Socrates en 1986, avant la victoire du Brésil contre le Mexique (1-0) en Coupe du monde
C’est la mort d’une certaine idée du Brésil. Socrates, le joueur majeur et capitaine de la Seleçao romantique des années 80 est mort. Portrait d’un esthète, d’un pays et d’un football d’une autre époque.
En France, il était pour les plus jeunes connu comme le “grand frère de Raï”, le meilleur joueur de l’histoire du PSG. Mais Socrates fut surtout une illumination au cœur des années 80. Sur le terrain comme capitaine d’une équipe du Brésil au goût “jogo bonito” et perdante magnifique. Mais aussi hors du terrain, militant de la démocratie dans un pays dont on oublie qu’il était encore à l’époque une dictature militaire.
Socrates n’a pas résisté à l’infection intestinale qui l’avait forcé à une hospitalisation d’urgence vendredi à l’hôpital Albert Einstein de Saõ Paulo. Sa ville. Saõ Paulo la travailleuse, Saõ Paulo la cérébrale, que l’imagerie oppose, à tort ou à raison, à Rio, la ville de la samba, de la plage, de l’insouciance et des footballeurs branleurs, du type Adriano. Pourtant, c’est la picole qui l’emporta, après des années de compagnonnage. Socrates buvait, même lorsqu’il était en activité. Peut-être pour ignorer une époque qui lui échappait, un romantisme disparu, le pouvoir de l’argent dans le foot, des armes en politique. Socrates ne buvait pas comme un Ronaldinho. Il buvait comme un Baudelaire.
Du temps de sa splendeur, Socrates menait le Brésil de Zico, Branco ou Careca. La Seleçao la plus talentueuse de l’histoire après celle de Pelé et Garrincha. Mais à la différence de leurs aînés, et de leurs successeurs (Cafu, Romario, Bebeto), ce Brésil là, hyper offensif sous la houlette de Telê Santana, sera celui des losers magnifiques en Coupe du monde. Comme en 1982, sorti par l’Italie. Comme en 1986, année d’un match de légende face à la France du carré magique.
Au final, 60 sélections, 22 buts, le port altier, la barbe taillée, la vision du jeu, et la vision du footballeur comme acteur de la société et non comme tiroir-caisse. Le look de Bjorn Borg et la théologie de la libération. Socrates, c’était surtout une autre idée du footballeur. Médecin diplômé, surnommé “le docteur”, il portait le nom d’un philosophe. Entre deux passages à Botafogo, des aventures à Flamengo et à la Fiorentina, Socrates reste associé aux Corinthians de Sao Paulo, le club qui devint l’icône des militants de la démocratie et des syndicalistes, celui de Lula, alors bête noire de la junte.
A l’époque, les joueurs créent la “démocratie corinthiane”: ils prennent les commandes de leur club et choisissent leurs dirigeants. L’armée organisait alors le football, opium du peuple auriverde. Comme le décrivait Les Cahiers du foot en 2004, “le régime manipulait les compétitions à coups de constructions de stades et d’accessions artificielles à la première division, s’assurant ainsi un semblant de popularité ou de paix sociale. Dans ce système, les joueurs n’étaient plus que des pions ne bénéficiant d’aucun droit, appartenant à vie à leur club et subissant des conditions de vie extrêmement précaires, à l’exception de quelques privilégiés. Au sein des équipes, ils étaient infantilisés par des dirigeants corrompus ou carriéristes passant du registre du paternalisme à celui de l’autoritarisme.”
Ce que Socrates et ses disciples firent, c’est prendre leur destin en main. Ils abolirent les mises au vert, et toutes les décisions d’organisation sportives furent débattues par l’équipe: tactique, recrutement, séances d’entrainement et préparation des matchs. Une sorte de fédération anarchiste qui aurait réussi. Sur le terrain, l’équipe gagne trois championnats de l’Etat de Sao Paulo, avec un style de jeu basé sur l’attaque. “Nous exercions notre métier avec plus de liberté, de joie et de responsabilité. Nous étions une grande famille, avec les épouses et les enfants des joueurs. Chaque match se disputait dans un climat de fête (…) Sur le terrain, on luttait pour la liberté, pour changer le pays. Le climat qui s’est créé nous a donné plus de confiance pour exprimer notre art“, expliquait le meneur de jeu.
Hors du terrain, les Corinthains parlent organisation sociale, partage des responsabilités et des richesses, entretiennent un mode de vie festif. Les joueurs devinrent intéressés financièrement aux recettes de billetterie et aux droits télé. Ils récupéraient et partageaient les bénéfices avec les employés du club, renonçaient à leurs primes.
Le soutien populaire aux initiatives des Corinthians fut immense, alors que le régime militaire vacille. “En novembre 1982, racontent les Cahiers du foot, peu de temps avant l’élection du gouverneur de Sao Paulo à laquelle a été contraint un gouvernement en perte d’autorité, les joueurs entrent sur le terrain avec une inscription sur leurs maillots incitant les électeurs à aller voter [photo ci-dessus]. Les autorités restent impuissantes devant cette provocation, tout comme ils ne peuvent s’opposer à la victoire des “insurgés”, fédérés sous la bannière “Democracia Corinthiana” lors de l’élection par les socios du président du club.” Le football plus fort que la politique.
Mais au final, l’aventure ne put durer. Et c’est avec l’avènement de la démocratie au Brésil en 1984, que le modèle Corinthians disparait. Son anachronisme n’est plus, Socrates part un an en Italie. Sa seule expérience à l’étranger, à l’exception d’un match pour le fun avec les amateurs anglais de Garforth town. C’était il y a sept ans, Socrates avait alors cinquante piges, et nul doute qu’il a dû boire quelques pintes dans le Yorkshire pour fêter le football à ses racines: la fête du week-end au centre du village, de la communauté. Par la suite, Socrates devint une sorte d’itinérant d’un Brésil contradictoire qui n’est plus: festif et fermé, loin du géant en développement qui veut peser dans le jardin diplomatique. Il maugréait contre la Seleçao réaliste, celle de Parreira et de Dunga. L’équipe d’un Brésil qui gagne.
François Mazet
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Crédits photos: David Cannon/Allsport – Reuters – www.loucosporti.com.br
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Ça me fait tout drôle de lire ou d’entendre le Docteur présenté comme “le grand frère de Raï”. En plus les enfants dans la rue m’appellent “Monsieur” désormais. Si comme moi tu avais 8 ans pendant Brésil-Italie en Espagne, bienvenu au club des vieux.
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Voila qui est un bel hommage pour un homme adepte du vrai football loin du bling bling et du business actuel…
Un grand homme et un exemple à suivre dans sa mentalité.
triste de cette nouvelle, j’ai toujours admiré cette homme en lutte humaine et politique très loin du footballeur des temps moderne.
SÃo Paulo…