La société civile a des choses à apprendre du milieu du foot. Pour les 50 ans de l’UNFP, 93% des pros évoluant en France cette saison ont adhéré au syndicat des footballeurs. Il défend aussi bien les millionnaires revendicatifs de l’après-Bosman que les joueurs délaissés de deuxième zone.
Les footeux ne sont pas d’affreux individualistes. Le taux de syndicalisation a encore augmenté en une saison, pour passer de 87 à 93% selon l’UNFP (Union Nationale des Footballeurs Professionnels). A faire pâlir la CGT, la CFDT et les autres centrales, puisque 5% seulement des salariés du secteur privé français sont encartés. Pour Didier Primault, du Centre de Droit et d’Economie du Sport de Limoges, ce taux est lié à l’essence même du syndicat de sportif “au but serviciel et non politique“. Une proximité organisation-adhérent facile à expliquer puisque les effectifs de footballeurs sont réduits, “ce qui permet de créer un lien personnel, de convaincre plus facilement“.
Et cet engagement syndical paie! Aujourd’hui le foot est l’un des rares secteur économique dans lequel l’argent généré revient dans la poche des ouvriers. Ainsi, 47% des dépenses d’un club sont dévolues aux salaires (source UCPF), un taux bien supérieur à la moyenne des entreprises privées. De quoi faire rêver Besancenot et Mélenchon!
Structure des dépenses des clubs de Ligue 1
“Il est logique qu’une grande part des revenus reviennent aux joueurs, affirme Stéphane Saint-Raymond, directeur de l’info’ du syndicat. Ce sont les droits télés qui financent le foot et nous avons fait en sorte qu’ils soient répartis dans tout le foot professionnel. Contrairement à l’Espagne, nous avons pris en compte le fait que le football est une activité commerciale qui s’exerce à plusieurs.” Sur ce point, il doit régulièrement se prendre le bec avec les présidents des grands clubs hexagonaux qui poussent pour toucher plus. Les joueurs de football sont donc bien des syndicalistes avertis et des collectivistes forcenés, tant pis pour les clichés.
Conseillers en tout
On aurait d’ailleurs aimé envoyer Frédéric Piquionne en 1961 pour qu’il apprenne ce qu’est un footballeur-esclave. A l’époque, les clubs fixent librement les primes et les salaires, empêchent les transferts par des contrats à long terme, ou s’échangent les joueurs comme des bouts de viande. C’est du moins l’avis de pas mal de joueurs, à l’origine de l’UNFP, dont la star Just Fontaine et l’ailier stéphanois Eugène N’Jo Lea, qui déclare alors: “Même les patrons sont organisés ! Oui, tout le monde est organisé, sauf le footballeur professionnel, qui en est malade“. Camerounais d’origine, il fera par la suite des études de droit et une carrière diplomatique.
Globalement, l’UNFP a quatre missions: accompagner les pros (stages pour les chômeurs), proposer des assurances, conseiller en matière de gestion du patrimoine et aider à la reconversion une fois la carrière terminée. “Nous gérons environ 500 patrimoines, estime Stéphane Saint-Raymond. Nous avons également un système d’agent pour ceux qui le souhaitent. Et puis nous soutenons tous les joueurs qui passent devant la commission juridique de la Ligue. Cela représente 150 dossiers par an! Une fois, nous avons défendu un jeune qui allait se faire expulser de son centre de formation pour avoir veillé après 22 heures alors que son équipe était en déplacement. Il était blessé et regardait la télé dans sa chambre…” Un soutien apprécié par les joueurs de foot, dont la plupart sont loin d’être des millionnaires, et qui, s’ils gagnent très bien leur vie, ont des carrières courtes. “Si nous avons tant de syndiqués, c’est que nous faisons bien notre travail, complète le porte parole de l’UNFP. Certaines banques proposent des prêts sur 20 ans à des joueurs qui font des carrières de 7 ans en moyenne!”. Échaudés par les graves revers financiers de certains de la génération Bellone, les joueurs sont plus attentifs à cet aspect de leur carrière.
Joueurs procéduriers
Depuis l’arrêt Bosman, les joueurs sont devenus de plus en plus durs en affaires, comme le remarque Didier Primault: “Ils sont plus entourés, mieux informés, et n’hésitent pas à faire jouer la concurrence sur le marché“. Et aussi plus procéduriers, tirant profit des réformes voulues par leurs patrons. Il n’est ainsi plus rare de voir des joueurs débarquer dans leurs clubs accompagnés d’huissiers pour constater leur mise à l’écart du groupe professionnel ou leur incapacité à s’entraîner dans les meilleures conditions. “Mais là où les bons joueurs jouent la carte de la libéralisation, les moins bons, de National par exemple, sont victimes de cette concurrence de joueurs étrangers moins chers“, constate Didier Primault. Le “plombier polonais” serait plutôt brésilien ou malien, mais de nombreux pros de bas niveau se retrouvent chômeurs par dizaines à moins de 25 ans.
