Di Caprio ne sera jamais Gatsby. Parce que Gatsby n’existe pas.
Parce que la phrase de Fitzgerald ne dessine que des arabesques de mots si parfaitement composés, suspendus dans une intemporalité si éthérée, gravitant dans le clair-obscur d’une poésie si pudique, si intime, si fragile, qu’aucune caméra ne pourra jamais imiter ou reproduire sa parfaite cadence.
Alors oui bien sûr on trouvera que les scènes des soirées données par Gatsby sont éblouissantes et magistralement restituées.
On imagine déjà les savants mouvements de caméra tournoyant follement dans les jardins éclaboussés de lumières, s’envolant soudainement dans les airs, s’attardant sur les fontaines de champagne, sur les cascades de cotillons, sur les cavalcades de couples s’esclaffant à perdre haleine sur les parterres de danse au son entraînant d’un orchestre rutilant où les cuivres répondent aux trombones, les cymbales aux trompettes, le tout sous le regard complice d’une lune éclatante.
On devine que la restitution de l’époque sera saisissante de vérité.
Et que les acteurs seront tous absolument parfaits.
Mais du roman, du charme indicible de ce livre fantôme où les personnages n’existent qu’à travers la délicatesse inouïe du style de Fitzgerald, de cet attendrissement constant de la phrase qui s’en va murmurer à l’oreille du lecteur envoûté des velours d’adjectifs suaves et d’adverbes sensibles, il ne restera rien.
Pas plus que l’évanescence de ces personnages qui ne se meuvent que dans le hâlo tremble d’un théatre d’ombre fugace dessinant une implacable tragédie humaine où les coeurs sont prisonniers tout autant des sortilèges du passé que de la persistence des conventions sociales.
Ne demeurera que la façade.
Les fondations grossières.
La vulgarité et le toc.
La grossièreté et la lourdeur.
Demain Leonardo Di Caprio montera le tapis rouge sous les vivats de la foule en délire.
Arrivé en haut des marches, il se retournera pour gratifier les photographes d’un sourire enjôleur.
Il aura alors le monde à ses pieds.
Fitzgerald, lui ne sera pas ressuscité.
Il continuera à être ce géant de la littérature américaine, mort dans la solitude la plus absolue.
Ignoré triomphalement par ceux-là mêmes qui se précipiteront pour assister à la projection de Gatsby et applaudir à tout rompre au moment du générique final.
Les écrivains ne vivent jamais deux fois. Leurs personnages, eux, sont éternels.
J’espère que ce n’est pas un vrai spoil…
C’est vrai qu’une pub de deux heures pour les chocolats de l’ambassadeur ça peut faire un peu long.
@ Laurent : C’est exactement ce qui est arrivé à Richard Brautigan, sauf qu’il a hâté la fin en se faisant sauter le caisson. Peut-on craindre le même sort pour David Foenkinos ou son challenger, Grégoire Delacourt, lorsque de plus jeunes, plus beaux, plus drôles qu’eux viendront fatalement scier les pieds de leurs fauteuils ? Toutes les craintes sont permises.
D’accord avec vous, Laurent, mais je reste encore stupéfaite qu’Hollywood se remette à tourner autre chose que l’histoire d’un super-gusse en collants fluo. C’est dingue.
…
A moins d’un piège. Si ça se trouve, en plein milieu d’une réception, Leonardo arrache son plastron et dévoile son super-costume de Gatsbor El Magnificor, et se met à voler aux riches pour donner aux pauvres après avoir déjoué un attentat islamiste.
(@ Vince : :D)
Merci monsieur pour cet excellent article.
@ Bernard : Figure-toi que Beigbeder est en train de s’apercevoir qu’il est vieux, maintenant, et c’est très dur pour lui.
Zeller, lui, il était déjà cacochyme jeune (voir ses pièces dignes des pires comédies “troupières” du XIXe siècle) alors ça compte pas trop.
Pas forcément à voir avec Gatsby El Magnifico :
“Si le grand cinéma populaire devient un vivier à blockbusters conçus comme des pilotes de séries bas de gamme, il semblerait que le nouvel eldorado des amateurs d’un cinéma plus adulte, réfléchi et stimulant ne soit plus dans les salles obscures mais sur les écrans de télévision câblée.”
Article sympa ici : http://www.chronicart.com/Article/Entree/Categorie/webmag/Id/quand_la_tele_se_voit_plus_grosse_qu_elle_n_est%E2%80%A6-12535.sls
Je me souviens que Saga finissait par conclure à propos de la critique littéraire par quelque chose comme “c’est le jeux”. Et puis pour le dire comme je le pense Fitzgerald m’a tout l’air d’avoir été un gros connard. Il faudrait que je relise le livre mais il me semble que Gatsby ne faisait pas tellement la fête, ses conversations se déroulent dans “l’intimité” autour d’une table, au fond du parc ou encore dans la bibliothèque et quand Fitzgerald parle des fêtards c’est surtout pour montrer leur inanité. Donc à première vue en faire des tonnes sur la fête ne me parait pas rendre hommage au livre (mais il faut que je vois le film pour juger), les scènes les plus fortes ne s’y déroulant pas. Pour finir par une demi bonne nouvelle Lana Del Rey a enfin à peu près apprit à chanter, c’est beaucoup moins maniéré, vulgaire http://www.youtube.com/watch?v=o_1aF54DO60&list=UU3N5y6UWKJaKqoU2b_0MfTQ&index=1 par contre la compo est d’une vacuité à toute épreuve. Je la verrais bien jouer Ana dans Fifty mais attention à l’explosion de lèvre, c’est un risque à courir.
