“Est-ce que j’aurais arrêté le tir de McFadden? Je crois que oui…”
Chez les Kadhafi, le foot était loin d’être une évidence. Mouammar, le papa, l’avait en sainte horreur. Les spectateurs dans les stades? Des masses abruties, selon le Guide, qui semble encore aujourd’hui prendre les Libyens pour des idiots… Mais son troisième fils, Saadi, rêvait de jouer en Europe, malgré un talent plus qu’aléatoire. Voeu exaucé, avant un contrôle positif à la nandrolone.
1. Mouammar, le foot au service de l’idéologie
Toujours précurseur. Quelques mois avant la polémique suscitée par la désignation du Qatar comme pays hôte du Mondial 2022, Mouammar Kadhafi s’énerve et qualifie la Fifa de “mafia mondiale” et “d’organisation corrompue”. Le leader libyen est déçu que l’Afrique du Sud ait été préférée à son pays, lui aussi candidat à l’organisation de la compétition en 2010. Le Guide accuse la Fédération internationale de “trafic d’êtres humains et de faire renaître l’esclavage”, en “achetant des joueurs de pays pauvres pour les mettre dans des camps (centres de formation) dans les pays riches pour les vendre par la suite”. Il faut dire que le gaillard est un contempteur de longue date du foot pro. Dans son Livre Vert, l’ouvrage publié en 1975 dans lequel il dispense sa vision de la Libye, de la vie et du monde, le Guide consacre une (longue) partie au sport. Extraits.
“Il est tout aussi insensé que des foules se précipitent dans les stades ou des arènes pour assister à des sports individuels ou d’équipe sans y participer. (…) Il est tout aussi illogique, pour la société, de laisser un individu ou une équipe monopoliser la pratique du sport, alors que c’est l’ensemble de la collectivité qui finance ce monopole. (…) Le sport public est un besoin collectif, et le peuple ne saurait s’y faire représenter par d’autres, ni physiquement ni démocratiquement. (…) Dans le monde actuel, les clubs sportifs sont des organisations de base du sport traditionnel. Ils accaparent tous les crédits et toutes les installations affectés au sport par l’Etat. Ces institutions ne sont que les instruments d’un monopole social, semblables aux appareils politiques dictatoriaux qui accaparent l’autorité, aux appareils économiques qui accaparent la richesse et aux appareils militaires qui accaparent les armes. (…) Mais ces masses, dépouillées de leur volonté et de leur dignité, sont réduites au rôle de spectateurs, regardant quelqu’un d’autre accomplir ce qu’ils devraient faire eux-mêmes naturellement. (…) Elles sont manipulées par des organisations monopolistiques qui s’attachent à les abrutir en leur permettant, non pas de pratiquer le sport, mais seulement de rire et d’applaudir. En tant qu’activité sociale, le sport doit être au bénéfice des masses, comme le pouvoir, la richesse et les armes doivent être dans les mains du peuple.”
Guère passionné par les soirées Ligue 1 à la télé, Kadhafi le révolutionnaire socialiste est partisan d’un sport de masse. Les compétitions professionnelles sont longtemps interdites en Libye. C’est son troisième fils, Saadi, qui le convertit -certes modérément- au ballon rond. Le rejeton le reconnaissait d’ailleurs dans une interview au New York Times en 2005: “Mon père regarde toujours les choses d’un point de vue politique.” Autrement dit, le foot est un instrument de propagande nationaliste comme un autre. Une vision un peu trop old school pour Saadi.
2. Saadi, le foot au service de ses caprices
Lui est un passionné, qui fut même à deux doigts de jouer la prestigieuse Ligue des champions. En 2000, le fiston -alors entraîné par Ben Johnson, le dopé de Séoul– est tout prêt de signer pour Bikirkara, tout juste champion de Malte. Pas de bol, le deal ne se fait pas… et nos rêves de voir l’OL défier la terreur de Tripoli s’envolent. Saadi Kadhafi est alors la figure emblématique du foot libyen. Dès 1996, seulement âgé de 23 ans, il prend la tête de la fédé nationale et professionnalise quelques années plus tard le championnat local, à grands coups de pétrodollars. Président-joueur de l’Al-Ittihad de Tripoli, Saadi recrute Patrick M’Boma et Victor Ikpeba pour tenter de briller sur la scène continentale. Peine perdue.
Il gagne aussi le surnom du “hooligan” pour avoir fait ouvrir le feu sur les supporters d’un club adverse lors d’une rentre du championnat libyen. Bilan: au moins trois morts, dont l’arbitre. Blague surréaliste: le club d’en face appartient à son frère aîné Mohammed. La violence pour régler son compte à l’adversité, sans doute un vieux truc de famille. Las de tant d’échecs, et probablement certain que le destin footballistique d’un fils de Guide se trouve en Europe, le joueur offensif polyvalent (5 buts au total dans sa carrière, selon Wikipédia) entreprend de se transférer dans le Calcio. Destination Pérouse, où le président Luciani Gaucci est ravi de ce coup de pub à moindre frais.
