C’est le petit jeu Google de cette rentrée musicale 2010 : compter le nombre de chroniques de La Reproduction d’Arnaud Fleurent-Didier qui font référence à Vincent Delerm, soit pour les rapprocher (à tort, mille fois), soit pour les opposer. Le même exercice fonctionne aussi pour La Superbe, le double album de Benjamin Biolay paru à l’automne, et Bénabar, mais avec cette fois-ci un lien sans ambiguïté, les propos peu amènes du premier sur le second. Au-delà, La Reproduction et La Superbe partagent deux autres points communs: ils attaquent la nouvelle chanson française avec ses propres armes mais sont, comme le veut la novlangue critique, “déceptifs”, décevants en bien, le Biolay parce qu’évidemment trop long et vite réductible à une très grosse poignée de splendeurs (“La Superbe”, “15 Août”, “Si tu suis mon regard”, “Lyon presqu’île”…), le Fleurent-Didier parce que simplement joliment “katerinien”, là où le single laissait entrevoir quelque chose de rarement vu ces dernières années dans la pop française.
Oublions donc pour un temps les albums, concentrons-nous sur les chansons, celles dont tout le monde parle en premier : “Brandt Rhapsodie” et “France Culture”. Deux antidotes au delermo-bénabarisme, à ce courant qui avait été présenté comme un remède à la télé-réalité, comme s’il fallait forcément choisir l’un ou l’autre. “France Culture” aurait pu s’appeler “Ton héritage”, titre d’une chanson du Biolay, mais c’est surtout de celui d’une chanson de Delerm qu’AFD aurait pu s’inspirer en intitulant ce morceau “Les garçons de 1974”. Sauf que le rappel du passé ne fonctionne pas de la même façon : là où Delerm accumule les références gentillettes à l’attention d’un public en quête d’identification, “lalalalala”, AFD, las las las las, parle avant tout de lui, ne cherche pas forcément à être aimable (“Elle trouvait que les noirs sentaient, elle n’aimait pas les odeurs”) ni à tendre un miroir à sa seule génération. Les suivantes, aussi, pourront s’y reconnaître un peu.
Si le nom de Truffaut surgit spontanément dès qu’on parle des deux musiciens, le premier n’en a retenu que le côté faussement léger, tandis que le second a aussi gardé sa noirceur et son obsession inavouable pour la mort. Grattez le vernis germanopratin d’un Delerm, vous ne trouverez qu’un grand vide ; oubliez le name-dropping évidé de Fleurent-Didier (le leimotiv “il/elle ne m’a pas appris”), il vous restera un drôle d’humour à froid (“Ils n’avaient pas voulu que je regarde Apocalypse Now mais je pouvais lire Au coeur des ténèbres, je ne l’ai pas lu, on ne m’a pas dit que c’était bien”) et quelques gifles assénées l’air de rien (“Elle m’a fait sentir que la drogue était trop dangereuse, il m’a dit que la cigarette était trop chère, elle m’a dit qu’une fois elle avait été amoureuse, elle ne m’a pas dit si ç’avait été de mon père”). Bref, Delerm et Didier, duel plutôt que duo, les ventes contre la réussite, l’inculture pop française contre “France Culture”.
Même constat du côté de Biolay : “Brandt Rhapsodie”, c’est basiquement une chanson de Bénabar qui aurait compris (au-delà du talent mélodique) qu’elle est autorisée à durer un peu plus qu’un week-end entre potes et qu’on peut cacher de grandes histoires dans les petits détails. Ramassant cinq ou dix ans en cinq minutes et une succession de flashes d’une grande puissance évocatrice (“A+, le + est une croix” ou “D’une écriture différente, du papier à en-tête, Effexor 75 LP, une gélule trois fois par jour”), Biolay empoisonne la nouvelle chanson française à petites gouttes, plus proche d’un Perec que de Delerm ou Bénabar – nom qui chez les deux susnommés inspirerait sans doute surtout une chanson sur Olga Bryzgina et la dernière ligne droite du 400 mètres de Barcelone.
