Chant d’hiver d’Otar Iosseliani, avec Rufus, Amiran Amiranashvili, Mathias Jung, Mathieu Amalric, Enrico Ghezzi, Sarah Brannens, Samantha Mialet. Durée : 1h57. Sortie le 25 novembre.
C’est ici, et là-bas. C’est jadis, et maintenant. C’est la Terreur et sa guillotine, la guerre et ses violences, la ville actuelle et sa brutalité. C’est une comédie.
Ne rendant compte qu’à sa fantaisie, autre nom, plus fier, d’une sensibilité à fleur de peau aux malheurs du monde, Otar Iosseliani convoque un petit théâtre de brigands et de lettrés, de séductrices et de clodos, de soudards, d’innocents et de tire-laine à roulettes. Et voilà qu’il s’agit d’une manière de reraconter à nouveaux frais la comédie humaine.
Ça bouge et ça discute, ça blague et ça zigzague, le coq et l’âne sont au rendez-vous mais aussi un immeuble-microcosme, les tricoteuses de la Veuve et des modernes aristocrates aux pieds nus.
Au pied de l’immeuble, ce sont ces exclus du monde contemporain que les chaussettes à clous expulsent manu militari, comme aux origines de ces horribles temps modernes, ceux que raconte Foucault dans Surveiller et punir. La grande exclusion se porte bien, et ça ne va pas s’arranger.
Tout le cinéma du réalisateur géorgien installé en France repose sur un double mouvement, la quête fragile de deux temporalités : celle de la scène et celle du film. Comme plus ou moins l’ensemble des autres œuvres de Iosseliani depuis qu’on l’a découvert avec La Chute des feuilles il y aura bientôt un demi-siècle, Chant d’hiver est composé d’un grand nombres de situations que relient des proximités poétiques, des rimes ironiques, des courts-circuits, des effets de contrepoint où burlesque et gravité, émotion et méditation tricotent leurs mailles. Au pied des guillotines, oui.
La réussite de chaque scène, petit bloc de sens à la coloration précise, dépend de l’énergie engendrée par la situation et par la mise en scène, et aussi beaucoup de l’interprétation. Celle-ci est, ici, d’un grand secours pour la vitalité et la densité de ces moments successifs – en particulier grâce à l’interprétation très fine de Rufus, dans un rôle de concierge érudit et trafiquant d’armes auquel il donne une épaisseur, une étrangeté parfois inquiétante mais aussi une tendresse qui font beaucoup pour la tenue de l’ensemble.
L’ensemble, lui, échappée belle en forme de succession de sauts dans l’inconnu, est constamment à deux doigts de se casser la figure, ou de se perdre en chemin. Cela fait partie du charme de l’entreprise. Et puis non. Il vacille mais ne tombe pas. Porté par une croyance têtue dans les puissances du cinéma, Chant d’hiver rebondit, change de ton et de direction, va de l’avant. Et au terme de ce gymkhana loufoque et inquiet, une sorte de profession de foi laïque et fraternelle en émane.