“Un jeune poète”: Tenter de vivre

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Un jeune poète de Damien Manivel, avec Rémi Taffanel, Enzo Vassallo, Léonore Fernandes. Durée : 1h11. Précédé de La Dame au chien, avec Rémi Taffanel, Elsa Wolliaston, 16 minutes. Sortie le 29 avril.

Etrange et heureuse surprise que la sortie, à quelques semaines d’intervalle, de trois films français qui, sans du tout se ressembler, manifestent la même foi dans les puissances poétiques du cinéma, avec humour et  ambition. Chacun à sa manière, La Sapienza d’Eugène Green, Le Dos rouge d’Antoine Barraud et Un jeune poète, premier long métrage de Damien Manivel, revendiquent avec fierté et humour le goût de l’exploration, une aventure qui ne redoute pas les rencontres avec les œuvres et même avec la pensée – une gageure en ces temps de bassesse démagogique.

Voici un adolescent, Rémi. Il arrive dans une ville, Sète. Il a un but : écrire des poèmes, des poèmes sublimes, bouleversants, qui feront frissonner le monde. Grand zigue à la peau pâle, aux paroles alambiquées et aux gestes empruntés, Rémi est un personnage comique. Comique mais pas ridicule, dans une situation qui prête à rire, mais sans ironie, et encore moins de cynisme, ces plaies de l’époque. Comme beaucoup des grands héros du cinéma burlesque, Rémi est maladroit et courageux, entreprenant et brouillon. Son obsession est sa force et sa faiblesse.

La silhouette d’une fille, désirée, perdue, l’éclat trop fort du soleil, des rencontres en porte-à-faux dans les rues et les bars, la tombe de Paul Valéry dans son cimetière marin, et même son fantôme, l’alcool à trop haute dose parsèmeront d’épreuves le vagabondage de l’aspirant poète. « Votre regard est tourné vers le dehors ; c’est cela surtout que maintenant vous ne devez plus faire. Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne. Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire » écrivait Rilke au Jeune Poète qui lui avait demandé conseil. Mais Rémi, lui, ne trouve ni dehors, au contact des autres, de la nature, de la littérature, ni non plus en lui-même les ressources d’où jailliraient les phrases espérées. Rémi n’est peut-être pas poète, quoiqu’il en ait. Ce serait terrible peut-être, l’effondrement d’un rêve qui est aussi une image de soi-même. Ou alors au contraire, s’en rendre compte le délivrerait. Une seule certitude : il faut aller au bout du chemin.

Damien Manivel l’accompagne sur ce chemin, et celui-ci semble naître sous leurs pas, comme les mots paraissent jaillir, impromptu, de la bouche des protagonistes. Le gag et la stase se rencontrent à l’horizon de ce désir un peu fou, et sûrement trop abstrait. Poète. L’erreur est dans la majuscule, peut-être aussi dans le timing. Rémi cherche l’inspiration comme une message codé, ou un trésor caché. En plans fixes, Manivel la trouve comme un état de l’atmosphère, une vibration de la lumière, la douceur ou l’inquiétude d’un regard.

Entre celui qui est filmé et celui qui filme se joue un singulier pas de deux, rieur et attentif, affectueux et léger, disponible à l’accident – bon ou mauvais – et au passage des heures et des humeurs. A force de simplicité directe, Un jeune poète se teinte de fantasmagorie, la chronique se fait formule enchantée, et assez enchanteresse.

Au même programme est présenté un court métrage, La Dame au chien, tourné quatre ans plus tôt par Damien Manivel avec le même Rémi Taffanel, alors âgé de 14 ans. Dans un pavillons de banlieue, le temps d’une étrange parenthèse ludique et un peu inquiétante, se croisent un garçon timide et une grosse dame noire. Il y a le rhum, aussi. Le chien est témoin. Bref et infiniment troublant huis clos, à mi-chemin déjà entre burlesque et fantastique avec les plus réalistes des moyens, ce film de 16 minutes est une véritable joie de cinéma. Le rapprochement entre leux deux films, ce simple et puisssant effet de montage du même corps de jeune homme à quelques années de distance, en est un autre.

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