Bien sûr, pour l’instant, ce ne sont que deux chansons (plus, quand même, un beau succès commercial, le premier, pour Biolay), mais elles apportent quelque chose : pas un courant d’air frais, mais plutôt un soupçon d’acide. On passe de la chanson bobo aux véritable plaies qu’on gratte, un peu comme, dans les années 90, certains cinéastes français avaient rompu avec la superficialité toute publicitaire des années 80 avec des films au scalpel : le “héros” de “France Culture”, c’est un peu, vingt ans après, celui de La Sentinelle de Desplechin (“On ne m’a pas appris comment faire avec les filles, comment faire avec les morts”). Et si on continue à remonter les décennies encore plus loin, on dira qu’en deux morceaux et un hiver, la chanson française vient de repasser des Carpentier à Jean-Claude Vannier, de la boutique à la grandeur, des années Pompidou/VGE à l’époque De Gaulle (le dyptique “Mémé 68”/“Pépé 44” de AFD) et des seventies aux sixties : en remontant le passé, elle nous paraît avoir rajeuni.
Jean-Marie Pottier
Photo de Une : Ted Drake
Article très interessant, mais qui abuse une millième fois à tort du rapprochement Bénabar/Delerm. A bien y écouter et à bien les lire, ces deux-là n’ont rien de commun. Et le second s’en sort bien mieux.
D’abord Delerm n’a rien de germanopratin et la noirceur de Truffaut n’est pas absente de ses chansons. Il y a les couleurs de La Femme d’à côté dans Chatenay-Malabry, le sérieux du Belmondo de La Sirène du Mississippi dans L’heure du thé, autant que Baisers Volés dans Un temps pour tout.
Si pour le moment j’accroche davantage à l’album de Biolay qu’à celui de Fleurent-Didier, je trouve injustifié de l’opposer à Delerm, ils ne sont pas sur les mêmes lignes.
Il y a de la place pour un Gainsbourg, un Renaud et un Bashung en même temps dans la chanson française…
Sauf que limiter son approche d’un disque à un texte, en coinçant la portée de celui-ci dans l’étroitesse d’un rapprochement qu’on condamne pourtant dès le début du texte, c’est sans doute un peu léger.
Il est certain qu’avec l’avalanche des productions actuelles, on est tenté de “surfer”, et les rapprochements faciles participent à rendre la tache moins vertigineuse pour les plus feignants. N’empêche que la portée du disque d’Arnaud Fleurent-Didier va à mon sens bien au delà de vulgaires considérations “Prix-de-Florienne” de type “qui fait quoi mieux”.
Même s’il s’inscrit forcement dans la scène à laquelle il appartient, son travail est avant tout un effort introspectif brillamment mis en musique, dans lequel la sincérité devient poésie.
Et la musique, en matière de chanson, les arrangements, les choix instrumentaux et les références qu’ils soutiennent, ca participe au propos.
Si la pauvreté musicale de Delerm nous pousse à limiter la chanson française à la seule qualité du texte ou du propos, les chansons d’AFD sont de vraies chansons, (ie parole ET musique).
La reproduction est mon avis un grand disque, qui restera comme un témoignage générationnel singulier et puissant.
Mais ca n’est que mon avis.
Silent > En bon feignant, j’ai préféré rester anglé sur le texte, mais la musique de AFD est bien sûr très intéressante. Si j’avais chroniqué son disque seul, j’en aurais beaucoup plus parlé. Ici c’était plus la façon d’aller au-delà des clichés textuels de la nouvelle chanson française qui m’intéressait…
IMtheRookie > A l’écoute de ses disques, j’ai toujours tenu Delerm pour un Bénabar pour fac de lettres. Je veux bien qu’il ne soit pas si germanopratin qu’on le dit, mais commencer sa première chanson de son premier album par “J’lui parle pas des filles de Jussieu”, ça installe tout de suite une étiquette ;-)
vous avez oublié Chloé Mons. Ses chansons sont superbes et elle est l’avenir de la chanson française.
