Vers l’autre rive de Kiyoshi Kurosawa, avec Eri Fukatsu, Tadanobu Asano. Durée: 2h07 | Sortie le 30 septembre.
Elle est là. Elle est vivante. Elle travaille, se fait à manger, accomplit les gestes du quotidien. La tristesse est comme une brume, les gestes comme anesthésiés, les rythmes amortis. Et puis, il est là. Son mari mort. Mort mais là, dans l’appartement. Il parle, il rit, il raconte un peu, pas tout. C’est un fantôme? Oui, on appelle ça comme ça. En tout cas c’est une présence.
L’apparition, la présence, c’est bien sûr aussi une question centrale de cinéma. Au cinéma, il n’y a à proprement parler que des fantômes, des êtres impalpables, des projections immatérielles sur une surface vide. Qu’est-ce qui permet que chacun y reconnaisse une présence puissante, active, qui fait rire, pleurer, rêver, frémir, penser? Quoi d’autre que cette autre projection, de notre croyance, de notre désir, de notre besoin?
Mizuki croit que Yusuke est revenu. Forcément, puisqu’il est là. Il n’y a ici ni religion, ni superstition, ni magie. Et d’ailleurs les autres aussi le voient, puisqu’elle le voit. Sa croyance à elle lui donne existence à lui. Une existence de fantôme, mais une existence tout de même.
Depuis longtemps Kiyoshi Kurosawa réalise des films de fantômes, genre classique au Japon, et déjà dans le roman et au théâtre avant le cinéma. Comme en Occident, il est d’usage que les fantômes fassent peur. Dans ses films d’étudiants, et encore avec son premier long métrage professionnel, Cure (1997), ce réalisateur aussi a joué principalement sur les codes du fantastique de frayeur, quoique toujours avec originalité et inspiration. Mais dès Licence to Live (1998), et dans les dix films qui le séparent de celui-ci, les fantômes, toujours là d’une manière ou d’une autre, ont cessé d’être seulement effrayants –même s’ils ont pu l’être aussi.
Autant dire que Kurosawa est une sorte d’expert en «présence» et en «apparition». Voilà plus de quinze ans qu’il décline avec une élégance joueuse d’innombrables modalités de cohabitation entre des personnages acceptés par la fiction comme vivants, «réels», et d’autres, qui ne le seraient pas mais cohabitent de multiples manières avec les premiers.
Et à nouveau, dans Vers l’autre rive, outre le couple principal composé d’une vivante et d’un mort, certains sont morts et ne le savent pas, ou le savent mais pas ceux qui les entourent. Ces morts sont tristes, ou consolateurs, ou vengeurs, ou impuissants à intervenir, mais ils sont là.
Comme sont là en effet tout ce à quoi nous avons affaire dans notre vie, bien que ne relevant du matériel au sens élémentaire du mot –les souvenirs, les phobies, les «produits de notre imagination», les rêves érotiques, infantiles, morbides, etc.
Ils sont là, aussi, parce que le cinéma, c’est toujours nécessairement avoir maille à partir avec l’invisible. Montrer ces êtres qui ne sont pas du «monde sublunaire», tel que le fait ce cinéaste mieux qu’aucun autre avant lui, en les montrant comme fantômes dans la vie des vivants, dans la ville, la campagne, le travail, à table et au lit, c’est simplement user des ressources de son art pour mieux donner à partager ce qui agit les hommes et les femmes.
Et c’est exactement ce qu’entreprend Yusuke, le mari. Il emmène Mizuki en voyage, sur les traces d’un chemin qu’il aurait lui-même parcouru après avoir quitté sa femme, avant de trouver la mort. Voyage extraordinaire! (…)
«Quand j’ai commencé à faire l’acteur, j’étais plein d’enthousiasme et de naïveté, comme beaucoup de ceux qui débutent dans ce métier. On est tout excité, plein de rêves et d’espoirs. Et au bout de quelques années, j’étais devenu plutôt cynique, je n’aimais pas les films dans lesquels je tournais. Et puis j’ai rencontré John et Gena (…) Ils voulaient faire un film nommé Husbands. Ça a été pour moi comme une bouffée d’air frais, ça m’a ramené à la vie. Tout d’un coup j’avais une raison de me lever le matin, ça a vraiment changé ma vie ».
Tout autant qu’un avant (et pas réellement d’après) Columbo, il y a un avant et un après Cassavetes dans la vie de Peter Falk, comme il le raconte dans le livre de Doug Headline et Dominique Cazenave, John Cassavetes Portraits de famille (Editions Ramsay).
Columbo, Cassavetes… l’acteur américain mort le 23 juin, à 83 ans, des suites de la maladie d’Alzheimer dont il souffrait depuis plus de 10 ans aura eu une vie professionnelle entièrement dominée par ces deux pôles. Son génie est qu’il aura fait en sorte que, malgré tout ce qui oppose la participation au long cours à une des plus personnelles et radicales aventures du cinéma moderne et l’emploi de vedette d’une série télé familiale interminable, ces deux pôles, ces deux modes d’existence n’auront pas été antagonistes.
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