Plongée dans les bas-fonds du foot de l’Est

Lors de la finale de la Coupe de Grèce 2011, qui se termina par un envahissement de terrain

Casser l’image d’un sport de millionnaires chouchoutés, capables de recourir au caprice et au chantage pour dégoter un contrat plus juteux. C’était l’ambition du syndicat mondial des footballeurs professionnels, qui a mené une vaste enquête statistique dans les championnats d’Europe de l’Est. Retards dans les versements de salaires, harcèlement moral et physique, violences… le constat est accablant.

On a tous le souvenir d’avoir lu un article sur un obscur footballeur d’Europe de l’Est, victime des manières peu recommandables d’un club à moitié mafieux, voire de l’excitation de ses propres supporters. On n’avait jamais lu d’étude circonstanciée et chiffrée sur ce phénomène qu’on imaginait, mais dont on maîtrisait mal la portée. C’est désormais chose faite. La Fifpro, le syndicat mondial des footballeurs professionnels, vient de sortir un “livre noir sur le foot en Europe de l’Est”. Une région en plein essor footballistique, où les stars en fin de carrière (Samuel Eto’o) côtoient les espoirs en quête de cacheton, mais aussi une vaste armée de réserve. Sud-Américains, Africains, locaux… ce prolétariat anonyme constitue une cible facile pour les directions de clubs, supporters, ou intermédiaires véreux.

Un questionnaire confidentiel a été envoyé aux joueurs de 12 championnats (Bulgarie, Croatie, République tchèque, Grèce, Hongrie, Kazakhstan, Monténégro, Pologne, Russie, Serbie, Slovénie, Ukraine). 3357 ont répondu, parfois sous couvert anonymat. Les chiffres sont frappants, les exemples choisis pour appuyer le propos encore plus. Sélection.

Des clubs mauvais payeurs

41,4% des joueurs qui ont répondu affirment ne pas recevoir leurs salaires en temps et en heure. Principale raison avancée par les clubs: leurs difficultés financières. Le problème est encore plus criant en ce qui concerne les primes, puisque plus de la moitié des sondés ne les touchent pas au moment prévu. Les champions en matière de retard de paiement sont les clubs monténégrins. Tout juste 6% des footballeurs pros du pays sont payés à l’heure. Parfois, c’est pire, puisqu’on s’assoit carrément sur le droit du travail. Le FC Buducnost a ainsi trouvé la combine en changeant en loucedé les termes du contrat de deux de ses joueurs, Zoran Banovic et Ilija Radovic, pour pouvoir les virer à un an du terme de leur bail.

Autre pays d’ex-Yougoslavie, autres mœurs. En Serbie, Dejan Milovanovic, joueur du FC Red Star de Belgrade, est transféré à Lens en 2008 avant d’être prêté deux ans plus tard par le ce bon vieux Gervais à son club d’origine. Les Nordistes s’engagent à payer la moitié de son salaire durant la durée du prêt. “Quand le président de Lens m’a appelé, raconte le joueur, il m’a dit que mon salaire avait été versé il y a 3 mois sur le compte du Red Star mais je n’en avais pas été informé. J’ai demandé à parler au président de mon club. J’ai immédiatement été suspendu. Le club faisait dire dans la presse que j’apportais une mauvaise ambiance dans l’équipe…” Pourtant le père Dejan n’avait pas l’air manchot sous le maillot de l’Etoile Rouge. On citera aussi le cas d’Adis Satmabolija, du FC Karlovac, en Croatie, qui n’a reçu ni salaire, ni remboursement de ses frais de logement durant 9 mois et s’est retrouvé à dormir dans un vestiaire pendant 15 jours…

Comme le souligne le rapport, la précarité financière des joueurs est souvent le point de départ vers d’autres problèmes: elle accroît en effet le risque d’être contacté pour truquer des rencontres ou de subir pressions et menaces.