Je n’ai strictement rien compris à votre article, que je trouve élitiste à l’image de ces artistes dont le seul talent est l’écriture et non la musique; Je déteste ces trois chanteurs. Parmi eux, deux qui se pètent plus haut que leurs fesses.
jmpottier : c’est bien aimable de préciser l’angle que vous avez choisi, à savoir le texte. A posteriori, cela parait évident mais à première lecture ça ne l’était pas tant que ça pour moi. De fait, mon commentaire va paraître comme un cheveu sur la soupe. Mais tant pis, vous n’aviez qu’à être explicite, je vous taquine. Je fais un rapprochement, peut-ête à tort, entre Fleurent-Didier Biolay et Tellier sur l’interprétation d’une part et sur l’utlisation des “effets” électro non pas en vagues mais presque en structure en plus de la composition piano.
Pour Fleurent Didier ca sent le Diabologum tres light quand meme non ?
Et je ne parle pas de Programme…
Oui, “France Culture” d’AFD, ca m’a instantanement fait penser a Diabologum, epoque #3, album genial par ailleurs, dont je ne me lasse pas. Je ne suis pas sur que le reste suive.
Le dernier Biolay est vraiment enorme par sa densite. Le double album est completement merite, meme si certaines chansons ressortent au debut (vous avez oublie “Padam”, tres tubesque). A part peut-etre “la Toxicomanie”, et encore, rien a jeter, ce qui est tres tres fort. Album qui va vivre assez longtemps par chez moi je suppose.
Ca me reconcilie carrement avec la chanson francaise, et ca ca fait plasir. Avec le train-train cote Miossec/Dominique A (un bon train-train, mais un train-train quand meme), c’est agreable.
En fait, Vincent Delerm a une culture pop française immense et il n’habite pas à Saint-Germain des Prés. Mais bon…
AFD cool, Biolay m’enerve un peu donc pas écouté mais c’est peut etre bien en fait…
Sinon, Vincent who? Bénaquoi?
Pour moi les quatre chanteurs cités sont également médiocres, quand je pense qu’il y a une personne plus haut qui osent les comparer à Gainsbourg, Renaud, ou Bashung…
Pour faire court, Benabar et Delerm plaisent aux gens qui n’ont pas d’autres horizon que leur petites vie de bobos plus ou moins bien lotis par la vie en démocratie.
La vacuité de ces chansons communautaires me fait penser à un certain type de rap lui aussi communautaire, tout aussi inintéressant mais bien plus stigmatisé. Comparés à ces deux là Fleurent Didier et Biolay font figure de génies, même si, sans parler de Gainsbourg, ils sont au niveau des genoux d’un Souchon, pour ne parler que de chanteurs vivants.
Mais qui est Fleurent Benabarlerme ?
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Vincent Glad, Henry Michel, Slate.fr, Jean-Marie Pottier, Jean-Marie Pottier et des autres. Jean-Marie Pottier a dit: [Slate.fr] Biolay/Fleurent-Didier, ou la mort de la nouvelle chanson française http://bit.ly/4YqTr7 […]
Première remarque, je ne suis pas un geek branchouille top in the move et n’étais pas inscrit à spotify (méga honte sur moi) donc … je ne peux pas cliquer sur les liens et c’est vraimetn frustrant grmblll
AFD n’est pas nouveau dans la chanson française. J’ai des disques de lui qui datent de près de 10 ans avec un groupe appelé Notre-Dame. Déjà, quelques intonations prémonitoire de ce que les Delerm et consorts allaient sortir un peu plus tard.
Certains percent, d’autres pas. Ravi qu’aujourd’hui son album soit reconnu parce que son travail n’a jamais cessé et qu’il doit avoir un vrai talent pour écrire, composer, jouer, arranger, chanter et produire un résultat pareil. On aime ou on n’aime pas mais il y a de la constance dans son travail et une maturité qui se forge au fil des années.
Très bonne continuation !
@ pitch: Ah, bobos! N’en jetez plus, le terme est lancé. Ouf, il était temps. Il fallait bien asséner un ou deux clichés, ne serait-ce que dans les commentaires.
Sinon, je trouve qu’on oublie quand même un peu facilement que Benabar n’a pas fait que de la daube. Objectivement, son album avec les associés puis son premier sont vraiment bien écrits.
