“Snow Therapy” Narcisse aux sports d’hiver

photo10_10146Snow Therapy de Ruben Östlund, avec Johannes Bah Kuhne, Lisa Loven Kongsli, Clara Wettergren, Vincent Wettergren. Durée : 1h58. Sortie le 28 janvier.

Comme avec certaines personnes, il arrive qu’un film dès qu’on le rencontre vous soit antipathique. C’est le cas de Snow Therapy. Une famille de touristes suédois, le père et la mère, quadragénaires aisés, et leurs deux enfants, arrive dans une station de ski française pour une semaine de vacances. Et tout de suite, on voit bien que Ruben Östlund n’aime ni le père, ni la mère, ni les enfants, ni la montagne, ni le village. Il a une manière de filmer les principaux composants de son film qui d’emblée l’instaure, lui, le réalisateur, dans un position supérieure, un peu méprisante et tout à fait manipulatrice.

Au début, pourtant, Tomas et Ebba (les parents), Vera et Harry (les enfants) ne font rien que de très ordinaire, mais chaque plan est conçu pour distiller une tension artificielle, aux dépens des protagonistes, comme s’il était pas hypothèse ridicule de se brosser les dents le soir ou d’avoir du mal à mettre ses chaussures de ski. Quant au village de montagne et plus tard les cimes enneigées, il sont visiblement trafiqués (en fait il s’agit des Arcs revus au Computer Graphics). Il y a un sentiment général de fausseté, entre joliesse publicitaire et artifice hostile, qui vient entièrement du regard du réalisateur.

C’est alors que se produit l’événement qui sert de déclencheur à l’intrigue : attablés à une terrasse d’un restaurant d’altitude, les membres de la famille voient débouler vers eux une impressionnante avalanche qui, pour avoir été provoquée intentionnellement par les responsables de la station, n’en menace pas moins de les ensevelir. La scène est assurément spectaculaire, avant que le père ne prenne soudain la fuite, abandonnant femme et enfants pétrifiés de peur. Finalement l’avalanche s’arrête juste à temps. Le film sera consacré aux effets sur les quatre personnages principaux du geste de panique du père.

Comme avec certaines personnes, il arrive qu’un film antipathique soit, aussi, intéressant. Et c’est à nouveau le cas de Snow Therapy. Il est intéressant parce qu’il raconte autre chose que ce qu’il veut raconter. Son sujet clairement affirmé, c’est le comportement des humains dans les situations de danger, la mise à jour sous le masque des conventions de comportements primitifs de survie dans des circonstances exceptionnelles. Le film fait d’ailleurs état de statistiques concernant des catastrophes où ce sont les mâles en bonne santé qui s’en sont le mieux sortis, ayant au passage piétinés femmes et enfants pour échapper à l’incendie ou au naufrage. Considérations exactes mais caractéristiques du caractère programmé et systématique d’un regard hostile, qui n’ouvre à rien, et traite ses protagonistes en animaux de laboratoire. Et ce malgré deux séquences finales roublardes, en forme de retour à l’ordre puis d’affirmation à nouveau parfaitement artificielle d’une possible reconstitution de la communauté des humains.

Fort heureusement, comme malgré lui ou en tout cas de manière indirecte, Snow Therapy met en jeu d’autres ressorts, bien plus complexes : ceux du narcissisme, à condition de ne pas considérer le narcissisme comme un défaut ou un vice, mais simplement comme un processus psychique omniprésent et décisif dans le comportement de chacun, dans les circonstances quotidiennes comme lors de moments exceptionnels. Le narcissisme, qui connait des développements inédits avec les réseaux sociaux et des pratiques comme le selfie, ayant aussi sacrément à voir avec l’appareillage cinématographique lui-même – et pour le coup incluant donc le réalisateur dans une démonstration dont il avait pris soin d’apparaître comme le maître et non le protagoniste.

Sous cet angle, l’incident de l’avalanche devient le révélateur d’un ensemble beaucoup plus riche et nuancé d’attentes de chacun envers tous les autres et envers lui-même, et des effets perturbateurs, potentiellement très douloureux ou paralysants, lorsque ces attentes ne sont pas remplies – ou que les autres croient qu’elles ne le sont pas.

Un peu contre le film et sa logique psychologique et misanthrope centrée sur la « lâcheté » du père, il devient alors possible d’accompagner l’ensemble des scènes qui composent l’essentiel de Snow Therapy, de l’avalanche au paroxysme des crises qu’elle déclenche, non comme un jugement surplombant et moralisateur, mais comme le sismographe des exigences chez tous (le père, la mère, les enfants, le couple d’amis, le réalisateur, chacun de nous comme spectateur) de la construction et de l’entretien d’images de soi, pour soi et pour les autres.

3 commentaires pour ““Snow Therapy” Narcisse aux sports d’hiver”

  1. Comme tout le monde appelons ça “le nord, le sud ” mais j’avoue que la Grèce (Zorba) mobilise mon attention donc votre texte m’est utile bien que je n’aiile pas -en salle voir le film . Que devient J . Panahi?

  2. La réponse dans une semaine à propos de J. Panahi…:)

  3. Le film est bien moins misanthrope qu’il en a l”air! Il règne au final une sorte de rattrapage que je ne pensais pas possible au début! La vraie question ici est, et ça se comprend pour un film d’Europe du Nord, “Auriez-vous collaboré ou résisté?” Derrière ses allures de film choc à la Von Trier, le film se redirige très rapidement vers une tendresse que je n’attendais pas, et permet de poser les bonnes questions, sans, bizarrement, juger qui que ce soit! Bref, il m’a semblé plus subtil au final que ce que j’attendais!

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