Voir Marc Levy et mourir

Ils sont venus, ils sont tous là.

Personne ne manque à l’appel.

Les familles au grand complet, les veuves onanistes, les célibataires transis, les divorcés quinquagénaires, les collégiens niaiseux, les étudiants boutonneux, les thésards appliqués, les rescapés des maisons de retraite, les échappés de l’enfer conjugal, les bedeaux et les badauds, les curieux et les furieux, les envieux et les culs-terreux.

Ils se promènent dans les allées du salon, l’air pénétré, le visage fermé, le regard
sévère : ils sont en mission.

Ils ont rêvé cet instant depuis tellement longtemps.

Voir Marc Levy et mourir.

Regarder Amélie Nothomb et tomber en pâmoison.

Serrer la patte du dernier Goncourt et ne pas se laver la main pendant des semaines en espérant que le talent soit contagieux.

Échanger quelques furtives banalités avec Guillaume Musso et s’imaginer le destin d’un grand d’Espagne.


Recueillir l’élégante signature de Didier van Cauwelaert et la montrer le soir venu devant toute la famille estomaquée avant de ranger le précieux sésame dans la bibliothèque familiale à coté des œuvres complètes d’Émile Zola achetées à la farfouille un soir d’ivresse.

Prendre en photo la tronche impeccable de n’importe quel tâcheron vu à la télé afin de la mettre en arrière-plan de l’écran de son ordinateur  avant de se palucher devant, tout à son aise, les yeux mi-clos en psalmodiant à l’infini le nom de la vedette sacralisée.

Attendre des heures dans une queue qui s’étire jusqu’au bout de l’enfer pour confier à un troufion d’écrivain égaré dans le limbes de sa propre glorification que «  vous savez moi aussi j’écris, enfin bien sûr, je n’ai pas votre talent, pas encore du moins, mais je crois que j’ai du potentiel. Il m’arrive même de publier des articles dans la revue de mon comité d’entreprise. Et des poèmes pour le bulletin de ma paroisse. Je peux vous envoyer mon manuscrit, je crois en toute honnêteté que cela risque de vous intéresser, on a beaucoup de points en commun vous savez ?«

La tournée des éditeurs, son manuscrit sous les bras, ses rêves de gloire dans sa besace, son désir irréfréné d’appartenir au cénacle des hommes et femmes qui forment la république des lettres. L’académie peut-être.

Ainsi va le monde du salon du livre.

On n’y vient pas acheter des livres, on s’y traîne pour renifler les parfums de la postérité.

Il ne viendrait à l’idée de personne saine d’esprit, possédant toutes ses facultés mentales, aimant vraiment les livres au point d’en lire parfois quelques uns, de poireauter des heures entières pour recevoir l’obole d’un écrivain qui s’aime de trop pour ne pas rester insensible à ces élégiaques flatteries.

 

Et tandis que vous voyez toute cette foule grouillante et jacassante passer et repasser devant vous sans heureusement vous remarquer, sans trop savoir pourquoi, vous vous mettez à penser à Scott Fitzgerald, à ce jour où son cerceuil s’enfonça dans le ventre de la terre sans que personne, absolument personne ne vienne lui dire un dernier au-revoir…

24 commentaires pour “Voir Marc Levy et mourir”

  1. Voui. Je ne comprends pas super bien le principe de photographier avec son portable une célébrité moult fois vue à la télé et déjà photographiée sous toutes les coutures dans la presse. C’est tout sauf rare, une célébrité.

  2. @ Sophie K. : c’est comme pour la tour Eiffel, tout le monde veut sa propre photo, parce que c’est la plus belle.

  3. Et tu l’as vu Marc Levy toi ?

  4. “Comme le pouvoir, la vie est trop belle et trop courte pour être partagée.” (Josef Fritzl, “Abris sous-terrains : l’art et la manière”, éditions du Cachottier)

  5. Hey, vous allez finir tous vos textes en évoquant le cercueil de Fitzgerald maintenant ? En revanche, pas mal l’idée de changer l’orthographe de cercueil/cerceuil entre les 2 billets, comme ça on peut pas vous accuser de faire du copier/coller.
    En tout cas, vous en avez bien de la chance de croiser tout ce beau monde; en tant que collègue, un peu de leur gloire rejaillit sur vous !

  6. Au fait, quelqu’un a vu Stéphane Hessel au salon ? Le résistant, là. Non mais sans déconner, j’ai fait genre une heure de RER pour aller à ce truc de bobos parisiens, et y’avait même pas Hessel, pourtant on a pas arrêter d’en parler à la télé y’a quelques jours, et là au salon que dalle, putain l’arnaque ! C’est la première et la dernière fois que je vais à ce truc.