Petits arrangements

En Grèce, un joueur sur trois a été approché pour truquer le résultat d’un match ! Le questionnaire ne dit pas combien ont accepté, mais la proportion ne risque pas d’améliorer la réputation des Hellènes dans le pays d’Angela Merkel. En moyenne, dans les 12 pays étudiés, la proportion de joueurs contactés pour lever le pied lors d’un match est de 11,9%. Exemple en Croatie, avec Mario Cizmek, joueur du FC Croatia Sesvete à l’époque des faits. Seul problème, le milieu de terrain ne touche pas son salaire. “Ma vie de tous les jours devenait une lutte pour survivre, explique-t-il. Cette situation désespérée nous rendait tous vulnérables et cela nous a poussé vers les matchs truqués. L’un des organisateurs du système était un membre bien connu de la fédération de football local. Il traînait toujours autour des terrains ou dans le bar des joueurs. Il était toujours avec nous. On avait confiance en lui, il lui arrivait de prêter de l’argent à certains. Il nous répétait que nous allions bientôt être transféré dans un bon club. C’était devenu une sorte de sauveur, il avait une grande influence sur nous. Les matchs truqués commencèrent contre le FC Zadar. Cela devait être juste un match… Je n’arrivais pas à croire que j’allais, un jour, rentrer sur le terrain avec l’intention de perdre. C’était le pire moment de ma carrière mais je ne pouvais plus me défiler. Dans le vestiaire, nous étions tous très tendus. Sur le terrain j’avais l’impression que tout le monde épiait mes moindres mouvements. La pression était énorme. Après les choses m’ont échappé. Nous avons truqué toute une série de matchs. Les uns après les autres. Contre le  FC Slaven Belupo, FC Varteks, FC Zagreb and FC Cibalija….”

Racisme

9,6% des sondés confient avoir été témoins d’actes ou de paroles racistes dans leur boulot. En République tchèque, c’est carrément plus du tiers des joueurs ayant répondu qui jugent avoir été victimes d’actes racistes, venant le plus souvent des tribunes. Autre exemple en Bulgarie, en septembre 2011. L’Angleterre démonte logiquement les Лъвовете (“les Lions”) 3-0 à Sofia. Mais à chaque fois qu’Ashley Young et Théo Walcott touchent la balle, des cris de singe et des saluts nazis descendent des tribunes. “On les entendait très bien, explique l’attaquant d’Arsenal, qui nous offre un bel instant de langue de bois footballistique après la rencontre. Je les ai ignorés. Je ne veux pas trop commenter, le résultat est le plus important.” L’incident n’a pas fait bouger grand monde… La FIFPro est plus vindicative à l’encontre de la Russie. Elle “demande” au foot russe d’initier une campagne contre le racisme suite aux incidents subis par Roberto Carlos. Le latéral brésilien, récemment retraité, a reçu, pour la deuxième fois, une banane pendant un match. Il est sorti du terrain. “Je suis indigné et dégoûté du comportement de ces spectateurs qui ne m’ont pas insulté seulement moi, mais tous les joueurs sur le terrain et tout le football russe. De telles choses ne devraient pas être tolérées dans des pays civilisés.”

Du harcèlement moral…

Quand le footballeur a la mauvaise idée de se plaindre du traitement qui lui est réservé, sa hiérarchie peut sévir. 10% des sondés avouent ainsi avoir été harcelés, la plupart du temps par le management. 15% ont dû s’entraîner seuls. La proportion monte à 25% en Grèce et à 31,8% au Kazakhstan. Premier exemple avec Igor Strelkov, de retour de prêt dans son club russe du FC Krylia Sovetov en 2011, qui n’a pas pu participer aux stages de pré-saison. Obligé d’enquiller seul les tours de stade par moins 20°C, le joueur prend cher. Le directeur sportif du club lui explique que son contrat doit être annulé puisque le club n’a pas besoin de lui.

