Sinama et Le Tallec : une histoire française

Sinama heureux, et majeur, une photo rare.

Deux informations sont passées relativement inaperçues en cette fin de mercato: le retour d’Anthony Le Tallec en Ligue 1, et le départ annoncé de Florent Sinama-Pongolle dans un club russe de seconde zone. L’histoire d’un double échec symbolique de la décrépitude du foot français.

C’était le 30 septembre 2001. La France étrillait le Nigéria 3 à 0 dans le champêtre stade de Port of Spain à Trinitad et Tobago (oui, le pays d’Ato Boldon). Les bleuets de 17 ans remportaient le premier titre junior du foot français depuis belle lurette. Florent Sinama-Pongolle, avant-centre, marquait ce soir là son neuvième but en 6 matchs, pour s’arroger le titre de meilleur joueur du tournoi, devant les dénommés Carlos Tevez, Diego et Fernando Torres… A la baguette de la meilleure attaque du tournoi, son “neuf et demi” Anthony Le Tallec.

Le début d’une belle histoire qui fait le tour de la presse française: les deux gamins, coéquipiers au Havre, sont cousins par alliance. Ils se sont rencontrés lors d’un tournoi de minots à La Réunion, où Sinama-Pongolle est né. A 10 ans, le petit Florent quitte son île pour la Normandie. Il vit chez les Le Tallec et joue avec son couz Anthony. Tous les deux intégrent le centre de formation du Havre, font la paire en club et en sélection, sont observés par les plus grandes formations européennes. Le titre mondial de 2001 constitue l’apogée de cette France ivre de black-blanc-bleurisme, dans la foulée de 1998 et 2000. Le duo interracial de cousins talentueux doit régner sur l’Europe et asseoir la domination naissante des Bleus sur le continent, avec sa formation “à la française”, censée être l’innovation procurant un avantage compétitif décisif à la sélection.

Mais la chute est brutale. Sept mois plus tard, en un funeste 21 avril, le borgne qui aimait la gégène renvoya sur l’ile de Ré l’austère à frisettes qui ne se marrait plus. Stupéfaction générale: et si, finalement, en plein milieu des années Zidane, les Français n’aimaient pas vraiment les noirs et les arabes ? Coup de grâce suivant: les Bleus rentrent bredouilles du Mondial coréo-japonais: trop d’égos, trop de sponsors, trop d’arrogance. Résultat: un nul, deux défaites, zéro but marqué, et le Sénégal en fête. La fin de l’état de grace de cette équipe, et le début d’une longue descente aux enfers (hormis la remontée de sève de 2006), aussi bien sur le plan du foot que de l’état économique, politique et culturel du pays.

Blinded by the light

Comme un symbole (copyright Canal+), c’est aussi le début de la fin pour la hype Le Tallec-Sinama-Pongolle, l’alliance de la métrople et de l’Outre-mer. Suite au succès de la campagne de Trinidad et Tobago (quand on voit le pays hôte, on aurait du savoir que ça sentait l’entourloupe), les deux “french wonderkids” choisissent le Liverpool de Gérard Houllier, plutôt qu’Arsenal et Man U, pour s’épanouir. Laissés deux ans au Havre, ils font leurs gammes, pas encore majeurs, en Ligue 2. Ils aident le club doyen à retrouver la Ligue 1 dès leur première saison pro, mais ne peuvent le maintenir la saison suivante, où ils ne brillent guère. On ne peut trop en demander à des gosses de 18 ans, qui traversent donc la Manche à l’été 2003. Sous le maillot des Reds, Ils ne joueront en l’espace de quatre ans que quelques poignées de matchs, sans marquer les esprits ni les feuilles de stats. C’est devant la télé qu’ils suivent le miracle d’Istambul, qui fait entrer Djimi Traoré dans l’histoire du foot. Dur pour l’ego.

Suivent une succession de galères, de prêts, de transferts douteux. On crut un moment en une rédemption, une révélation, au creux des années 2006-2010. Après deux saisons bien remplies en Liga à Huelva, Sinama-Pongolle s’installe dans la rotation offensive de l’Atletico Madrid, avec Forlan et Aguero. Il connaît même une sélection, contre la Tunisie, en octobre 2008. Pour Le Tallec, c’est du côté du Mans qu’on voit du mieux. Bien positioné en second attaquant, il s’impose comme titulaire, marque, donne des passes décisives, devient un bon joueur de Ligue 1. Malheureusement, les choix de carrière peu payants s’enchaînent ensuite. Le Tallec rejoint un Auxerre qualifié pour la Ligue des champions, club qu’il vient de le quitter en Ligue 2 pour Valenciennes, où il sera en concurrence avec Pujol et Aboubakar. Sinama-Pongolle, lui, vogue du banc de l’Atletico aux tribunes du Sporting Portugal, rate ses relances à Saragosse et à Saint-Etienne, où il n’est pas conservé. Il vient d’être annoncé future nouvelle recrue de Rostov, une taule de deuxième zone russe, actuelle 13e sur 16 de la première division, où l’on trouve un international nord-coréen et l’ancien gardien croate Pletikosa comme seules références.