  7. Bon ben moi, j’ ai fait le Salon du Livre samedi, et le Salon du tatouage aujourd’hui. Franchement les gens les plus bizarres n’ étaient pas là ou on croit..

  8. Heureusement que j’ ai réalisé mon rêve: rencontrer l’ infâme Sagalovitsch, en chair et en chapeau. M’ en suis pas remis.. Heureusement qu’il y avait Sophie pour m’ empêcher de défaillir. Merci Sophie de ce soutien moral

  9. vous avez vu Stabilovitch au salon du tatouage ? Il avait quel numéro ?!

  10. un peu déçue de ne pas être en phase avec tout ce beau monde, pour moi ce fut la tournée des salons des écoles post bac mais j’ai rien mangé aux buffets 🙂

  11. en continuant sur l’idée de la photo, moi je ne comprends pas pourquoi les gens viennent dans les salons pour que les auteurs salissent leurs bouquins avec d’infâmes gribouillis sur la page de garde. Après, ils n’en veulent plus chez Gibert. Bon, je suis comme tout le monde, je me suis fait signer mon exemplaire de Stakanovitsch, hein. Mais, ça vaudra cher, un jour, ça vaudra cher.

  12. Moi non plus rien mangé aux buffets, pas même pu les approcher, pas même pu les voir en fait. 😀
    (Merci à toi Vinnie ! On a pu faire de la résistance à quatre ou cinq : on n’a photographié personne, nous.)

  13. @ Bernard et Laurent : vous avez été très courageux (surtout Laurent, qu’il a fallu attacher sur sa chaise pour qu’il ne parte pas en hurlant de terreur et en jetant ses livres sur les fans de Jean-Pierre Coffe.) Chapeau.

  14. Bah, Sophie, j’ai surtout été occupé à canaliser la foule de lectrices hystériques (Et plutôt âgées) qui voulait une trace de mon voisin, même que j’en ai signé un à sa place après son départ, la fille était tellement déçue 🙂
    Merci d’être venue, en tout cas et d’avoir affronté ce terrible endroit.

  15. En lisant votre titre de blog, j’ai ri et me suis dit : “mince, moi je peux mourir avant de voir Marc Levy”

    C’est tout aussi con puisque certainement le monsieur est quelqu’un de très bien même si son oeuvre ne m’interresse absolument pas…qu’il soit charmant ou non importe peu, staline était un très bon père de famille et très affectueux, n’empêche que…

    N’empêche que si on part dans la vieille histoire que disait Yourcenar “on ne lit jamais un livre, on se lit à travers le livre”, je présuppose que ces gens dans leur photo, envie de gribouillis d’auteur apposés sur le livre, concrétisent ainsi les émotions qu’ils ont pû ressentir et cetet impression de “s’être évadé” dans tel univers romanesque…l’autographe devient le stygmate de leur foi et cet auteur.

    Merci de vos textes croustillants, au fait je peux avoir une photo dédicacée?

  16. Si vous me prenez par les sentiments, je ne vois pas comment je pourrais refuser!

  17. j’échange photo dédicacée de laurent sagalovitsch contre poster de “busty” doll….

  18. C’est quand le prochain, je passerais bien boire un temesta ou deux ?

  19. Et oooOoolé !

  20. J’ai fait la queue derrière ces 19 commentaires et je me souviens d’un salon du livre à Saint-Étienne où j’avais mis les pieds par hasard (chapiteau placé sur la place de l’hôtel de ville, comme un cirque). J’avais été frappé par ces rangées d’écrivains assis et tirant la gueule, mi-humiliés, mi-énervés contre-eux… Mais je ne sais plus pourquoi j’ai fait la queue.

  21. pas mieux , je n’ai jamais très bien compris l’intérêt de ce genre de manifestation. mais bon si ça plait aux badauds laissons leur cet os à ronger , après tout c’est pas pire que la télé réalité

  22. Un jour je mourrais et je pourrais dire : j’ai serré la main de Laurent Sagalovitsch.

  23. Ouhlala désolé pour le “s” au futur de mourir, je crains fort malheureusement en l’espèce qu’on ne soit pas dans le conditionnel…

  24. faut il être maudit , alcoolique et solitaire pour être un écrivain reconnu ? je ne sais .. mais être un homme ou une femme blessée c’est une certitude , c’est même rédhibitoire !

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