L’UNFP compte dans chaque club un représentant, chargé de défendre les droits de ses coéquipiers. Souvent dur au mal en matière de négociations, il est parfois le cauchemar de son président. Dernier exemple, Stéphane MBia à Marseille, où il a succédé à Laurent Bonnart, parti faute d’augmentation, comme délégué syndical. Il se murmure qu’il s’y entend à merveille pour accorder l’état de son genou aux avancées des discussions sur la prolongation-revalorisation de son contrat. Chantage ou calomnie lancée par ses patrons, il n’en reste pas moins prompt à monter au créneau pour défendre Taye Taiwo, lui aussi au cœur de longues et infructueuses négociations salariales: “C’est très important, ce que je cherche à expliquer à mes équipiers. En cas de problème, l’UNFP sera là. Je suis en priorité footballeur, mais j’aimerais bien pouvoir discuter avec Bernard Thibault, le leader de la CGT. À la base, j’ai la chance d’être intelligent. Je peux reprendre mes études après ma carrière, pour, pourquoi pas, me lancer en politique” a-t-il expliqué récemment dans l’Equipe.
Une pincée de politique
OK Stéphane, mais attention à la politique. D’ailleurs l’UNFP n’apprécie pas trop le mélange des genres. Le syndicat a récemment recadré Chantal Jouanno, la ministre qui voulait exclure définitivement Patrice Evra de l’EdF, et resanctionner Ribéry. “Mme Jouanno n’étant en poste que depuis novembre dernier, il est bon, nous semble-t-il, de lui rappeler, comme l’UNFP l’a toujours fait, qu’Evra et Ribéry ne sont pas plus coupables que tous ceux qui ont refusé de s’entraîner à Krysna, ce dimanche-là, et que si sanctions il devait y avoir, elles auraient dû frapper l’ensemble des sélectionnés et non quelques-uns d’entre eux (…) De la même façon, pourquoi les joueurs seraient-ils les seuls à payer ? Si les états généraux ont prouvé la nécessaire refonte de la gouvernance de la FFF, c’est bien qu’il y avait un dysfonctionnement, qui ne se limitait donc pas au niveau des joueurs (…) Enfin, faut-il rappeler à Mme Jouanno qu’en France, une fois sa peine purgée, on a payé sa dette envers la société ?” Ou quand l’UNFP soutient le mouvement des magistrats.
Prompte à défendre les joueurs de foot, l’UNFP s’est rapprochée des syndicats “classiques”, associés lors des négociations sur les conventions collectives. “Les grandes centrales se sont rendu compte que les syndicats de sportifs ne défendaient pas quelques millionnaires, mais qu’ils fonctionnaient de la même façon, avec un même objectif” précise Didier Primault, qui a lui même dirigé le syndicat des basketteurs au tournant des années 90. Malgré tout, l’UNFP reste sans concurrent, “car proche des joueurs et armé financièrement“.
Pourtant Cantona, Maradona et d’autres avaient tenté de créer un concurrent en 1994/1995. “Ils ont arrêté en voyant le travail nécessaire sur le terrain“, rigole Stéphane Saint-Raymond. Aujourd’hui, Vikash Dhorasoo s’amuse de temps à temps à envoyer des piques au syndicat sur son blog. “Je me demande toujours à quoi sert un syndicat, s’interroge the substitute. L’UNFP, sans aucun discours syndical à l’égard des joueurs qu’il est censé défendre, et qui se contente d’organiser les Oscars du football. Il parait que ce syndicat est riche et fait beaucoup pour les footballeurs. Je demande à voir… rendez votre carte de joueur syndiqué et organisez-vous !”
Une attaque qui laisse le syndicat de marbre. “Bof, il peut dire ce qu’il veut, soupire le dircom’. Vikash Dhorasoo, c’est un peu l’équivalent de Pierre Ménès. Quand il n’a plus rien à dire, il dit des conneries pour qu’on parle de lui. Il faut bien qu’il occupe son espace médiatique. C’est sa parole contre celle de 93% des joueurs pros…”
François Mazet et Olivier Monod
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Illustration: affiches de mai 68
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par vincentlieser, A World Of Football, Agence Ouest Médias, davidroizen, Nicolas B. et des autres. Nicolas B. a dit: RT @cahiersdufoot: "Les footballeurs, à la pointe du combat social" par @PlatduPied – http://fb.me/EAIkY8Y7 […]
“(…)les effectifs de footballeurs sont réduits(…)” plus un “produit” à forte valeur ajoutée, ça donne un syndicat “efficace”. Mais comparer la Chine à la Suisse…