Un de ces deux joueurs est champion du monde, saurez-vous deviner lequel?
Toujours sur le banc en Italie -il n’aura joué en tout et pour tout que quinze minutes contre la Juve- Saadi trouve quand même le moyen de se faire attraper pour dopage en 2004. Contrôlé positif à la norandréstérone (pour soigner un mal de dos, dit-il), il est suspendu trois mois. Kadhafi Junior est élu second plus «mauvais joueur» du foot italien 2003 par les téléspectateurs de la RAI, derrière le Brésilien Rivaldo. Bizarre. Après un détour à l’Udinese et à la Samp’, où il détonne par son train de vie fastueux (il occupe tout l’étage d’un hôtel, mate des DVD’s dans sa limousine), le fiston retourne aux sources: les forces spéciales libyennes. Petit souvenir à l’Italie: celui qui depuis a été élevé au grade de colonel laisse une note de 392.000 euros dans un hôtel de Gênes, son dernier club en 2007.
Comme quelques-uns de ses frangins, Saadi n’oublie jamais les affaires et mêle royalement foot et business. Il entre au capital du club de Pérouse, et surtout de la Juventus en 2002 (à hauteur de 7,5%), par le biais de la société d’investissement libyenne Lafico (Libyan Arab Foreign Investment compagny). Il démissionne de ses fonctions au conseil d’administration de la Vieille Dame l’année suivante. Son amour du foot le pousse parfois à dépenser un peu trop allègrement son pognon, ce qui lui vaut quelques remontrances de son Guide de père. En 2002, Saadi parvient ainsi à délocaliser la supercoupe d’Italie à Tripoli pour 1 million de dollars et il s’offre en 2003 un match de prestige au Camp Nou. Depuis ces années italiennes, régulièrement, des rumeurs font état de tentatives de rachat de clubs anglais de deuxième zone. A quand la reprise de Grenoble? A la rubrique “people”, on lui connaîtrait une aventure avec une certaine Vanessa Hessler, égérie de la pub “Alice”.
Sydney Maréval
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Crédits photos: Reuters
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Sporting Tertulia, Quentin Girard, vincentlieser, Jérôme Lefilliâtre, Cahiers du football et des autres. Cahiers du football a dit: RT: @PlatduPied: Les Kadhafi, des dingues de foot. Mais vraiment dingues. http://fb.me/TkuNwFTR […]
les dictateurs, ils sont tous les mêmes,ils croient que le monde tourne au rythme du bâtement de le coeur.
Mais, ce qu’ils ont toujours ignoré ou ils qu’ils se refusent de croire est qu’ils ne sont pas éternel.
le probléme est que les democraties occidentales et les etats unis , se foutent completement des droits de l’homme dans ces dictatures tant que leurs interets stratégiques sont préservés. pendant longtemps sadam hussein a été
“fréquentable” , peu importait que la guerre iran irak ait été une boucherie et que les enfant etaient envoyés comme chair a canon .
kadhafi est un tyran mégalomane et c’est a se demander si il ne releve pas de la psychiatrie !
“Ces institutions (du sport) ne sont que les instruments d’un monopole social(…)”
Kadhafi ne peut souffrir la concurrence….
Et son fils est très inquiétant.
Huxley dit que “(…) la terreur en tant que procédé de gouvernement rend moins bien que la manipulation non violente du milieu, des pensées et des sentiments de l’individu.”
Il faut se méfier du “jeune” dictateur qui sommeil et qui, force est de le constater, évolue avec l’air du temps.
Je me demande comment il peut rester au monde une personne qui ne voit pas en ce Kaddafi un nouveau Hitler encore plus fou, il n’y a qu’a s’en tenir à ses propos sur le peuple lybien. N’a t-il pas toujours que c’est le peuple qui gouverne et qui décide , eh bien le peuple decide qu’il n’en veut plus. Ah, par contre ça, pas possible!
Moi je me demande surtout comment se sentent aujourd’hui les politiques français et autres qui ont vendu à ce fou (qu’ils savaient par ailleurs qu’il l’était), toutes ces armes avec lesquelles sont massacrés en ces jours des milliers de lybiens. Les suisses, les italiens, et autres peuvent se payer un tres bon niveau de vie, bousté par les fortunes douteuses des criminels tels que Ben Ali, Gaddafi, Moubarek et autres bien au chaud dans leurs banques.
Bel article, en passant.
[…] Reprenons, ton pays est en guerre civile, tu connais sans doute des morts proches de toi, mais tu vas tout de même avec tes potes jouer au foot le week-end pour ce qui est tout sauf une affiche internationale. Logique. The show must go on. On ne sait pas d’ailleurs si les joueurs libyens en profiteront pour apporter un soutien, forcément médiatique, à l’opposition. Si match il y a, le dictateur risque d’envoyer quelques hommes pour les surveiller et peut-être même les pousser à brandir des petits drapeaux verts. Comme nous l’expliquions dans un article précédent, le clan Kadhafi a d’ailleurs un rapport tout à fait particulier au football. […]