Liverpool à 17 ans, Rostov à 28

La sélection de Florent Sinama-Pongolle contre la Tunisie en 2008 fut également la seule et unique de toute la promotion 1984, composée de joueurs ayant désormais dépassé les 28 ans et dont on déplore à longueurs de soirées alcoolisées les échecs répétés et les rêves envolés. Ils furent une sorte de rêve psychédélique (comment expliquer sinon, que ce tournoi 2001 eut lieu à Trinité ? Ah, les luttes d’influence de Jack Warner et la corruption généralisée à la FIFA, bon d’accord).

Des plus prometteurs, rien ne reste. Jacques Faty pantoufle en Turquie, Emerse Faé a mis un terme à sa carrière pour causes de phlébites à répétition, le gardien Florent Chaigneau est numéro 2 à Lorient après une longue replongée dans le foot amateur, son remplaçant Mickaël Fabre habite un pavillon de la banlieue clermontoise, Jérémy Berthod est chômeur, Hassan Yebda ne dégoupille pas grand chose à Grenade, et Mourad Meghni s’est résigné à finir sa carrière dans le Golfe pendant dix ans. Quant aux Samuel Piètre, Kevin Jacmot, Laurent Mohellebi et consorts, on vous laisse fouiller les entrailles de Google pour retrouver des traces récentes. Leurs histoires seraient d’une banalité ordinaire pour des jeunes footballeurs s’ils n’avaient connu à 17 ans leur quart d’heure warholien aux Caraïbes.

L’échec de Sinama-Pongolle et de Le Tallec, c’est celui du foot français des dix dernières années, d’une Ligue 1 qui ne vaut pas mieux que le championnat russe, d’un déclin progressif, de la grandeur évanouie. Ils sont le symbole d’une France qui, au-delà du foot, pensait pouvoir se reposer sur son talent, et qui, quand elle a vu que cela ne suffisait pas, ne sait pas trop comment se réinventer.Nous sommes tous en passe de signer au Fc Rostov.

Ludovic Job

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Photo: REUTERS/Marcos Borga

7 commentaires pour “Sinama et Le Tallec : une histoire française”

  1. Bravo, bel article qui parle également de beaucoup de choses non évoquées (oui je sais c’est paradoxale mais je me comprends) dans le football français depuis la formation au passage pro. Les titres chez les moins de 17 (monde pour les 84 et europe pour les 87) restent des tournois “amateurs”, gagnés par des amateurs que ce soit au foot ou au tennis ou ailleurs. Leur confier les clés de l’avenir du foot à cet âge est un risque, certes, mais peut-être moindre que celui de leur rappeler toujours de ce qu’ils ont été gamins quand il n’ont que 22 ou 25 ans… et qu’ils le sont encore un peu.

  2. Bonjour,
    juste pour préciser qu’en d1 avec le HAC, les deux minots étaient fort rarement alignés ensemble par JF Domergue, entraîneur d’alors. C’est leur complémentarité qui les rendait phénoménaux (le bouffeur d’espaces et le déviateur, le passeur et le buteur), et on a malheureusement arrêté de les associer après 2001… c’est aussi ça, le malaise français en football : l’indigence tactique.

  3. Oui… enfin l’échec de ces trois-là, c’est surtout l’échec de joueurs qui partent beaucoup trop jeunes, en faisant le grand saut d’un petit club formateur à un grand club étranger, sans case intermédiaire. Est-ce que, par exemple, Zidane aurait été le même joueur sans la case Bordeaux ou Ibra sans la case Ajax ?

  4. Description du trajet des deux joueurs et AUCUNE ligne d’analyse du POURQUOI de l’échec et du côté “symbolique de la décrépitude du foot français”

    Article nul.

  5. On peut m expliquer pourquoi vous avez mis la photo de Djibril Cissé se brisant la jambe pour illustrer “plat du pied” c est un manque de respect manifeste.Pour en revenir à Letallec et Sinama Pongolle, il faut relativiser , chaque pays a son lot d etoiles filantes à un moment donné. Je me demande si ce n est pas vous meme les fossoyeurs du football Français dans vos propos, on va pas gagner tout le temps.

  6. Une petite dédicace au benjamin de la fratrie Le Tallec, Damien, qui après avoir gagné une Coupe Gambardella avec Rennes +/- au même âge décida dès l’année suivante d’aller ruiner sa carrière à Dortmund. Après des passages ratés à Nantes et Saint Pauli, il est sous contrat avec l’avant-dernier du championnat d’Ukraine.

  7. Et dans dix ans à peu près, un article du même ordre sur Gaël Kakuta…

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