On reste au pays de Poutine. Le FC Kamaz a lui cherché à obtenir la résiliation d’un contrat par des menaces physiques. Le joueur, Kukanos, a subi un traitement à faire passer Peguy Luyindula pour un privilégié. Entraînement avec les jeunes, pressions pour qu’il démissionne et bien sûr dénigrement du joueur auprès des collègues. La direction va même jusqu’à falsifier des documents pour lui devoir moins d’argent en cas de rupture de contrat. Mais Kukanos, malin, porte un micro pendant les entretiens. Il obtient la rupture mutuelle de contrat mais après de longs mois de galère. “Les dirigeants faisaient tout pour m’éviter, explique-t-il. Ils espéraient encore me soutirer de l’argent. J’ai tenu jusqu’au bout, je n’avais quasiment plus de ressources pour vivre!”

… aux pressions physiques

Parfois, la situation dégénère carrément. 11,7% des sondés ont été victimes de violences physiques, qui, dans 55% des cas, sont le fait des supporters du club. Rodoljub Marjanovic, lui, a eu à faire au directeur financier de son club du FK Hadjuk Kula, en Serbie, quand il a demandé la résiliation de son contrat après de multiples retards de salaire. “Il m’a appelé et m’a dit que je serai tué si je ne retirais pas ma plainte. Je me sentais très mal parce que je savais que cet homme, Nikola Dzomba, est prêt à tout. Il est connu en Serbie comme un vétéran de la guerre en Croatie. Il était un des colonels de l’armée d’Arkan, tristement célèbre pour avoir tué des civils innocents.” A moins que Rodoljub ait eu un tigre à offrir, on lui déconseille en effet de se plaindre…

Nikola Nikezic, ancien havrais, a lui découvert les joies du dialogue social à la russe. Quand son club du FC Kuban lui demande de mettre un terme à son contrat 10 mois avant son expiration, il refuse. Il est alors convoqué dans le bureau de l’entraîneur, où on lui demande de signer un bout de papier qui mettrait définitivement fin à son contrat. Sinon, il pourrait bien retourner au Monténégro, son pays natal, avec quelques menus problèmes de santé. Nouveau refus de Nikezic. “Après quelques minutes, deux hommes baraqués sont entrés dans la pièce. Ils m’ont demandé de manière agressive de signer le papier, explique-t-il. Je leur ai dit que les négociations devaient être menées en présence de mes représentants.” Pour toute réponse, il reçoit un coup de poing dans le foie. “Le deuxième homme a retiré sa veste, j’ai vu deux pistolets dans leurs étuis. J’ai reçu un nouveau coup de poing, puis ils ont commencé à m’étrangler. Ça a duré 20 minutes, jusqu’à ce que je n’ai plus d’énergie et que je commence à craindre pour ma vie. J’ai signé le document, auquel je n’ai d’ailleurs rien compris puisque c’était écrit en russe. En sortant, un des gars m’a dit: ‘Il y a beaucoup de Russes au Monténégro, et ils pourront toujours te trouver toi ou quelqu’un de ta famille. Donc ne fais rien de stupide.’” Quelqu’un a des nouvelles de Niko ?

En Russie, Spartak Gogniev, attaquant du FC Krasnodar, a vécu une aventure bizarre contre le club tchétchène du Terek Grozny. Après avoir été expulsé, il est passé à tabac en sortant du terrain, puis dans les couloirs du stade. Selon le syndicat local, il a été “interpellé par un groupe d’hommes en uniforme de police. Ils l’ont attrapé, traîné sur le côté et battu avec des bâtons.” L’’attaque a lieu devant deux vice-présidents du Terek Grozny, l’un d’eux étant ministre des sports de Tchétchénie… L’attaquant, victime collatérale d’un conflit politique, s’en sort avec des côtes et un nez cassé, ainsi que divers bleus et contusions.

Olivier Monod et Sidney Maréval

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