La première version était déjà un ratage à peu près complet, je suis tout aussi inquiet sur la prochaine. Ce genre de films permet avant tout aux feignants de prétendre avoir lu le livre.
Il serait temps d’ adapter enfin des oeuvres qui en valent la peine ( Musso, Levy, Bruno Le Maire)
il va signer au PSG Gatsby?
Bah. De toute façon, même le film qui se voudra le plus fidèle ne reproduira jamais l’effet produit du livre, tout simplement parce que le média est différent. Dans un film, un coup de caméra et hop, la table du banquet est dressée. Dans un livre, faut se cogner toute une description avec des mots et des adjectifs à la c.., et faut que ça soit jooooooli en plus. Et je ne parle pas de la musique, épatant pour tisser un climat sans se fouler… Allez rendre l’effet de la bande son de Psychose, quand la fille est sur le point de se faire poignarder dans sa douche, rien qu’avec des mots, tiens ! Frimeurs, ces cinéates !
à Sophie : Begue BD est vieux ??? Il écrit un bouquin là dessus ? C’est intéressant, ce manque total d’imagination chez les prosateurs de salon, qui les poussent à enfiler les perles sur l’air du temps qu’il fait dans leur verre à Whisky. Bon, Nadeau dit que ce n’est qu’à partir de 50 balais qu’on commence à écrire des choses intéressantes, tout n’est pas perdu pour Pascal Chev.. pour Frédéric B, sorry.
Ce qui m’etonnera toujours c’est que la solitude soit constament connotée de façon négative. Peut être à cause des “conventions sociales”? Sans en faire l’eloge, trop de solitude tue la solitude, ce mot est pourtant si tendre et Fitzgerald une si grande énigme pour moi. Le plus angoissant ce sont ces gens qui veulent faire votre bonheur à votre place, ils ont souvent les meilleurs intentions du monde mais quand ils ne veulent pas l’accepter ça fini toujours mal, trop de compagnie tue la compagnie. A ceux qui l’acceptent je le leur rend au centuple et la vie est douce. Qu’y a t’il de si compliqué?
@ Nico : c’est vrai que lorsque vous débranchez votre téléphone, votre mail, votre page FB, votre Tweet pendant plus de 24 heures, les gens vous demandent pourquoi vous ne répondez pas, si vous êtes malade, si vous faites la gueule, si vous êtes fâché, etc. Répondre seulement que vous avez envie qu’on vous foute la paix 5 minutes est une réponse perçue avec étonnement, voire incivile.
on pourrait dire trop de social tue le social, mais bon l’homme est un animal sociable et avec tout ces nouveaux outils on est passé à l’hyper-sociabilisation donc effectivement une absence de signe vie, au bout de quelques heures si ce n’est pas au bout de quelques minutes, ça inquiéte.Au moins on se parle même si ce n’est pas toujours pour dire des choses intelligentes j’avoue :).ça a le mérite de moins laisser passer certains comportement et de se mobiliser plus rapidement.
apres pour ceux qui veulent qu’on leur foute la paix c’est toujours possible, soit on débranche tout soit il reste toujours quelques forets tranquilles et profondes quelque part.
http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20130514.OBS9008/j-ai-traduit-dan-brown-dans-un-bunker-il-y-avait-deux-gardes-armes.html
C’est Josef Fritzl qui va être jaloux !
Hé : comme on dit que la religion est l’opium du peuple, ça veut dire que les riches fument de l’opium ?
Les riches ne se droguent pas, ils ne sont pas accros a la cocaine, ils adorent juste l’odeur c’est tout!
@ chacal : un peu comme les ados quand ils crapotent avec leur malboro ?
De part la lumière verte, n’allez pas voir Gatsby, volez-le.
J’ai remarqué qu’il y avait plein de zooms dans Gatsby. Dans la bande annonce, en tout cas. C’est vrai que c’est bien, les zooms, quand on ne sait pas trop quoi faire de sa caméra. Zoom avant, zoom arrière. Plein de travelling aussi. Mieux : des fois, Baz-machin associe les zooms au travelling. Une idée de génie.
Merci pour ce bel article, juste, sensible, émouvant, superbement bien écrit, avec ce qu’il faut de pudeur et de colère bien maîtrisée.
Ceci dit, d’autres avant Scott Fitzgerald et après lui ont également disparu dans l’oubli, voire la misère affective ou le dénuement.
Qu’on se souvienne, par exemple, de l’immense dramaturge américain Tennessee Williams disparu en 1983 dont tant d’œuvres immortelles (A streetcar named désire, Cat on a hot tin roof, Sweet bird of youth) ont été portées à l’écran, qui a connu ses heures de gloire dans les années 1950, pour ensuite connaître la disgrâce.
Dans les années 1970, plusieurs de ses pièces ont été accueillies froidement par la critique. Ces échecs répétés ont maintenu Williams dans une dépression profonde.
Il a été retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel, à New York. Il se serait étouffé avec le bouchon d’une bouteille de gouttes ophtalmiques … selon la version officielle
aigreur,
quand tu nous tiens.