Après, par on ne sait quelle faille, il devient maladroit dans l’écriture de ses chansons, qui tombent toutes à plat. Dommage. Suis persuadé que le mec a du talent. Comme Delerm d’ailleurs, dont on fustige un peu trop facilement l’œuvre, sans jamais l’avoir écouté au final.
@ Marchassyn > Il ne faut pas le dire trop fort ;-), mais si je ne me trompe pas on peut contourner la règle des invitations pour s’inscrire à Spotify en passant par ce lien : https://www.spotify.com/en/get-started/
C’est étonnant effectivement comme les comparaisons – avec Delerm notamment – viennent à la plume des détracteurs de AFD… Ça me paraît un peu court toutefois (peut-être est-ce la faute d’un titre comme Risotto aux courgettes, je ne sais pas…).
Ici, c’est différent, le cas AFD permet de critiquer Vincent Delerm une nouvelle fois. Pourquoi pas… Pourtant, je me dis que l’on peut apprécier Delerm tout autant que AFD. Même s’ils sont effectivement très différents. Superficiellement, oui, il y a une vague parenté, mais la différence se fait surtout – outre la noirceur de AFD parfois – au niveau de la musique (autrement riche chez AFD, et pourtant j’aime bien Peter Von Poehl qui arrangea les deux derniers Delerm). Et là où tous deux se rejoindraient ce serait peut-être surtout dans leur capacité à faire de la catégorie honnie “variété française” quelque chose d’appréciable (à nouveau). Concernant AFD, il n’y a même pas à y chercher une caution pop, anglo-saxonne, ça sonne parfois kitsch (mais sans second degré), souvent variété donc, sans que jamais on ait envie de le blâmer pour cela. C’est assumé. C’est bien.
Biolay, pour le coup, me paraît plus écartelé, avec son très inégal album en exercice de style. Loué un peu partout, celui-ci (qui contient pourtant de beaux titres) m’a déçu à force de dispersion… Et puis le fait que Brandt Rhapsodie soit en fait conçu comme un pastiche (il l’a dit en interview) lui a, je trouve, un peu enlevé cette émotion qui m’avait saisie à la première écoute (en somme, oui, je m’étais laissé avoir…).
Quant à AFD, il est vrai qu’une parenté avec Katerine affleure de quelques titres (mais c’était encore plus le cas sur son premier album enregistré sous le nom de Notre-Dame). En fait, s’il m’évoque certains artistes (Polnareff, Ferré, et aussi Mendelson pas assez souvent malheureusement), je le trouve assez inclassable. Tout simplement parce que je ne vois pas d’équivalent réel dans la production française actuelle. À noter aussi que le précédent disque de AFD, Portrait du jeune homme en artiste, me paraît finalement plus réussi que La Reproduction dont j’avais aussi parlé par ici : http://7and7is.over-blog.com/article-v-f-et-meta-chanson-arnaud-fleurent-didier-la-reproduction–41403546.html
Fan de musique éléctronique, je n’écoute pas de chansons françaises dont les auteurs ont moins de cinquante ans.
Mon problème avec cet article, c’est que je n’y comprends rien, je dois être diminué intellectuellement…
[…] Pottier parle de la mort de la nouvelle chanson française et du renouveau apporté par Biolay et Fleurent-Didier (auquel il oppose Delerm et […]
Un “article” où l’on met dans le même panier Delerm et Bénabar c’est un peu léger : Delerm se remet en question et cherche à se renouveler quitte à laisser les tomber les ficelles qui ont fait son succès, l’autre plafonne au niveau musique de supermarché. Je n’écoute ni l’un ni l’autre, mais y’a pas photo.
Je vois plus de points communs entre Arnaud Fleurent Didier et Diam’s (ma France à moi) qu’entre lui et Delerm. Alors si la nouvelle chanson française a survécu à Diam’s, elle devrait survivre à Fleurent Didier… Ne peut-on pas parler de Fleurent Didier et Biolay sans les mettres en oppositions à une nouvelle chanson française réduite au duo Delerm/Bénabar? Tout ceci me parait très réducteur.