22 nationalités et un seul match

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pippoTeddyBertinAvatarOn connaissait les matchs de Premier League sans Anglais au coup d’envoi. C’était le 4 janvier 2010, un affrontement entre Portsmouth et Arsenal. Un autre match de ce championnat, Blackburn contre West Bromwich Albion (2-0), a battu un nouveau record dimanche dernier: avec les remplaçants, 22 nationalités différentes ont pu s’ébattre gaiement sur le terrain. Un shot à haute dose de mondialisation sur carré vert.

Sur la Google Map ci-dessous, vous pouvez voir de quels pays viennent les joueurs qui ont participé à ce match. Ils étaient 27 au total (dont 3 Anglais):

La polémique est latente en Angleterre et en Europe en général, et vous connaissez la chanson: arrêt Bosman, libre circulation des joueurs, championnats financièrement plus attractifs que d’autres, etc. En Angleterre, la présence trop importante de joueurs étrangers est une raison régulièrement invoquée pour justifier les faibles performances de leur équipe nationale. Les clubs préféreraient faire jouer des étrangers que d’aligner des petits jeunes formés au bercail: toute ressemblance avec le discours traditionnel des partis d’extrême-droite européens n’étant pas fortuite. En France, on retrouve ce même discours en rugby, pour le Top 14.

Rien d’étonnant à cela pour Raffaele Poli, géographe à l’université de Lausanne et co-fondateur de l’Observatoire des footballeurs professionnels. La Premier League anglaise est ainsi le deuxième championnat comptant le plus de joueurs expatriés, derrière la redoutable Ligue Marfin Laiki, la première division chypriote. Si on considère les joueurs gallois comme des expatriés (1), 58,4% des joueurs de Premier League ne sont pas Anglais. En France, la proportion n’est que de 29,5%.

Pourtant, le championnat anglais était historiquement connu pour accueillir très peu de non-natifs (mis à part les Ecossais et les Nord-Irlandais). Depuis l’arrêt Bosman, en 1995, le revirement a été rapide. «L’arrivée d’expatriés a été beaucoup plus rapide qu’ailleurs en raison de la puissance financière des formations anglaises», note Raffaele Poli. Ce sont d’abord les clubs huppés qui donnent le rythme: Arsenal, par exemple, avec sa colonie de frenchies… Aujourd’hui encore, les tricolores sont les plus représentés en Premier League, avec 49 joueurs (soit une moyenne de 2,5 joueurs par club). L’équipe de Blackburn est parfaitement représentative, puisqu’avec Gaël Givet et Steven N’Zonzi, elle alignait à partir de la 64ème minute deux Français sur la pelouse d’Ewood Park. Sur le graphique ci-dessous, on peut voir la répartition en pourcentage des nationalités par zone géographique pour le match Blackburn-WBA:

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Au rang des nationalités dominantes en Premier League viennent ensuite les Irlandais et les Ecossais, mais qui «apparaissent davantage dans les équipes de niveau moyen et faible, alors que les Français sont également répartis». On a beau railler le niveau de la Ligue 1, il semble que notre championnat intéresse largement les recruteurs british: «Le footballeur français est bien éduqué, il est passé par les centres de formation et offre certaines garanties d’adaptation», explique Raffaele Poli.

Outre la France et les autres nations britanniques, les formations de Premier League se tournent de plus en plus vers les joueurs d’Amérique latine. Le Brésil et l’Argentine (absents du match Blackburn-WBA pourtant) sont les deux plus gros fournisseurs de joueurs pour les cinq championnats européens majeurs. En 2008-2009, on comptait 163 expatriés brésiliens, 104 argentins, et 103 français, soit un tiers des étrangers évoluant dans les divisions du Big 5 (voir la carte de l’Observatoire). En Angleterre, les Gilberto Silva (Arsenal) ou les Heinze (Manchester United) ont ouvert la voie à de plus jeunes joueurs: les jumeaux Fabio et Rafael, Denilson…

Existe-t-il des filières de joueurs low cost, réservés aux formations de bas de tableau? Sans aller jusque-là, notre géographe de Lausanne remarque quelques cas emblématiques, comme celui de l’Equatorien Luis Antonio Valencia, qui, avant d’enfiler le maillot des Red Devils, passa par la modeste équipe de Wigan: «C’est dû aux règles des transferts en Angleterre [en effet un terrible casse-tête pour les fans de L’Entraîneur, ndlr], qui imposent d’avoir fait ¾ de ses matchs en équipe nationale au cours des deux dernières années, affirme le chercheur. Du coup, les clubs sans grands moyens se rabattent sur les nations mineures…» Pas de quoi cependant modifier les équilibres actuels.

La mondialisation du foot, si chère à la Fifa, ne bouleversera pas immédiatement la situation et les Park Ji-Sung et autres Kagawa ne risquent pas d’être rejoints par des cohortes de Sud-Coréens et de Japonais. «La France, le Brésil ou l’Argentine ont acquis un avantage compétitif en matière de formation. Cela a pris des dizaines d’années, des investissements en capital humain et financier. Ce n’est pas la création d’une académie de foot au Viêtnam qui va changer la donne», conclut Raffaele Poli.

Quentin Girard et Sydney Maréval

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(1) Cardiff joue en Coca-Cola Football League, la deuxième division anglaise, mais il existe un championnat gallois indépendant.

Crédit photo: le drapeau mondial moyen, via Weather Sealed.

4 commentaires pour “22 nationalités et un seul match”

  1. “«La France, le Brésil ou l’Argentine ont acquis un avantage compétitif en matière de formation.”

    Je crois que le Poli a zappé les 5 dernières années niveau foot.

    La France s’est ridiculisée lors de la dernière coupe du monde en présentant une équipe qui regroupé toutes les tares du système de formation à la française: discrimation raciale dans les sélections de jeunes, formation technique et tactique réduite au minimum, absence complète d’éducation et de savoir-vivre, inculture crasse,… Bref un portrait repoussant du football Français.

    La première conséquence c’est un recul inéluctable depuis 3 ans du nombre de footballeurs français évoluant dans des équipes de premier plan européen. En 2010 pour la première fois le nombre de joueurs français jouant à l’étranger à même diminué. Ce phénomène va s’amplifier en 2011.

    Les joueurs français n’intéressent plus personne et la formation à la française est ridiculisée.

    Polli va devoir revoir sa copie.

  2. “”système de formation à la française:
    discrimation raciale dans les sélections de jeunes, formation technique et tactique réduite au minimum,
    absence complète d’éducation et de savoir-vivre, inculture crasse,…””

    J ai fait du foot pendant longtemps et c’est malheureusement bien ça dans ce pays..

    Sinon les rares fois qu’un joueur francais intéresse un club étranger,
    c’est pour avoir un remplaçant.

  3. […] la Premier League – l’équivalent de notre première division – créent la polémique car il y a de moins en moins d’Anglais sur le terrain, voire pas du tout. Ce fut le cas le 4 janvier dernier lors du match entre Portsmouth et Arsenal où aucun Anglais […]

  4. Excellent

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